❀ Les vieux souvenirs

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Osamu tourna la tête et regarda le paysage défiler. Il commençait à glisser d'un décor urbain à un décor plus vert. Les buildings disparaissaient, les lotissements d'habitations s'espaçaient, l'air pollué de la ville se purifiait, la route se mettait à serpenter le long des champs de riz. Des arbres s'élevaient autour d'eux, leurs branches qui retrouvaient leur feuillage de printemps formaient un dôme au dessus de la voiture qui filait dans la nature. Les rayons du soleil qui se réchauffaient doucement offraient une douce lueur dorée, les feuilles des arbres se découpaient dans sa lumière. Le printemps s'installait et chassait progressivement l'hiver.
   Les jours avaient passés depuis cette fameuse discussion entre Osamu et Suna. Ce dernier s'était encore amaigris, mais il avait réussi à minimiser les dégâts en faisant d'énormes efforts pour ne pas recracher tout ce qu'il avalait. Il tenait toujours debout, son énergie était toujours la même, et il vivait toujours, c'était le plus important. Et aujourd'hui, Osamu et Atsumu l'emmenaient enfin là où il le voulait.
   Osamu avait accepté de suivre son ami où il le voulait le jour où il lui avait demandé. Mais il avait posé une condition. Il devrait attendre que Atsumu sache un minimum conduire. C'était le seul des deux jumeaux à avoir passé le code, et à avoir pris des cours de conduite. Malheureusement, il n'en avait pas pris beaucoup, et avait arrêté depuis presque un an. Comme Osamu ne voulait pas tuer Suna dans un accident, il avait décidé qu'avant de l'emmener quelque part, Atsumu devrait reprendre des cours de conduite, pour se re-familiariser avec le volant.
   Suna avait donc patiemment attendu, sans jamais presser Atsumu, et s'était forcé à se soucier de son bien être, pour retrouver un minimum de force. Osamu n'avait même pas eu besoin de dire à son frère à quel point c'était important pour leur ami. Il l'avait compris tout seul, et s'était entraîné à conduire avec ses amis et un coach tous les jours. Bien sûr, il n'avait pas son permis, légalement, il n'avait pas le droit de conduire sans accompagnateur, et il ne savait pas faire grand chose (se garer par exemple, mais ce n'était apparement pas un problème), mais Osamu décida que c'était suffisant pour Suna.
   Voilà la raison pour laquelle les jumeaux Miya et leur ami étaient actuellement en voiture, en train de filer sur une autoroute qui menait vers un endroit reculé de tout. Osamu était à l'avant, près de son frère, et surveillait le moindre de ses gestes. Si au début il était juste un tout petit peu inquiet, sa légère panique avait angoissé Atsumu, et en le voyant stresser, Osamu s'était mis à paniquer encore plus. Résultat, les deux frères étaient plus qu'angoissés. La première raison était qu'ils n'avaient pas le droit de rouler sans permis, si la police les arrêtait, ça allait très mal se passer. La seconde raison était que si Suna avait un problème, ils n'avaient rien pour le soigner. Et la dernière raison était que Atsumu ne savait en réalité que rouler. Bon il savait s'arrêter bien sûr, mais il ne comprenait pas quand il fallait passer les vitesses, il ne savait qu'à moitié allumer ses phares et ses clignotant, évidemment il ne savait pas faire de créneau, et bien sûr, il avait calé trois fois avant de réussir enfin avant de démarrer. En plus bref, ce n'était pas gagner pour eux d'arriver sains et saufs.
   D'ailleurs Osamu ne savait même pas où ils allaient. Suna leur avait donné une adresse mais n'avait rien dit de plus, donc il ne savait pas où ils se rendaient vraiment, si c'était loin, à la campagne ou en ville, si c'était chez quelqu'un.
   Le jeune homme leva les yeux dans le rétroviseur (rétroviseur que Atsumu avait mis du temps avant de comprendre comment bien ajuster) et regarda son ami. Il était allongé sur la banquette arrière, les jambes repliées. Il regardait le paysage défiler derrière la fenêtre de sa portière. Il n'avait rien dit depuis le début du trajet, mais il n'avait pas l'air du tout angoissé, contrairement aux deux jumeaux.
   Atsumu freina d'un coup sec et Osamu sentit sa ceinture lui couper la respiration.
   — Qu'est-ce qu'il te prend ?!
   — Je me suis trompé de pédale !
   — Mais t'es stupide ou tu le fais exprès ?!
   — Tu veux que je conduise, demanda Suna en se relevant.
   Osamu se tourna vers lui avec surprise.
   — Tu sais conduire ?!
   — Non.
   — Alors pourquoi tu demandes, demanda le jeune homme d'un ton perdu.
   — Vu comment il conduit, je peux pas être plus nul que lui alors...
   Atsumu se tourna vivement vers son ami et le regarda avec un air indigné.
   — Non mais je rêve ! Je te signale que j'ai délaissé ma vie sociale pour pouvoir prendre des cours de conduite, tout ça juste pour toi alors tu pourrais au moins être reconnaissant, s'exclama Atsumu d'un air outré.
   — Et je le suis, c'est juste que ça ce voit que ça vous stresse que tu conduises, donc si tu veux je peux prendre ta place.
   Son raisonnement était tout sauf logique mais il attendrit les jumeaux Miya. Il voulait simplement qu'ils se détendent, comment pouvait-on lui reprocher de dire n'importe quoi ?
   — Mais toi ça ne te stresse pas que je conduise alors que je n'ai pas le permis, demanda Atsumu.
— Non je m'en fiche. Mais par contre évite de freiner comme ça, répondit Suna avant de se rallonger.
   — Je vais faire attention.
   Leur incroyable conducteur reprit la route et relança la voiture. Elle recommença à rouler sur l'autoroute et le décor se remit à défiler. Le silence oppressant qui s'était immiscé entre les trois garçons depuis le début du trajet s'était envolé, Osamu décida d'en profiter.
   — Où est-ce qu'on va, demanda-t-il avec curiosité.
   — Chez mes grands parents, c'est là-bas que j'ai passé toute mon enfance.
   — Ça veut dire qu'on va les rencontrer ?
   — Ils sont mort il y a longtemps, dit Suna avec indifférence.
   — Oh désolé...
   — Le soit pas, tu n'y es pour rien, enfin j'espère. En tout cas ils sont bien mieux là où ils sont, la mort est parfois préférable à la vie.
   Osamu échangea discrètement un regard avec son frère. Il ne releva pas cette dernière phrase, et empêcha sa conscience de faire le lien avec la situation de Suna.
   — Mais alors on ne pourra sûrement pas entrer dans leur maison, dit Atsumu d'un air concentré. S'ils sont mort, la maison a dû être racheté et doit être occupée.
   — Non, elle appartient toujours à ma famille mais elle est laissé à l'abandon parce que personne ne veut s'en occuper. On peut y entrer sans problème.
   — Ok... au fait, qu'est-ce que t'as dis aux médecins pour qu'ils te laissent sortir toute l'après-midi ? Tu vas peut-être bien depuis quelques jours, mais ça m'étonnerait qu'ils t'aient laissés sortir aussi facilement.
   — J'ai dit que j'allais me balader en ville, expliqua Suna d'une voix morose. J'avais préparé le terrain à l'avance, j'ai fait tout ce qu'ils me disaient de faire depuis une semaine, j'ai pris tous mes médicaments, j'ai mangé tout ce qu'on me donnait, et j'ai été très sage. Si on le veut vraiment, c'est pas compliqué d'amadouer des médecins.
   — Tu les as bien manipuler en fait, dit Osamu en haussant un sourcil.
   — Totalement oui. De toute façon ils ne le sauront pas donc tout va bien. Vous allez pas leur dire hein ?
   Suna avait demandé ça en se levant de nouveau, avec un regard suppliant pour les jumeaux.
   — C'est pas dans nos intérêts de te balancer, répondit Osamu.
   — Au pire on dira que tu t'es fait enlevé et qu'on t'a récupéré, suggéra Atsumu d'un air très sérieux.
   — Ce sera très crédible, tacla son frère.
   — T'as une meilleure idée ?!
   — Évidemment.
   — Alors dis-la espèce de crétin.
   — Dit celui qui ne sais même pas sur quelle pédale appuyer pour faire avancer une voiture, alors qu'il a pris des cours de conduites pendant plusieurs semaines.
   — Ha ha ha. En attendant toi t'as pas le code, tu sais même pas différencier un panneau « stop » d'un panneau « interdit de stationnement ». La honte.
   — Parce que toi tu sais peut-être ?
   — Bon c'est quoi ton idée ?
   — Ah tu changes de sujet, ça veut dire que tu sais pas non plus.
   — Aller dis !
   — Suna a dit qu'il allait se balader en ville, il a pas préciser laquelle, on a qu'à dire aux médecins que ça pouvait-être n'importe où.
   — C'est du foutage de gueule ça !
   — C'est du foutage de gueule logique !
   — Mais quel idiot, si tu oses sortir ça à un médecin il va te détruire et te bannir de l'hôpital !
   — N'importe quoi.
   — Et Naomi elle va te tuer avec une seringue si tu lui dis ça !
   — C'est déjà mieux que ton excuse d'enlèvement !
   — Pas du tout, moi au moins elle est crédible.
   — Laisse moi rire, en quoi est-ce qu'elle est crédible ?!
   — En tout !
   — À quel moment Suna se ferait enlever, et à quel moment c'est nous qui le récupérions et pas la police ?!
   — Bah c'est comme ça dans les films. T'en regarderais avec Suna tu le saurais mais comme tu le fais jamais, contrairement à moi, et ben forcément tu sais pas.
   — Rassures moi, tu es au courant qu'on est pas dans un film ?
   — Les films ils sont tirés de quoi ? De la vraie vie espèce de con.
   — C'est toi t'es con avec tes idées merdiques.
   — Pardon ? Pardon ?! T'assumes juste pas de...
   Osamu vit soudain Suna apparaître près de lui. Il tendit son bras vers le volant et appuya d'un coup sec sur le klaxon, provoquant un bruit assourdissant qui fit immédiatement taire les jumeaux. Ils sursautèrent en même temps et Atsumu freina brusquement. Une nouvelle fois, Osamu fut projeter en avant et sa ceinture le retint en lui coupant le souffle. Suna ne prêta pas attention au choc de l'arrêt soudain de la voiture. Il se détacha et sortit de la voiture.
   — Revenez me voir quand vous aurez grandis.
   Il claqua la portière derrière lui et s'en alla dans la forêt. Osamu le suivit des yeux avec incrédulité, Suna était vraiment en train de partir dans la forêt ? Pour aller où ? Dans quel but ?
   — Tu crois qu'on l'a énervé, demanda Atsumu, qui regardait aussi Suna s'éloigner.
   — Tu m'épuises Tsum. Bien sûr qu'on l'a énervé. C'est de ta faute tout ça !
   — Bon va le voir, moi il me fait peur quand il est en colère.
   — Mais t'as quel âge, s'exclama Osamu d'un air exaspéré.
   — Le même que toi, avec quelques minutes de plus donc respectes moi et va le chercher avant qu'il se perde !
— Non c'est toi qui l'as contrarié en disant n'importe quoi, alors c'est à toi d'aller le voir.
Atsumu croisa les bras sur sa poitrine d'un air buté et son jumeau l'imita. Les deux frères restèrent dans cette position plus d'une minute, fixant devant eux avec agacement.
— En plus Suna c'est aussi un gamin que nous, dit soudain Atsumu.
— C'est vrai.
— Il fait plein de bêtise à l'hôpital.
— Tu as raison.
— Il se fait tout le temps engueuler par les médecins.
— Tout le temps.
— Donc il est mal placé pour parler.
— Totalement.
— Et on a rien fait de mal, on ne fait que l'aider.
— Que l'aider, répéta Osamu en acquiesçant.
— C'est un ingrat.
— Oui.
Atsumu se tut et continua de fixer la route devant lui. Les deux jumeaux attendirent patiemment que Suna revienne, mais après quelques minutes de silence, ils tournèrent leur tête vers la droite et virent que leur ami s'était bien éloigné d'eux.
— Il part vraiment sans nous, dit Osamu sans comprendre.
— J'en ai bien peur.
— Et bien il n'a qu'à rester tout seul.
— Oui, puisque de toute façon on est pas assez grand pour lui.
Une minute de silence passa, puis les jumeaux s'échangèrent un regard.
— Je vais quand même avec lui parce que je le préfère à toi, dirent-ils en même temps.
   Osamu sortit de la voiture, imité par son frère.
   — Mais gare la voiture crétin ! Imagines il y a une autre voiture qui arrive, lança Osamu avec désespoir face à tant de stupidité.
   — Mais je sais pas faire, et en plus tu veux que je la gare où ?!
   — Quel boulet... décales-la au moins sur le côté de la route.
   Atsumu s'exécuta sans broncher, pour une fois, et fit rouler la voiture sur l'herbe près de la route. Une fois qu'il eut terminé, il sortit de la voiture et les deux frères entrèrent dans la forêt, suivant les traces de pas de Suna.
   — Suna ! Suna reviens on est désolés, cria Osamu en essayant de rattraper son ami.
   — Mais oui, promis on se disputera plus devant toi, assura Atsumu.
   Suna qui marchait plus loin devant eux, ne fit pas du tout attention à eux et continua d'avancer. Les jumeaux Miya parvinrent à rattraper le jeune homme et marchèrent derrière lui en silence. Suna faisait comme s'ils n'étaient pas là, Osamu n'arrivait pas à savoir s'il était réellement en colère ou s'il voulait juste retrouver le silence.
   Au bout d'un moment de silence, le jeune homme remarqua que son ami les avait conduit sur un chemin de terre, alors il savait où il était ? Il n'était pas parti dans la forêt au hasard ? Le long du chemin, les arbres se faisaient plus nombreux, et leur feuillage devenait plus touffu, le soleil peinait à passer à travers les branches. Ils s'enfonçaient dans la forêt, Osamu n'avait aucune idée d'où ils allaient mais il faisait confiance à son ami. Il avait dit qu'il lui suivrait où il voulait.
   — Je ne vous en veux pas vous savez, je ne veux juste pas que vous vous disputiez devant moi, tout ça c'est déjà assez dur à supporter, si en plus vous vous engueulez à cause de moi...
   Osamu ne sut pas quoi répondre, il ne voulait pas Suna culpabilise pour rien, encore moins par sa faute. Mais comment pouvait-il lui dire ça sans être maladroit. Il savait ce que Suna ressentait. Il devait penser qu'il causait des problèmes aux jumeaux, de part son état, alors que ce n'était pas du tout le cas. Osamu voudrait lui dire qu'il ne lui poserait jamais de problème, quelque soit son état, et que même s'il le faisait, ce n'était pas grave car toutes les difficultés que Suna déposait dans sa vie n'étaient rien comparé au bonheur qu'il lui apportait. Il pouvait lui demander de faire ce qu'il voulait, peu importe les conditions, peu importe les difficultés, Osamu le ferait, et il était sûr que Atsumu aussi.
   Mais comment lui faire comprendre ? Les mots lui manquaient, aucun ne correspondaient parfaitement pour décrire ce que Osamu pensait.
— Mais du coup si les médecins nous interrogent, tu préfères qu'on raconte la version de Sam ou la mienne, demanda Atsumu comme si de rien n'était.
Osamu fusilla son frère du regard, mais Suna laissa échapper un rire.
— Aucunes, je me débrouillerais tout seul, c'est plus sûr, dit leur ami en souriant. Regardez, on est arrivé chez mes grands-parents.
   Effectivement, les trois jeunes hommes étaient arrivés devant une ancienne bâtisse.
   La maison des grands-parents de Suna était construite dans un style traditionnel, elle ne comportait qu'un étage, ses parois étaient en bois. Suna s'avança lentement, il redécouvrait le lieu de son enfance.
Il entra dans la maison et Osamu le suivit. Il faisait plus frais à l'intérieur qu'à l'extérieur. Un tatami usé par le temps couvrait le sol, il était délavé, terni, effilé par endroit. Autrefois il devait être brillant et parfaitement lisse. L'intérieur n'était pas très rempli, mais il était soigné. Le peu de meuble présent craquaient sur le passage des garçons, les portes coulissantes et les vérandas en bois étaient humides, comme si elles avaient pris l'eau. Les futons des chambres étaient encore sortis, et défais, comme si les grands-parents de Suna n'avaient pas eu le temps de les ranger. Dans la cuisine, un placard de rangement était ouvert, et laissait voir des paquets de nourriture périmée. Dans la salle de bain, il n'y avait qu'une baignoire, une sorte de trou avait été fait dans le sol pour y déposer du bois. Osamu reconnaissait ce système. Il fallait faire un feu et ensuite décaler la baignoire sur le trou pour chauffer l'eau. Des bûches pourries jonchaient dans le creux, et la façon dont était placé la baignoire laissait penser que la personne qui voulait se doucher n'avait pas eut le temps.
Cette maison était très ancienne, elle n'avait dû subir aucun changement depuis sa construction. Le temps avait marqué de son empreinte la bâtisse, c'était comme si elle disparaissait un peu plus chaque jour. Ici la vie semblait s'être arrêtée à la mort des grands-parents de Suna, personne n'avait touché à rien, ni ranger ce qu'il fallait. La maison était restée dans l'état où elle était lorsque ses hôtes l'avaient quittés.
La seule chose qui avait forcément changé, c'était le petit hôtel installé dans l'espace réservé à la vie familiale. Des bougies consumées, d'une belle couleur jaune, étaient posés au sol, derrière plusieurs bâtons d'encens. Un cadre était posé derrière, il représentait une femme et un homme âgés. Les deux avaient des cheveux gris, la femme avait les mêmes yeux que Suna, Osamu le remarqua tout de suite. Cependant, contrairement à son ami, son visage était bien plus expressif. Elle avait un regard bienveillant, doux, plein d'amour. Elle regardait son mari avec tendresse, les deux étaient très beaux sur la photo.
Un deuxième cadre se trouvait près de celui des grand-parents. Mais celui-là était vide, comme si la personne qui allait l'occuper n'était pas encore arrivé. Osamu le regarda longtemps, pourquoi ce cadre était vide ? Qui l'avait placé là ?
— C'est quoi ce cadre, demanda Osamu à Suna, qui était près de lui.
— Je ne sais pas.
Suna attendit un instant, cherchant une meilleure réponse.
— La photo qui était dedans s'est peut-être envolée. Ou alors il est pour quelqu'un d'autre.
Peut-être...
Suna se détourna de l'hôtel et entraîna les jumeaux vers un cloison en bambou. Il l'ouvrit avec délicatesse. Elle donnait sur un grand jardin, qui délimitait la forêt de la propriété. Ce jardin devait être entretenu autrefois, mais à présent il avait retrouvé l'état sauvage. Une source naturelle d'eau formait une petite rivière, dans laquelle toutes sortes de plantes s'étaient mises à pousser. L'eau était parfaitement propre cependant, elle luisait sous les doux rayons du soleil, et s'écoulait en jouant une apaisante musique. La rivière tombaient en petit cascade dans un bassin, un peu plus loin. C'était de l'eau purificatrice, elle était entouré d'herbes hautes, et de grands arbres de pin. Ce jardin reflétait parfaitement l'ancien Japon et l'esprit zen que recherchaient les familles de cette époque.
Suna s'avança vers la rivière et s'accroupît devant. Osamu le regarda observer son reflet dans l'eau en silence, il ne voulait pas s'approcher, pour le laisser seul avec ses souvenir.
Suna plongea ses mains dans l'eau pure et laissa le faible courant les emporter. Il attendit un instant puis enleva ses chaussures, pour ensuite mettre ses pieds dans l'eau.
— Quand j'étais petit et que j'étais triste ou malade, mon grand père me disait de me baigner ici pour me purifier des ondes négatives et pour que tout aille mieux, raconta Suna d'une voix lointaine.
— Et ça marchait, demanda Atsumu qui les avait rejoint dehors.
Suna s'avança dans la rivière, sans prendre la peine de relever le bas de son pantalon pour qu'il ne soit pas mouillé.
— Il faut croire que non, répondit-il avec un triste sourire.
Osamu déglutit avec difficulté.
Son ami arriva au niveau de la cascade. Il ne se posa pas plus de question et enleva son bas.
— Qu'est-ce que tu...
Osamu n'eut pas le temps de terminer sa phrase que Suna entra dans le bassin. L'eau lui arrivait au niveau des clavicules. Il faisait peut-être bon dehors, mais elle devait être glacée, ce n'était pas une bonne idée que Suna se baigne dedans.
— Suna...
Il ne l'écouta pas du tout et fit couler de l'eau sur ses bras. Son ami était une vrai tête de mule, mais là il se mettait en danger pour rien. Après tout, il avait dit lui même qu'un simple rhume pouvait le tuer, alors s'il tombait malade...
   Mais Osamu n'osait pas dire à Suna de sortir. Il sentait qu'en cet instant précis, quelque chose le séparait de Suna, comme un mur de glace qui s'était dressé entre eux deux, il n'avait jamais eu l'impression d'être aussi loin de son ami. De son côté, Osamu regardait Suna au loin, chercher vainement le bonheur et l'insouciance de son enfance, tenter de retrouver ces temps où tout allait bien, la pureté du jeune âge, quand il n'était pas encore pas encore rongé par son mal être.
   Au fond, Osamu avait le sentiment que son ami disait adieu à tout ça, sa famille, son passé, sa légèreté, sa liberté, son bonheur. Il faisait le deuil de sa vie passée, et pour la première fois depuis qu'il le connaissait, le jeune homme eut l'impression de ressentir ce que Suna éprouvait. La solitude devait l'étouffer, personne de sa famille ne venait souvent le voir, exceptée sa sœur. Il devait se sentir tellement mal d'être malade, tellement coupable et abandonné à sa souffrance.
   Comment pouvait-il supporter tout ça, tout ces traitements, son corps qui changeait, tout son être qui le lâchait. Comment pouvait-il ne jamais se plaindre ? Ne jamais craquer ? Toujours rester indifférent à tout ? Prendre le temps pour les jumeaux et leur donner l'amour qu'il ne recevait pas ? Comment ?
   Chaque jour, Osamu voyait son ami tomber un peu plus dans le ravin qui s'ouvrait sous ses pieds. Il le voyait descendre aux enfers dans une lente torture et il ne l'avait pas entendu une fois se plaindre. Il l'admirait tellement pour ça, Suna était bien plus fort que les autres, il était incroyable.
   Osamu regarda longuement son ami. Il refusait toujours de se séparer de lui, mais là Suna en avait besoin.
   — Tu veux qu'on te laisse, demanda alors je jeune homme.
   — Oui, répondit simplement Suna.
   Osamu le regarda encore quelques secondes, comme s'il avait peur qu'il ne s'envole ou disparaisse, puis il le laissa seul avec ses souvenirs.

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