7. Les Russes

164 28 3
                                    

Marche blanche, entre les canons et la neige.

« Il ne faut pas capituler ! »

Tenez bon​.

Défendre nos femmes et nos familles, cette bonne vieille Terre... du diable Rouge.

Ils vont percer, ils vont passer à travers, et aucune poche, plus rien ne pourra les arrêter.

Ils vont déferler sur la campagne, le fusil contre l'épaule, tout en imaginant ce qu'ils vont nous faire.

« Vous pouvez trembler ! » on disait, « Vous pouvez trembler. »

Des jours de combat à corps perdu, c'est l'énergie finale, l'énergie du désespoir.

Dans les tranchées, dans des maisons sans eau ni électricité — « Par là, Camarade ! »

Mais le camarade est mort derrière, ou devant.

On meurt un peu partout depuis quelques semaines.

« Il faut les repousser ! Il faut les repousser »

Oui, il faudrait, mais on y arrive pas — c'est la débandade.

« Silence dans les rangs ! »

On court à la catastrophe, on se rue même.

Mieux vaut être suicidaire plutôt qu'abandonner !

Certains le disent, d'autres le pensent.

Au milieu des ruines, des trous comme des lances.

« Trouve une solution dans le chaos russe ! »

Les réfugiés sont à terre, sortis de leurs carrioles. On a volé des chevaux, violé des femmes, tué les hommes et tout ce qui reste.

Qui a fait cela ? Même nous, nous ne le savons pas. La plupart des hommes sont choqués, surtout ceux de la ​Wehrmacht​.

Les femmes sont alignées, et sur leur cœur, les mains forment un crucifix. Nous regardons le vent battre dans leurs cheveux. Certaines sont tondues. Il y a également une jeune mère, la seule toujours en vie.

C'est le lieutenant Korbs qui la trouve.

Elle tremble dans sa masure, assise sur un petit sofa habillé de couvertures. Contre elle, contre son sein, le bébé qui souffre : « Prenez-le, prenez-le » dit-elle.

Les soldats reculent et sortent, certains vomissent. La tête à moitié écrasée. Des « coups de chaussure » elle dit, mais il respire encore, et elle « n'y arrive pas ».

Ludwig prend l'enfant dans ses bras. Aucune folie, aucune haine. Il serre l'enfant contre lui pour ne jamais relâcher son emprise.

Il pleure.

Combien de temps avant qu'il ne défasse son étreinte ?

La mère sanglote sur le sofa, la tête entre les genoux. Nous nous tenons très droits, lorsque intérieurement nous nous sommes effondrés.

« Les Russes ! » criait-on dehors, « Les Russes ! »

Durant un instant, nous les tyrans étions devenus dans ce petit village les protecteurs d'un peuple massacré par d'autres barbares que nous.

Savaient-ils au moins ce que nous faisions aux Juifs ?

Dehors, ceux qui s'étaient cachés décrivaient la scène : des hommes de l'Armée rouge venus enrôler de jeunes garçons. Certains avaient abusé des femmes. Les vieux qui sortaient aider avaient été les premiers à mourir.

Certains de mes camarades prirent quantité de photos dans l'espoir de se dédouaner des atrocités que nous-mêmes avions commises.

Les jours passèrent.

Dehors, la neige grondait à travers le vent, elle sifflait pour vous prévenir que le pire est toujours à prévoir.

_______________________________

Un maelström de glace givrait les visages, la moustache et la barbe des hommes qui ne se rasaient plus tant qu'un officier n'en donnait pas l'ordre.

« Qu'est-ce que c'est que ça ? Rasez, et de près ! Il faut se tenir. Qui croyez-vous que nous sommes ? » et — ​bla bla bla bla — disait un lieutenant épris d'un bref regain de courage.

« Il a foi en la vie » raillait-on, quand le pauvre bougre venait de se raser cinq minutes plus tôt, et craignait autant que nous, laquais des chiens de l'enfer, de crever enseveli sous la neige.

Alors, oui, rase-toi, et toutes les belles conneries de ce genre pour oublier l'atroce image du camarade brûlé vif dans un Panzer.

Alors, oui, ne te trompe pas d'ennemi.

L'Allemagne, c'est ton pays, le reste ne compte pas. Tu n'es pas seul ! Il y a les autres à l'arrière du front, ils comptent sur toi. Vous êtes le filet de sécurité. Enfant guerrier, n'abandonne pas.

Elle n'est pas loin notre ​Endsieg!

La fine fleur d'une génération, nous voilà destinés à mourir. Si tout s'effondre avec fracas, fais mine de ne pas le remarquer. N'y prête aucune importance. Ressoude les troupes ! Tu n'es pas anéanti malgré l'hécatombe. Avance ! Eux, ils disaient : Davaï! Davaï!

Nous n'avons aucune limite, nous ne sommes pas des hommes, souviens-toi.

À ceux qui disaient encore cela, je voulais leur faire la peau.

Et toujours, notre routine : grenade, couteau, fusil et baïonnette. Le Russe voulait nous déloger, alors nous devions nous occuper de lui. Il faut être rapide. Nos vies n'ont pas de valeur malgré ce qu'on nous a dit.

Nous sommes des missions, nous sommes des plans, des possibilités, des matins, des campagnes, des munitions, du sang, des ordres à distribuer.

Nous sommes des mitrailleuses et des canons, des jumelles, des calibres 45, des blindages troués, des corps au bord d'un champ.

Nous serons les héros tombés pour le ​Führer​ ; rien que ça.

Nous étions destinés à mourir, dispersés sur les rives du Don.

« Faut y croire, putain » Avance ! « Cent mètres, Deux cents mètres, c'est toujours ça » disait Ludwig.

Pas le droit de s'apitoyer.

Ne pense pas à la douleur ni à ta famille. Tu es là pour courir, pour mourir. ​Pardon ?​ « Tire ! »

Partir en reconnaissance sur les lacs gelés, revenir si tu peux. ​Cache-toi ! Préviens les autres. Donne des ordres de tir. Planque-toi derrière un tronc.

Et crève, Camarade ! On crevait à petit feu...

Ce que les Murs ont vuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant