Chapitre 31

154 24 1
                                    

Meng Yao et Lan Sizhui suivaient docilement le chef des gardes Jin, qui leur fit traverser le Jardin fleuri pour se rendre aux appartements de leur zongzhu, quand Sizhui vit voleter sous ses yeux un papillon Lan qu'il attrapa discrètement. À quelques pas devant lui, LianFang-Zun tentait d'avancer, sans se laisser absorber dans la contemplation des tableaux qui ornaient les murs de l'étude.
— On dirait qu'ils sont à votre goût... le taquina-t-il.
— C'est vrai, je trouve qu'ils dégagent beaucoup de sensibilité.
Ces œuvres aux douces teintes pastel exerçaient sur Meng Yao une attirance inexplicable. Il ignorait qu'il s'agissait de peintures sur le thème des Quatre Saisons, que Lan Xichen avait réalisées à son intention des années plus tôt, et qu'il avait lui-même accroché aux murs de son bureau. Sa mémoire avait effacé ces souvenirs de son passé. En revanche, tout ce que Meng Yao pouvait observer, apprendre ou découvrir, depuis qu'il était ressuscité, était soigneusement compilé et organisé par son esprit agile, pour aussitôt devenir source de connaissances nouvelles.
Meng Yao aurait bien examiné de plus près ces toiles. Hélas, les sentinelles veillaient dans son dos, l'empêchant de traîner sur le chemin menant jusqu'à la chambre de Jin Rulan.
— Veuillez ne pas vous attarder ni vous égarer dans des lieux sans rapport avec la guérison de notre chef de secte ! lui rappela sèchement l'un deux, en l'approchant à le bousculer.
Bientôt, ils arrivèrent en vue d'un bâtiment grandiose à cinq crêtes dont le toit était recouvert de tuiles vernissées et brillantes, et l'extérieur hérissé de trente-deux piliers d'or sculptés de pivoines. Le Palais parfumé. Alors qu'ils allaient y pénétrer, Sizhui ralentit le pas pour s'appuyer à l'une des colonnes.
— Je vous rejoins dans une minute, expliqua-t-il. Je dois envoyer un message à mon père.
LianFang-Zun lui lança un regard aigu, avant de se résigner à suivre les gardes. Ce n'était pas tout à fait un mensonge ; il tardait à Sizhui de pouvoir s'isoler quelques instants, pour déchiffrer le papillon reçu plus tôt. Pendant qu'il le dépliait, le chien spirituel de Jin Ling vint renifler le bas de ses robes, en guise de salutations.
— Ah, Xianzi, tu es là... Voudrais-tu, s'il te plaît, accompagner LianFang-Zun jusqu'à ton maître ? J'ai peur qu'il se sente un peu seul et en terrain hostile, et te voir lui fera le plus grand bien ! De toute façon, le temps de m'occuper d'un ou deux messages et je suis à vous tout de suite !
Le canidé laissa échapper un jappement pour signifier qu'il avait compris, et s'en fut en trottinant. Bien sûr qu'il allait retrouver Shufu et lui apporter son soutien, cela allait de soi ! Dès que Sizhui fut sûr que Xianzi partait bien rejoindre LianFang-Zun, il ouvrit son message et le lut.
C'était HanGuang-Jun qui lui apprenait que son oncle Xichen avait été blessé, et qu'il le prenait en charge à YunShen Buzhi. Néanmoins qu'A-Yuan ne s'inquiète pas, poursuivait son père, Jiang Cheng et Wei Wuxian étaient sur la route de JinlinTai pour prêter main forte à tous ceux qui voulaient secourir leur neveu.
Par tous les dieux, j'espère que Zewu-Jun n'est pas trop gravement atteint, et que Père et Jiang-zongzhu vont arriver au plus vite ! Et que va faire LianFang-Zun, s'il a vent de ces nouvelles ? Oncle Ning lui aussi doit se demander s'il faut qu'il vienne aider, ou s'il vaut mieux pour l'instant qu'il reste caché, comme nous en étions convenus...

* * * * * * * * * * *

Lan Wangji décida de ne pas tenter sa chance jusqu'à YunShen Buzhi et stoppa sa progression dès qu'il put trouver un lieu suffisamment abrité pour s'y attarder quelques heures. Il installa son frère le plus confortablement possible dans une clairière et sortit son guqin pour lui prodiguer les premiers soins d'urgence.
Rares étaient les occasions où il s'était ainsi senti pris entre deux feux. Fallait-il risquer le tout pour le tout et achever un plus long voyage pour rentrer au plus vite et profiter des instruments plus sophistiqués de la secte, ainsi que des capacités des disciples qui s'y trouvaient, au risque que ce temps perdu ne condamne Xichen ? Sentir le Qi de son aîné s'amenuiser au fur et à mesure de leur progression l'avait mis au supplice et pressé de prendre cette décision, qu'il craignait de regretter plus tard. Si les soins apportés ici, dans cette forêt perdue, loin de tout, ne suffisaient pas à le maintenir en vie, alors il serait trop tard et toute la connaissance et les arts de sa secte n'y pourraient rien.
Il ferma les yeux et se concentra sur sa musique, décidant de repousser aussi loin que possible ces préoccupations qui ne faisaient qu'altérer les soins. Les disciples qui l'accompagnaient, conscients des doutes qui le tourmentaient, eurent la sagesse de ne faire aucun commentaire et de profiter de cette pause pour reprendre eux aussi un peu d'énergie. Après quelques heures, l'un d'eux informa en toute discrétion ses compagnons qu'il partirait devant et préviendrait la secte Lan, de manière à ce qu'elle se prépare à l'arrivée du blessé. Ils ne dérangèrent pas Hanguang-Jun, et veillèrent en silence, emplis de leurs responsabilités.
Lan Wangji loua l'initiative des cultivants, lorsqu'il stoppa enfin les soins pour reprendre la voie des airs. Arrivé à YunShen Buzhi, le chef de secte reçu l'attention de chacun, et les disciples se relayèrent pour lui apporter leur soutien. Nul ne ménagea sa peine, et ceux qui n'étaient pas en état d'utiliser avec suffisamment de talent le guqin soulagèrent leurs semblables, en prenant en charge toutes les tâches de la vie quotidienne.

* * * * * * * * * * *

Pendant ce temps, l'animal de compagnie de Jin Rulan sur les talons, Meng Yao encadré par les gardes était entré dans le Palais parfumé. L'intérieur en était somptueusement décoré, avec de nombreuses couches de voile colorées, qui s'étalaient en cascade sur le sol. Dans le couloir qui menait aux appartements du chef de clan, un brûle-encens en forme d'oiseau diffusait des arômes odorants. Tout ici n'était que luxe, calme et volupté.
Mais au moment où ils s'apprêtaient à entrer dans la pièce où reposait Jin Ling, Meng Yao sentit l'artefact enfoui au fond de sa poche prendre vie et trépider sous ses robes, tel un animal impatient d'en découdre. Les lanternes accrochées au plafond commencèrent à osciller et les rideaux de gaze à flotter mollement, avant de claquer à grand bruit. Or, il n'y avait pas le moindre souffle de vent... Xianzi se mit à aboyer.
— Que se passe-t-il ? s'alarma Sizhui, qui accourait du fond du couloir.
— Je crois que l'Amulette a détecté quelque chose... murmura Meng Yao, sur un ton incertain.
Formé dans la prestigieuse académie Lan, Sizhui, qui avait appris la magie et les techniques de combat pour vaincre les ennemis démoniaques, en déduisit aussitôt que la « chose » que le fétiche avait repérée se trouvait dans la chambre d'A-Ling. En effet, dès qu'ils en eurent franchi le seuil, des ombres noires aux yeux rouges incandescents se matérialisèrent dans la pénombre. Des démons.
Sans perdre une seconde, le jeune et brillant cultivant brandit l'épée qu'il avait hérité de son père en direction des créatures, en prononçant une incantation. Des ondes bleues et vertes de pouvoir envahirent la pièce, purifiant l'atmosphère, serpentant entre les meubles et au-dessus de la couche d'A-Ling, jusqu'à parfait anéantissement de leurs cibles qui se dissolvaient dans l'air, comme si elles n'avaient jamais existé.
— Qu'est-ce que c'était ? demanda Meng Yao, la voix blanche.
— Oh, rien de grave ! lui répondit le médecin, qui ne s'était pas manifesté jusque-là. De simples goules d'appartement, qui ont cru pouvoir profiter de l'appel du Sceau-Tigre, pour dévorer en cachette notre zongzhu ! Manque de chance pour elles, le fils du Yiling Laozu semble maîtriser à la perfection le maniement de l'énergie purificatrice !
Ce disant, il observait discrètement Meng Yao, avec une sorte de convoitise qui n'échappa pas à ce dernier. Un drôle de sourire plana sur son visage pendant qu'il le détaillait, comme s'il cherchait à évaluer ses forces.
Pauvre fantoche ! Tu crois que je ne devine pas ce que tu as en tête ? Tu aimerais bien savoir où j'ai caché cette Amulette et si tu as une chance de la récupérer ? Cours toujours, mon beau ! Je suis bien placé pour savoir le genre de folies auxquelles les hommes sont prêts pour obtenir ce joujou. Mais moi vivant, cet objet restera dans cette pièce pour guérir Jin Ling, ensuite je le restituerai à son créateur pour qu'il le détruise une bonne fois pour toutes !
Quant à Lan Sizhui, il s'était rapproché du lit où Jin Ling était allongé, toujours aussi désespérément inconscient. De grosses taches violacées de malédiction s'étalaient désormais sans complexe sur tout son torse, et gagnaient à présent son cou. Son pouls était faible, ses lèvres sèches, son visage émacié.
— En parlant d'énergie purificatrice, souffla Sizhui le cœur serré, en caressant du bout des doigts la joue d'A-Ling, ne serait-il pas temps maintenant de procéder à la cérémonie de désenvoûtement ?
— Excellente remarque ! approuva le guérisseur, en fixant encore plus intensément Meng Yao. En tant qu'homme de l'art, je suppose que c'est à moi qu'il incombe d'officier, et de mener à bien cette opération délicate...
Il avait lâché cela sur un ton désinvolte, comme s'il s'agissait d'une évidence ; un choix qui tombait tout simplement sous le sens.

PhénixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant