En 7 007, la sixième journée, à l'aube d'une première saison des pluies d'astéroïdes, les particules d'iridée n'affluaient pas encore sur la végétation de la Capitale. Ayk, cette matinée-là, se dirigeait vers la serre familiale qui se situait à l'arrière de la maison. Pour cela, il lui fallait tout d'abord arpenter une promenade qui révélait les fragrances des haies de rosiers aux variétés orange, blanche et jaune.
À ce propos, le passionné des merveilles naturelles voyait cette allée différemment. Au regard d'Aphte, le chemin gazonné était une exhibition d'arômes subtils et suaves. Il s'enivrait instinctivement les narines et, à chaque bouffée, cela lui ranimait un souvenir.
À chacun de ses précédents passages, les parfums des rosiers avaient emporté, doucement et malicieusement, l'Hano (Génie en mécanique) vers les gamineries du passé. Ce coup-ci, l'enfant Cowe se rappela, amusé, un cours qu'il dut subir à ses trois ans. Il se souvint qu'un matin, son père voulut l'initier aux joies de la floriculture, par l'apprentissage de la mise en terre d'un rosier à racines nues. À 4. 22 Éo, le rigoureux professeur l'obligea à creuser, au centimètre près, un trou d'une largeur de cinquante pour une profondeur égale à quarante. Car, disait l'Expert :
— La taille du trou à son importance pour le développement des racines.
Le novice en botanique n'y comprenait rien. Mais, il lui a quand même fallu creuser, lors de cette fabuleuse séance découverte, vingt trous, parfaitement identiques.
Soudain, Aphte fut pris de mélancolie et soupira :
— Ah ! Que de souvenirs !
Puis, après une deuxième expiration plus forte, il objecta tout haut :
— Je déteste ça !
En réalité, Cowe junior se voulait maître de ces réminiscences ; donc, il s'aventurait rarement dans ses allées. En conséquence, généralement, la serre familiale lui paraissait toujours imposante, à la seconde où il lui faisait face.
Au sujet du bâtiment, la construction haute en mètres d'une quinzaine, était une demi-sphère géante à panneaux de verre aux parois translucides. Jadis, elle fut l'atelier de feu son père l'Hobre (Botaniste) Iffa qui avait pour Instructeur l'Énia Oïris Mo, digne héritier des armoiries Abeic Mo.
Cet environnement avait été conçu pour les quarante-trois espèces de roses lynes qui y étaient répertoriées et soigneusement cultivées. Le but était de créer, pour chacune d'entre elles, des meilleures conditions d'épanouissement que celles proposées par le pénible climat toraïte.
À l'entrée principale de la serre, des détecteurs de mouvements avaient été placés, ici et là. Et quand Ayk se rapprocha des ouvertures, les appareils signalèrent sa présence. Instantanément, les caméras extérieures, spécialisées dans l'analyse des signatures génétiques, procédèrent au scannage de l'individu pour l'identifier. Une fois son identité confirmée, par le biais d'une voix robotisée, Aphte franchit aussitôt la porte à ouverture automatique. Et à la nanoseconde même, il fut accueilli par Nips.
Nips était un organisme biomécanique ou uzal. Il mesurait vingt-cinq centimètres de long – y compris sa queue ronde et bouffie – et pesait environ 400 grammes. Cet animal, de type nain, avait des oreilles arrondies ainsi qu'une tête courte et large. Il possédait aussi des longues et puissantes pattes arrière. Les membres étaient repliés sous le corps et favorisaient la vitesse de ses déplacements, ses bonds et sa posture assise.
Le petit uzal, au visage clair embelli de marquages faciaux orange et un nez noir, interpella Ayk. Son appel silencieux se fit à travers un regard chaleureux, aux yeux larmoyants d'un vert turquoise. Dès lors, le maître ému, s'abaissa. Intuitivement, Nips se jeta dans ses bras, d'un seul bond.
Maintenant, le jeune homme marchait vers l'atelier Shéya Cowe, la main droite occupée par l'adorable mini-compagnon ; la gauche, employée à caresser délicatement la fourrure longue de Nips. L'animal avait des poils doux qui présentaient des couleurs d'un orange rougeâtre sur les parties supérieures et noirâtre au niveau des membres inférieurs.
Aux yeux d'un néophyte, la serre semblait envahie par un essaim de fleurs aux multiples coloris et parfums. Pourtant, certaines plantes en pots s'élevaient joyeusement au sein de jardinières alignées tandis que d'autres, suspendues dans les airs, planaient avec souplesse au-dessus d'Aphte. Et malgré cet attroupement floral, le jardin restait illuminé naturellement par les rayons stellaires des astres diurnes et nocturnes.
D'ailleurs, grâce à un système automatique rudimentaire, la pièce chaque soir resplendissait de plus belle et se métamorphosait en gigantesque manège végétal.
En effet, le centre du jardin arborait, judicieusement fixé à l'armature du toit, une sphère d'un rayon de deux mètres. Au cœur de l'objet se trouvait un réservoir d'eau qui contenait, à son tour, une boule perforée. La bille, une fois remplit, s'enfonçait ; ceci enclenchait une série d'actions qui mettait en œuvres des filaments presque invisibles et les charmants bouquets suspendus.
Quand il aperçut au loin le globe pendillé, à nouveau l'Hano replongea. Sur-le-champ, il se remémora les images de son premier spectacle floral. Sourire aux lèvres, il se souvint, tout d'abord, que sa mère avait sacrifié quelques nuits et des jours de repos pour créer cette animation. Et qu'en l'an 7 000, elle avait convoqué toute la famille, sous prétexte de célébrer une dernière fois avec les Cowes au complet.
C'était au crépuscule d'une kéléa atété (saison stellaire) que Chadi Cowe, déjà nostalgique, procéda à l'inauguration du « manège floral ». Ce soir-là, le Maître Hano immobilisa Iffa et Aphte (sept ans) debout, juste en dessous de la sphère, pendant que l'adorable Shéya (âgée de quelques jours) se trouvait blottie dans les bras paternels. Cinq minutes de peaufinage plus tard, l'ingénieure enthousiasmée, qui faisait face au public, enclencha le mécanisme.
Systématiquement, les compositions florales se mirent à exécuter un ballet original qui, continuellement, accorderait à tout nouvel invité : une version colorée, imaginative et spectaculaire des diverses constellations observables du système Oxyr. De plus, à cela s'ajoutèrent les chorégraphies intuitives des papillons et autres mifus noctambules fluorescents, qui donnèrent à cette atmosphère l'impression d'une extraordinaire rêverie éveillée ! Et lorsque l'inventrice vit les visages de ses spectateurs favoris emplis d'un ravissement, en larmes, elle sourit, fière que son entreprise eût été un succès.
De retour à la triste réalité, Ayk hâta ses pas vers le fond du jardin. Il refusait d'être une nouvelle fois victime des images du passé, s'il traînait encore dans cet immense mémorial, fruit de deux travailleurs passionnés.
La course à pied ne dura qu'une minute. Ensuite, Aphte aperçut, concentrée dans son « atelier », l'Hobre Shéya, désormais âgée de six ans. Assise sur un pouf haut en tissu de gacha – textile local – elle prodiguait méticuleusement les soins horticoles, à une jeune pousse posée sur un meuble devant elle. Cette plante était une nouvelle espèce de lyne qu'elle voulait résistante à l'Isorok. L'« artiste », comme elle se plaisait à se faire surnommer dans son univers, était à son cinq-centième essai.
Comme elle avait remarqué la venue du grand-frère aimé, la petite Co consentit à détourner pendant quelques minutes ses yeux savants de sa nouvelle trouvaille. Quand le naali arriva près d'elle, il lui dit son premier olani de la journée ; il était 5 Éo du matin.
Néanmoins, l'enfant fut surprise que son aîné fût encore là, à pareille heure, un jour de travail. Cependant, sans pour autant lui laisser l'opportunité d'une interrogation, Ayk lui tendit de sa main droite, un objet qui lui était bien familier : l'entum d'Eltou Ice.
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Les habitants de Tora
Science FictionDepuis près de 7 000 ans, l'étoile Ox projette, à l'ensemble des astres soumis à son champ gravitationnel, l'énergie et les éléments naturels indispensables à leur survie. Pourtant, c'est au sein de ce système planétaire qu'un monde agonise. Trouver...