Chapitre 35 - « Devant toi ! »

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L'an 7 007, deuxième des pluies d'astéroïdes, jour 64

D'une part, la dévastation, causée par les ravages de l'Isorok, avait regroupé les sinistrés vers les grandes villes. Actuellement, les métropoles se retrouvaient surpeuplées. De ce fait, pour satisfaire à la demande urgente en logement, des refuges improvisés avaient été installés. Or, la deuxième saison des pluies d'astéroïdes de l'an 7 007 avait débuté sur Tora, depuis deux semaines. Cette précipitation de grains cosmiques était, sensiblement, plus abondante que sa sœur cadette et moins vigoureuse que ses deux aînés. À cet effet, pour résister aux conditions atmosphériques des jours à venir, il fallait impérativement perfectionner les abris provisoires. Car, par endroit, la fragilité du bouclier Adrastée présageait une iridée plus épaisse que la normale. La météo prévoyait même, dans certaines zones déclarées à risques et préalablement évacuées, des chutes drues de corps qui pèseraient environ un gramme.

D'autre part, au niveau des mandatés de l'Instéo, les nouvelles, elles aussi, n'étaient guère encourageantes. Après plusieurs jours, sur le territoire de Ngatnom, précisément durant leur quatrième journée dans la grotte nommée Naclov, Dash, Ayk, épaulés des entums Azora et Makéna, avaient fait l'insolite rencontre d'une androïde solitaire. Le robot humanoïde leur avait accueilli, chaleureusement, sur la passerelle de la Salle des Commandes d'un vaisseau.

L'idée d'avoir un véhicule spatial, incrusté à l'intérieur de la grotte, semblait déjà irrationnel. Cependant, quelques minutes après les modalités de présentation, la visite des lieux prit des tournures encore plus effarantes.

À peine une minute s'était écoulée, depuis que le fils Cowe avait suggéré, à leur hôte, de désactiver sa silhouette holographique. L'Hano (Génie en mécanique) souhaitait, ainsi, examiner la réelle physiologie du pilote mécanique.

Intrigué par cette demande inopinée, l'Éolis (Génie en géologie) Ice, s'interrogeait sur la raison d'une telle recommandation. Toutefois, alors qu'il terminait l'analyse de sa plaie, tête baissée, les sens olfactifs de Dashmad furent troublés. Une odeur nauséabonde, voire putride, était en train d'envahir ses narines.

Immédiatement, Dédé redressa son faciès et dirigea le regard, vers la source de cette puanteur. À ce moment-là, l'esprit confus, perdu, le géologue devint aphasique. Présentement, la scène, que l'Éolis avait sous les yeux, était de nature à lui causer des lésions cérébrales.

Non, non, non ! C'est pas possible ! C'est pas possible ! Ça ne s'explique pas !

Dans le but de vérifier si cette vision d'horreur était bien réelle, Ice se secoua la tête violemment, à l'horizontal. Le mouvement était si brutal que Makéna, qui était la plus proche, entendait le bruit des craquements des vertèbres cervicales du Toraïte. Le robot se demanda, un instant, si cet acharnement n'allait pas créer une collision, entre le cerveau et les parois du crâne de l'Éolis.

Quand, enfin, l'Expert en géologie regarda à nouveau l'automate : aucun doute n'était plus possible. La matière visqueuse et noirâtre était bien là, devant lui.

Non, ça peut pas être ça !

L'Énia Dashmad se refusait d'y croire. Aussitôt, il activa son miggimi et reconnut les reflets rougeoyants de son ennemi juré ; le mal, au génome mutant, qui anéantissait tout sur son passage : l'Isorok.

À la nanoseconde même, le géologue, les yeux rivés sur l'androïde infestée, voulut prévenir son partenaire. Hélas, aucun mot ne sortait de sa bouche. Pas même un son. En dernier recours, le naali eut l'idée d'attirer l'attention du cadet, par une tapette sur son épaule. Par contre, sa dextre bougeait, dans le vide.

Sur-le-champ, le Dédé détacha sa vue du malade. Il chercha son ami et remarqua qu'il commençait à s'éloigner, à petit pas. Déterminé à protéger son mounia, il puisa au plus profond de ses tripes et cria :

— OOOOOh !

Dash, dégouté d'avoir aspiré des gaz fétides, plaça automatiquement sa main sur la bouche et le nez.

— Ayk, que fais-tu ? Éloigne-toi de cette chose ! ordonna le Chef, qui parlait derrière son « filtre manuel ». C'est quoi ça, au juste ? On dirait un uzal en décomposition !

Puis, tandis que Dashmad tentait d'élucider le mystère qui se présentait face à lui, il contempla admiratif le calme d'Aphte. L'ami reconnaissait que le métier d'Hano avait, souvent, exposé Cowe junior à ce genre de spectacle horrifiant. Malgré cela, le cas présent exhibait un tel niveau de dégénérescence que l'ensemble du corps était presque condamné.

Ensuite, la seconde suivante, le mécanicien s'élança vers l'androïde, résolument. Les réflexes du descendant Ice étaient, définitivement, rouillés. Ce coup-ci, il n'a même pas su faire entrave à l'initiative d'Ayk.

Décidément, je suis dans un état pitoyable ! Je ne pensais pas que le combat avec les skolos m'avait autant usé ! Mais... tu comptes-tu pouvoir faire, Ayk ? Son état est catastrophique !

Maintenant, l'examen de santé du patient était enclenché. Les profonds soupirs d'inquiétude de son naali, en arrière-plan, l'Expert en mécanique sortit son matériel spécial. Premièrement, muni de son équipement et d'une acuité visuelle en mode maximale, l'Énia Cowe inspecta les biomécaorganes. Aussi, confirma-t-il, à son grand-frère, que le robot était de type biomécanique, à l'instar des uzals. Deuxièmement, le mécanicien étudia, minutieusement, le circuit neuronal artificiel. Et, troisièmement, le technicien, qui paraissait immunisé contre la pestilence, toucha, huma et palpa les tissus nécrosés de sa malade.

Tout au long du processus, le spécialiste Aphte était constamment assisté, par Azora. Et durant cet examen, Dashmad jurerait que les deux acolytes se concertaient.

Pourquoi ai-je l'étrange impression que ces deux-là dialoguent, sous mon nez ? Hum, c'est vraiment bizarre !

Probablement, il s'agissait d'une extrapolation du descendant Ice. Lors de cette supposée conversation, aucun son n'était émis. Chacune des lèvres de l'adolescent ne tressaillait point. Quant au langage guttural du fils Cowe, lui aussi, était muet.

Noooon ! C'est pas de la jalousie ! Je me sens pas du tout exclu !

Le soignant Ayk était absorbé dans son analyse méthodique. Sa patiente, elle, présentait une attitude placide, par rapport aux attentions qu'elle recevait et à la maladie qui la rongeait. Après quelques minutes, le mécanicien brisa le silence :

— Naali ?

— Oui ? répondit Dédé, qui se réjouissait, intérieurement, pour cette aimable interpellation.

— Tu la connais, la rumeur qui veut que la trajectoire de To soit calculée par un cerveau mécanique ? évoqua l'Hano, qui fixait toujours, de son miggimi, les entrailles du robot humanoïde.

— Pff ! Bien sûr que oui, je la connais ! Les cheminis passent leur temps à polémiquer, là-dessus.

— Eh bien, c'est pas une rumeur ! C'est même une indéniable vérité !

— Voyons Ayk, tu ne vas pas t'y mettre, toi aussi ! C'est pour ça que je ne voulais pas que tu traines, avec ces « blablateurs » !

Face aux répliques de son naali, l'Hano Aphte était impassible. Ces narines étaient affairées, à établir un diagnostic.

Beurk !

L'Éolis était écœuré. Le geste, que Cowe junior venait de réaliser, lui avait donné la nausée.

Je sais que je fais souvent la même chose mais, moi, au moins, c'est avec de la terre !

Déterminé à raisonner son mounia, Dashmad Ice poursuivit, farouchement :

— C'est pas parce que la trajectoire de notre To est, étrangement, aléatoire qu'il faille forcément un « cerveau », derrière !

— J'essaie même pas de créer un débat ! reprit le mécanicien, calmement. J'en ai la preuve !

— Ah oui ? Eh bien, où est-elle, cette fameuse preuve ?

— Naali, regarde bien ! exhorta Ayk, poliment. Le « Cerveau de Tora » est devant toi ! 

Les habitants de ToraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant