« Eh, Liz ! Attrape ! »
Sur le visage de la jeune fille glissa lentement un lambeau d'algue brune.
Pouah !
Elise se gifla presque en voulant s'en débarrasser. Au loin, Ludwig riait dans la mer, le cheveu fou qui formait une crête d'un blond porcelaine.
« Je vais te tuer ! » s'écria-t-elle en effectuant de grandes enjambées vers le large.
Ses mains battaient la surface de l'eau, brisant l'écume des vagues. Jamais elle n'atteignit le jeune homme.
Celui-ci hurlait, imitant les piaillements du singe avant de s'enfoncer sous l'eau. Soustrait à son regard, il nageait et venait lui pincer les cuisses.
Un jour, elle lui donna un coup de genou dans la mâchoire, et Ludwig se mit à saigner.
La plage, minuscule crique de galets, se tenait dans les profondeurs de deux falaises qui formaient un « V ». Pour y accéder, on empruntait un tunnel formé par l'érosion.
Celui-ci traversait la roche sur une cinquantaine de mètres depuis le sous-bois. Ils l'avaient découvert un jour, s'éloignant de plus en plus comme ils avaient fini par connaître par cœur la cabane et les ruines de la vieille maison.
Passé la grotte, il fallait sauter sur plus de deux mètres pour atteindre la plage. Le premier jour, il lui avait fait la courte échelle.
Sous la jupe noire, Ludwig avait entrevu la chair, claire, légèrement irritée à force d'avoir marché. Il avait vu le coton, la petite culotte, là-haut, dans l'ombre.
Il avait rougi, puis s'était plaint du soleil alors qu'il n'y en avait pas.
Il la craignait, ressentait des choses qui empiétaient sur ce qui devait rester ici l'essentiel : le sacrifice et l'obéissance.
Elise incarnait la part de l'enfance qui ne souhaite pas renoncer, celle qui s'accroche et vous invective de retarder l'âge adulte.
Parfois, il se remettait à penser qu'elle le tirait vers le bas. Il lui faisait la tête quelques minutes, sans même qu'elle s'en aperçoive, puis elle disait quelque chose qui le faisait rire, quelque chose d'idiot. Il redevenait lui-même : le gamin de Wilhelmshaven.
« Hitler va régler son problème à la Pologne ! » grondait-il dans le tunnel, ce tunnel comme un ventre confortable, un ventre maternel plein du son argentin des clapotis.
Les murs les protégeaient, et sur leurs visages miroitait cette lumière bleue, l'onde de l'eau pénétrant la grotte.
Un jour, un train passa au-dessus de leurs têtes, provoquant un appel d'air qui résonna comme un cri. Ludwig se mit à dessiner des ombres chinoises, et la vie se déploya sur la pierre opaline. Tiraillé, voilà ce qu'il était. Entre son devoir envers le Vaterland et son enfance déchirée devant lui.
Souvent, il se posait cette question, une question sans lien avec l'idée de race ou de supériorité : peut-on être aussi fier qu'un Allemand ? Plus fier ? Ressent-on quelque part un sentiment d'appartenance aussi fort ? Une telle émotion ? Lorsqu'il pensait ainsi, Elise perdait de son importance. Elle devenait un doryphore qui lui faisait perdre son temps.
Mais à nouveau, il suffisait d'un rire, d'une blague, d'une parcelle de peau... Et celui qui aspirait à devenir soldat s'oubliait un peu.
Au printemps 1939, Ludwig Kindler tenta bel et bien de retarder l'âge adulte. Mais déjà, il lui semblait l'entendre arriver comme le long sifflement des bombes, inévitable.
L'adulte était à ses portes, l'école n'était qu'un sursis.
Un après-midi, Elise étant indisposée et ne souhaitant pas aller se baigner, les deux adolescents poursuivirent leur exploration.

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Ce que les Murs ont vu
Historical FictionAVANT LE MONSTRE, IL Y AVAIT L'ENFANT. Dès 1926, des milliers d'enfants allemands intégrèrent les Jeunesses Hitlériennes et leurs prestigieuses écoles. Mais les vertus d'excellence, d'intégrité et de fierté révèlent bientôt de dangereuses pratiques...