❀ Les taiyakis

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   Osamu sortit soigneusement quatre bol du placard, et les disposa sur la table de cuisine, sous le regard attentif d'Atsumu. Il ne lui prêta pas attention, il ne se rendait même pas compte de sa présence, et entreprit de sortir ensuite de la farine, du sucre, du lait et des œufs.
   Il pesa chaque ingrédient en prenant le temps de ne pas perdre ou gagner un gramme de plus que la quantité imposée. Chaque préparation devait soigneusement être réalisé, et ça commençait avec la pesée des ingrédients.
   Une fois les quantités de farine, de sucre et de lait prêtes, Osamu brisa des œufs dans un saladier et commença à les mélanger énergiquement avec un fouet.
   — Tu fais quoi, demanda curieusement Atsumu.
   — Je cuisine, ça se voit, répondit son frère d'un ton neutre.
   — Oui mais tu cuisines quoi ?
   — Rien pour toi en tout cas.
   Atsumu dévisagea son frère avec agacement. Osamu retînt un sourire de passer sur ses lèvres et continua de faire comme si de rien n'était. Il aimait bien agacer son frère en ne répondant qu'à moitié à ses questions.
   — Merci je ne suis pas stupide, répliqua Atsumu. Tu ne fais pas cette tête quand tu cuisines pour moi, ou pour la famille tout simplement.
   — Et je fais quelle tête, questionna le jeune homme en versant le sucre dans les œufs battus.
   — Tu es plus détendu, là tu es concentré pour ne pas faire de bêtise et pour que Suna mange quelque chose de bon, décrivit son frère avec un sourire en coin. Alors tu lui cuisines quoi ?
   — Il m'a demandé des taiyakis, avoua alors Osamu.
   Suna pouvait de nouveau avaler depuis quelques jours. Si au début il avait vraiment mal, aujourd'hui la douleur avait presque disparue. Mais il ne mangeait pas beaucoup pour autant. Son excuse officielle était que la nourriture de l'hôpital était immangeable.
   Il était vrai que ce n'était pas la meilleure nourriture qui puisse exister, mais ce n'était sûrement pas la réelle cause du manque d'appétit de Suna. L'anorexie était tout simplement un de ses symptômes. Il n'avait pas à se justifier de ne pas manger, Osamu le savait, mais il avait du mal à regarder les chiffres de la balance diminuer à chaque fois que Suna montait dessus. Il ne pesait plus que cinquante-quatre kilogrammes.
   — Tu as conscience qu'il t'exploite, remarqua Atsumu d'un air sérieux.
   Suna demandait rarement que Osamu lui ramène de la nourriture, alors quand il le faisait, Osamu sautait sur l'occasion pour lui préparer un maximum de chose. Il avait raison n'est-ce pas ? C'était normal après tout. Il ne se faisait pas du tout exploité.
   — Toi aussi Suna t'exploite, répliqua alors le jeune homme. Dès qu'il veut que tu fasses quelque chose, tu t'exécutes sans rien dire.
   — Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? On ne dit pas non à un malade.
   — C'est ça.
   Osamu reporta son attention sur sa préparation, puis versa dans les jaunes, le sucre et la farine. Les taiyakis étaient des sortes de biscuits en forme de poisson. Leur pâte était similaire à celle d'une gaufre, et ils étaient fourrés à de la pâte d'azuki. C'était un simple mélange d'haricots rouge. Il n'en avait jamais fait, c'était facile d'en trouver en magasin alors il n'avait jamais pris la peine d'essayer. Mais si son ami en voulait, il était hors de question que Osamu aille en acheter.
   — Tu te rends compte que ça va faire un mois, dit son frère plus pour lui que pour son frère.
   Oui, ça faisait presque un mois que Suna était entré dans leur vie. Et dire qu'il y a quelques semaines, Osamu entrait à l'hôpital avec une entorse au genoux droit et le poignet gauche cassé. Depuis il s'était bien remis, il n'avait plus d'attelles et Atsumu n'avait plus ses béquilles. Cependant, ils n'avaient pas repris le volley-ball.
   La première raison était qu'ils devaient encore faire attention, et reprendre doucement le sport. Le volley étant un sport qui demande beaucoup d'effort, et que les jumeaux se donnent à fond, ils ne pouvaient pas se permettre de reprendre d'un coup. La seconde raison était qu'ils étaient punis pour « avoir fait les imbéciles dans les escaliers » d'après leur père. On pouvait même ajouter une troisième raison pour Osamu, qui était tout simplement Suna. Il n'allait quand même pas perdre son temps à taper dans un ballon alors qu'il pouvait passer du temps avec Suna. Surtout que plus les jours avançaient, plus il avait l'horrible impression que leur temps accordé n'était pas indéfini...
   — Hé, t'aurais pas oublié de me dire quelque chose, demanda soudain Atsumu.
   — Non.
   — Vraiment, insista Atsumu avec un regard qui signifiait qu'il savait déjà tout.
   — Mais de quoi tu parles ?
   Atsumu soupira de lassitude.
   — Tu aimes bien Suna n'est-ce pas, lança-t-il en haussant les sourcils.
   — Je ne resterai pas avec lui s'il m'agaçait, répliqua sèchement Osamu. Tu ne l'aimes pas toi ?
   — Je n'ai rien contre lui, mais il est un peu... asocial.
   Osamu fronça les sourcils. Suna n'était pas le plus bavard de leurs amis, et il aimait bien la solitude, et se montrait plutôt inexpressif et un peu froid, mais on ne pouvait pas le qualifier d'asocial pour autant.
   — Qu'est-ce que tu racontes ?
   — Il n'est pas très amusant, et un peu renfermé. C'est ennuyant.
   Osamu ne comprenait pas. Pourquoi son frère disait ça de Suna, alors qu'il l'aimait beaucoup ?
   — J'ai vu mieux quoi, ajouta Atsumu d'un ton monocorde.
   — Physiquement ?
   — Aussi oui, le style cadavre c'est pas trop mon truc.
Osamu fusilla du regard son frère.
   — Ça va pas de dire ça, s'écria Osamu avec colère. Retire ça tout de suite, il y peut rien s'il est...
   Le jeune homme fut stopper dans son élan de rage par un éclat de rire. Et il se permettait de se moquer ?
   — Oh mon dieu, j'en étais tellement sûr, s'écria Atsumu en frappant dans ses mains.
— De quoi tu parles, demanda son jumeau avec froideur.
— Que tu réagirais comme ça ! Je le savais ! Je te connais par cœur !
— Qu'est-ce que tu racontes, dit Osamu, bien qu'il commençait avec comprendre où son frère voulait en venir.
— Je m'en doutais déjà depuis un moment, mais là on peut dire que j'en ai la confirmation ! En fait, Suna tu l'aimes vraiment beaucoup, expliqua Atsumu avec un regard insistant.
— Vraiment beaucoup, répéta Osamu.
— Oui oui.
— Pourquoi est-ce que tu dis ça ?
— Tu te serais pas énervé comme ça sinon.
— N'importe quoi. Tu dis du mal d'un de mes amis, c'est normal que je m'énerve, répliqua le jeune homme d'un ton énervé.
— D'habitude tu ne t'énerves pas aussi vite, parfois tu me laisses même critiquer en silence, assura Atsumu en hochant la tête.
Osamu se leva et se détourna de son frère. Il alluma la plaque chauffante de la cuisine et posa une poêle dessus, en faisant fondre du beurre dedans.
— Et j'ai plein d'autres preuves pour justifier que tu aimes beaucoup Suna, dit Atsumu, qui n'avait pas l'attention d'arrêter la conversation là.
Osamu ferma les yeux un instant. Peut-être que s'il ne répondait pas grand chose, Atsumu allait lâcher l'affaire ? Non, c'était mal le connaître.
— Pour commencer, tu cuisines pour lui, ensuite tu-
— Je cuisine pour vous aussi, coupa Osamu en faisant couler de la pâte dans la poêle.
— Non pas du tout. Tu ne cuisines que pour toi, et pour papa et maman quand ils le demandent, mais tu ne fais jamais rien pour moi ! Ni pour les autres de l'équipe.
Et ça l'étonnait vraiment ? Osamu aimait beaucoup cuisiner, alors quand on lui demandait de faire quelque chose, il le faisait sans problème. Mais quand Atsumu lui demandait à manger, il ne lui donnait rien. Tout simplement parce que c'était Atsumu. C'était vraiment étonnant ?
— En plus tu ne fais pas du tout la même tête quand tu cuisines pour Suna que pour nous. Tu t'appliques beaucoup plus pour lui, ajouta Atsumu.
— Je m'applique toujours, répliqua Osamu qui sentait un sentiment de malaise s'installer en lui.
— Ensuite, enchaîna Atsumu en ignorant Osamu, tu vas le voir tous les jours et tu passes beaucoup de temps avec lui.
— C'est mon ami, c'est normal que je fasse ça.
— Tu fais des choses avec lui que tu n'aimes pas vraiment faire d'habitude, continua Atsumu. Tu lis avec lui, tu dessines avec lui, tu te ballades avec lui, tu regardes des films avec lui...
— Ça s'appelle l'amitié, je ne vois pas où est le problème...
— Tu parles plus avec lui qu'avec des gars que tu connais depuis le lycée ! Suna t'enlève ton asocialité !
— N'importe quoi.
— Et tu le regardes comme si c'était... comme si c'était un petit bébé tout fragile qu'il faut absolument protéger. Je ne t'ai jamais vu regarder quelqu'un avec autant de tendresse, s'exclama Atsumu.
Les joues d'Osamu s'empourprèrent doucement.
— Suna est fragile, justifia-t-il avec gêne. Je prends juste soin de lui et...
— Et c'est super mignon, compléta Atsumu.
Le jeune homme pouvait presque imaginer le sourire de satisfaction que devait porter son jumeau en ce moment même.
— Tu penses que je devrais venir moins souvent le voir, pour vous laisser plus de temps tous les deux, demanda Atsumu d'un air pensif. Et puis comme ça tu ne ressens pas de concurrence avec moi.
— Déjà, si je voulais Suna, tu ne serais absolument pas un danger, ensuite, tu sais très bien qu'il adore te voir. Si tu viens moins le voir sans raison, il va être triste. Déjà que son moral est mort à cause de ses traitements...
   Osamu baissa les yeux. C'était assez dur de voir le moral de son ami tomber en chute libre. Il avait beau vouloir rester indifférent, les médicaments qu'on lui administraient impactaient énormément son moral. C'était un des effets secondaires malheureusement.
   — Oui tu as raison. Tu penses que c'est bientôt fini ?
   Osamu réfléchit un instant. Il n'était pas médecin, il ne pouvait pas répondre précisément à la question. Surtout que l'état de Suna était particulier. Son système immunitaire s'en prendra toujours à lui, et les maladies s'installent à une vitesse folle dans son corps. Ses crises pouvaient durer plusieurs mois, mais chez Suna, rien n'était vraiment sûr.
   — Je n'en sais rien, dit alors Osamu.
— Hmm... Je vais continuer d'aller le voir alors, en plus il me préfère à toi donc c'est pas cool de le laisser tomber.
— Il ne te préfère pas du tout, contredit aussitôt Osamu en se tournant vers son frère.
Atsumu le regarda un instant en silence. Osamu se rendit compte qu'une expression de colère s'était installé sur son visage. Il se calma immédiatement et remit son masque d'impassibilité.
— Je prends cette réaction comme une preuve supplémentaire pour justifier que tu aimes beaucoup Suna, finit par dire Atsumu. C'est dingue comme c'est simple de te démasquer.
— ... Crois ce que tu veux.
— T'en fais pas pour ça, moi au moins je ne me voile pas la face.
— Moi non plus.
— Non à peine. Bon, tu vas le voir quand ?
   — Dès que j'ai fini.
— Ok...
Atsumu se tut et Osamu put se re-concentrer sur sa préparation. C'était presque fini, il allait pouvoir partir. Il versa les dernières louche de pâte dans la poêle et le fourra avec les haricots rouges. Normalement il avait bien suivit la recette, ça devrait aller. Une fois les taiyakis prêts, le jeune homme les enveloppa soigneusement de papier aluminium afin de conserver leur chaleur, et les plaça dans une boîte en plastique. Il lava rapidement les ustensiles qu'il avait utilisé et les rangea dans des placards, avant de quitter la cuisine en emportant les taiyakis.
— Tu y vas, demanda Atsumu en suivant son frère.
— Oui.
— Attends deux secondes.
Atsumu partit rapidement à l'étage. Osamu enfila ses chaussures, ainsi qu'un pull pour ne pas avoir trop froid. Il était encore trop tôt pour que l'air se réchauffe.
— Donne ça à Suna, dit Atsumu en revenant.
Il tendit une boîte blanche à son frère.
— Qu'est-ce que c'est, questionna son frère en prenant la boîte dans ses mains.
— C'est ma tablette.
— Tu veux que je la donne à Suna ?
— Je m'en sers pas, et puis il en a plus besoin que moi, expliqua Atsumu en haussant les épaules. Au pire si je la veux je n'aurais qu'à la reprendre, c'est juste pour que Suna ne s'ennuie pas pendant qu'il est à l'hôpital.
— Ok, je lui donnerai, mais viens pas te plaindre si t'as plus rien pour regarder tes matchs, s'exclama Osamu.
— J'ai un téléphone, un ordinateur, la télévision et je peux très bien aller chez Kita si je le veux, répliqua Atsumu. Bon allez vas-y, moi je vais aller faire des passes aux gars.
— Hésite pas à te blesser surtout, lança Osamu.
— Et toi hésite pas à te perdre loin dans la ville !
— J'essaierais, comme ça j'aurais plus à te voir tous les jours !
— Parfait, ça me fera des vacances !
Atsumu tira la langue à son frère, dans un élan de maturité probablement, et Osamu lui répondit avec un majeur levé. Il sortit de sa maison avec indifférence et traversa son jardin à grandes enjambées.
Osamu sourit en se disant que son frère et lui étaient aussi matures que des enfants de dix ans. C'était navrant, mais aussi hilarant.
Le jeune homme laissa ses pas le guider jusqu'à son ami, sans même faire attention au chemin qu'il empruntait. Il avait tellement pris l'habitude de faire le trajet jusqu'à lui qu'il n'avait plus besoin de réfléchir au chemin. C'était devenu mécanique, Osamu avait un intériorisé le chemin qui le conduisait à Suna, c'était devenu quelque chose de naturel. Ses pas le guidaient d'eux-mêmes à son nouvel ami.

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