❀ Des pilules colorées

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Le sang d'Osamu ne fit qu'un tour. Il se glaça dans ses veines, son cœur s'éteignît sans passer par la case « accélération du rythme cardiaque », et son esprit cessa de fonctionner pendant une minute. Incapable de bouger, il fixa le corps inerte de son ami. Il ne pouvait pas bien voir son visage, ses cheveux le barraient, mais il pouvait voir que sa peau était si pâle que ses veines transparaissaient.
Il ne portait pas de masque respiratoire, ni de canule, comme il avait l'habitude de le faire ces derniers temps, et la perfusion qui aurait dû se trouver dans son bras pendait dans le vide près de lui.
Osamu détourna lentement les yeux de son ami. Le cardiogramme qui montrait les battements du cœur de Suna n'avait jamais autant ressemblé à une simple ligne verte. Les courbes qui représentaient ses battements de vie étaient si petite que c'était à s'en demander si son cœur marchait encore.
Pendant de longues minutes, le jeune homme regarda le cardiogramme retracer la vitalité de son ami. Il avait l'impression de ne rien voir, que tout était flou, si bien qu'il avait l'impression que les minuscules bosses de la courbe du cardiogramme n'étaient qu'un effet de son imagination. Lentement, son regard glissa sur les médicaments qui gisaient au sol.
Les rouages de son cerveau se réactivèrent peu à peu, il commençait à établir un lien entre la scène qui s'offrait à lui et ces médicaments. Sans qu'il ne sache pourquoi, les paroles de son frère vinrent soudain s'afficher dans son esprit. « C'est de la négligence, imagine que Suna ait des pensées suicidaires et décide de tout arrêter d'un coup ? Il a tout à disposition là. »
— Maman va chercher quelqu'un, dit Osamu d'une voix sourde.
Sa voix lui paraissait lointaine, comme si ce n'était pas la sienne et qu'elle lui était étrangère. Sa mère lui répondit quelque chose mais il ne comprit pas quoi. Sa voix résonnait comme un faible écho à ses oreilles, il ne l'a reconnaissait pas non plus.
   Le jeune homme s'avança vers son ami. Son corps agissait sans qu'il ne s'en rende compte, il ne sentait même pas ses jambes s'actionner.
   Osamu arriva près de Suna et fixa les pilules qui couvraient le sol. Son regard alterna entre elles et le corps de son ami.
   — Mais qu'est-ce que t'as fait Suna, murmura-t-il d'une voix perdue.
   Il regarda son ami avec désespoir, il s'attendait à ce qu'il se relève comme si de rien n'était et lui réponde à sa question. Mais il n'en fit rien et resta inconscient, uniquement rattaché à la vie par le cardiogramme qui prouvait que son cœur luttait pour continuer de battre.
   Osamu eut la bonne idée de récupérer la canule qui trainait sur l'oreiller de Suna et de lui remettre délicatement, pour lui rapporter de l'air.
   — Hé... hé Suna réveille toi, supplia Osamu en secouant les épaules de son ami.
Contre toute attente, son ami remua faiblement dans son lit. Le jeune homme écarquilla les yeux alors que la tête de Suna se tournait très lentement vers lui.
   — Suna, murmura Osamu sans comprendre.
   Il pensait qu'il était inconscient, comme pouvait-il encore ouvrir les yeux ? Son ami releva les yeux vers lui et essaya de faire le point sur son visage. Son regard était brumeux, vitreux, le vert de ses iris s'effaçait derrière l'eau qui embuait ses yeux. Il devait voir tout flou. Il papillonna des paupières en tentant vainement de se relever, mais ne parvint pas à s'appuyer plus de deux secondes sur ses faibles bras. Il avait l'air à bout de force, son corps semblait ne plus répondre à ses commandes et son esprit ne devait plus fonctionner correctement.
— Non non bouge pas, les médecins vont arriver, dit Osamu en repoussant doucement Suna dans son lit.
— ... qui... ?
— Les médecins, ils vont venir te soigner.
   Les pupilles de Suna étaient tellement dilatées que ses iris devenaient presque noir. Il ne semblait pas voir Osamu, c'était comme s'il ne le reconnaissait pas, ou à peine.
— Pourquoi vous êtes trois, murmura-t-il d'une voix à peine audible.
— Quoi, demanda Osamu qui n'avait pas entendu.
— Vous êtes trois...
Le jeune homme fronça les sourcils. Il regarda autour de lui mais il n'y avait personne d'autre. Suna devait voir triple.
— Qu'est-ce que t'as fait ?
Les iris de son ami glissèrent un instant entre lui et des points invisibles autour de sa tête.
— T'es... Osamu... ou Atsumu... ?
C'était la première fois qu'il n'arrivait pas à différencier les deux jumeaux. Même depuis leur rencontre, il ne s'était pas une seule fois trompé sur qui était Osamu et qui était Atsumu.
— Osamu. Tu ne me reconnais pas ?
Suna secoua faiblement sa tête. Osamu le regarda avec peine, il plongea sa main dans les cheveux de son ami et le caressa avec douceur.
— C'est pas grave...
Son ami cligna des yeux, comme s'il n'avait pas compris.
— ... je suis où... ?
— À l'hôpital.
— ... qu'est-ce que je fais là... ?
— Tu... tu es malade.
— ... ah bon...
Osamu acquiesça. Pour que Suna ne se souvienne plus de ça, il devait avoir prit vraiment beaucoup de médicaments. Mais pourquoi en avait-il pris autant ? S'il voulait une réponse à cette question, il allait devoir attendre que son ami retrouve ses esprits.
— Pourquoi... pourquoi t'as les cheveux gris, murmura son ami au bout de quelques secondes.
— Quoi, demanda le jeune homme sans comprendre.
— ... t'as les cheveux gris...
— Parce que j'avais envie. Et comme ça les gens me différencient plus facilement d'Atsumu.
— ... qui... ?
— Atsumu, mon jumeau.
— ... ah bon... pourquoi t'as un jumeau... ?
Osamu regarda Suna avec incrédulité. Qu'était il sensé répondre à cette question ? Lui expliquer toute la conception de deux jumeaux ou simplement lui dire que c'était ainsi point ?
— Parce que c'est la vie, dit-il alors.
— ... ah bon... et pourquoi... c'est toi Osamu... ?
— Parce que.
— ... ah bon... et pourquoi t'es... pourquoi t'es un garçon... ?
Suna se posait vraiment des questions existentielles quand il était défoncé. Le voir comme ça pourrait paraître amusant, l'entendre poser des questions sans importance, d'une toute petite voix perdue, avec un regard absent, ça pouvait faire rire. Mais Osamu avait tout sauf envie de rire. Voir son ami comme ça était juste horrible.
Il n'eut pas le temps de répondre à la question de Suna, des infirmières et un médecin arrivèrent dans la chambre, ce qui signifiait qu'il allait devoir sortir. Il se leva pour céder la place au personnel soignant, mais sentit soudain une faible pression sur son poignet.
— ... pars pas...
— Je reviendrais très bientôt, promit Osamu en s'accroupissant devant son ami pour le regarder dans les yeux.
— ... qu'est-ce qu'ils vont me faire, murmura Suna en parlant des personnes autour de lui.
— Ils vont t'aider à aller mieux, expliqua le jeune homme d'un ton rassurant.
— ... ça va me faire mal... ?
Le médecin, qui était près d'Osamu, s'approcha avec l'aiguille de la perfusion, qu'il avait changé en arrivant dans la pièce, et la montra à Suna.
— Regarde on va te mettre ça dans le bras, tu vas avoir un peu mal mais on t'a déjà fait ça alors tu as l'habitude, expliqua-t-il. Tu ne vas rien sentir parce qu'on va t'endormir avec le masque que tu vois là, tu auras juste mal au réveil.
Suna cligna des yeux et resserra sa main sur le poignet qu'il tenait.
— ... ça me fait peur...
— Je peux rester avec lui jusqu'à ce qu'il s'endorme, demanda aussitôt Osamu.
— D'accord, dit le médecin.
Le jeune homme prit alors la main de son ami et la serra pour le rassurer. Il continua de lui caresser les cheveux alors qu'une infirmière déposait une masque sur sa bouche et son nez. Au bout de quelques secondes à respirer le gaz soporifique, les yeux de Suna papillonnèrent et il finit par tomber endormi. Il n'en fallut pas plus pour que Osamu se fasse mettre à la porte.

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