Chapitre 40 - Les regrets de Shéya

28 4 14
                                    

À des kilomètres de Ngatnom, très loin du climat neigeux et d'un relief escarpé, la Capitale affrontait une « kéléa okosni mekok » redoutable. Des chutes importantes d'astéroïdes avaient provoqué des dégâts considérables. Dans plusieurs quartiers, les réseaux divers qui alimentaient les citadins en eau et énergie lynique avaient été endommagés. La pluie de roche avait également ébréché des maisons. Pareillement, des flâneurs malchanceux, bien qu'équipés de combinaison protectrice, s'étaient retrouvés gravement amochés.

Au cœur de cette terrible catastrophe naturelle, causée par de récentes brèches du bouclier Adrastée, la population craignait de nouvelles victimes. Certains se demandaient si leur foyer avait été suffisamment sécuriser, pour survivre à ce cataclysme. D'autres, en philosophes défaitistes, affirmaient que si la deuxième saison des pluies d'astéroïdes était aussi dévastatrice, le peuple de To ne survivrait pas, jusqu'à la suivante.

Dans ces circonstances tragiques, pour raviver le gyuma des enfants toraïtes, l'Instéo exhorta les habitants à se réfugier, par groupe de familles. À ce propos, un adage était redevenu populaire : « nté mése ma vebe, ma nayé » – traduction, « tant que je respire, j'espère ».

Du coup, pendant que les bombardements météoritiques pleuvaient dans le ciel d'Ordest, les domiciles, selon leur tendance, optaient pour des ultimes festoiements ou privilégiaient le recueillement.

Cependant, une habitation traditionnelle, d'une rue artisanale, semblait bien silencieuse. À l'arrière, l'atelier Shéya Cowe s'était vêtu d'un manteau gris. Présentement, la sphère ressemblait à un immense dôme métallique. La carapace en dagus, installée auparavant par l'Énia Hano Chadi Cowe, était dorénavant activée.

À l'intérieur de l'abri anti-astéroïde, l'Hobre (Botaniste), âgée de sept ans, s'affairait à son bureau. Elle aspergeait délicatement quelques gouttes d'un subtil mélange, aux vertus fertilisantes, sur un pied de lyne. Cette plante possédait l'étonnante particularité de donner à chacune de ses fleurs, une couleur différente. Aujourd'hui, le petit arbuste exhibait, à la fois et avec excentricité : une rose bleue, rouge, blanche, orange, jaune tandis que d'autres révélaient, une à une, des teintes incomparables.

Assis, à l'épaule gauche de l'« artiste », le fidèle uzal Nips. Le dévoué assistant ne se lassait jamais d'admirer la dextérité de sa maîtresse.

— Elle a bien grandi ! Hein, Nips ?

La jeune fille regarda son camarade sur patte et lui afficha un large sourire. En réponse, le petit animal hocha, plusieurs fois la tête, approbateur.

— Maître Kolh Mo a dit que je pouvais, maintenant, officialiser cette découverte, annonça-t-elle, radieuse. Donc, j'ai décidé...

Shéya Cowe ferma les yeux, une seconde, pour répéter mentalement l'articulation de sa création lexicographique. Lorsqu'elle fut confiante, elle ouvrit ses paupières et énonça :

— Je vais l'appeler le rosier lyne « Naaliayk » ! « Naali », comme ainé, et « Ayk », comme Grand Co. Qu'en penses-tu ?

Séance tenante, l'uzal, de ses micros doigts, applaudit. Ensuite, il glissa adroitement sur le bras de la fillette, atterrit sur son bureau et gambada.

— Je suis ravie de voir qu'on est du même avis ! Tu sais, pour moi, c'est vraiment important ! Jusqu'à maintenant, je n'ai pas su remercier grand Co, pour tout ce qu'il fait pour moi. Bien sûr, que de temps en temps je lui ai fait des cadeaux. Mais... ils n'étaient pas à la hauteur. Ce coup-ci, je crois que c'est le bon !

D'emblée, la botaniste quitta son pouffe haut. Elle plaça, précautionneusement, le rosier « Naaliayk » sur une petite charrette automatique. Désormais, elle devait ranger sa merveille, au rayon qui lui était réservé. Durant la marche, son assistant, retourné à son appui claviculaire, l'accompagnait.

Les habitants de ToraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant