C'est un jour comme un autre, on ne saurait dire que c'est la fin.
Le soleil inonde la rue, le vent rapporte les propos d'une femme :
« On a fracturé ma boîte aux lettres... De la mauvaise graine. »
Pendant ce temps, on insulte la mort sur les trottoirs. Une sœur perdue, une mère, des enfants.
Mais la vieille parle toujours de sa boîte aux lettres.
De la mauvaise graine ? Comment est-ce possible ? Berlin en est débarrassé. On a accompli le travail, on s'est appliqué.
Plus d'indésirables.
Qui, donc, vandalise nos boîtes aux lettres ?
— C'est quoi ? Ces vieilles lettres que vous lisez.
La vieille dame releva la tête. Dans le rétroviseur, Mezut l'observait tranquillement et souriait d'un air bonhomme.
— Je sais, reprit-il en voyant qu'elle ne répondait pas, je suis curieux. Mais ça fait un moment qu'on roule depuis Louvain, vous et moi. En vingt ans de carrière, j'avais jamais vu ça. Vous êtes ma plus longue course ! Ça fait treize jours, treize jours vous savez, qu'on bourlingue à droite à gauche. Et croyez-moi, c'est long, très long.., treize jours à parler tout seul.
La vieille dame lissa les coins de la lettre en souriant, un sourire discret, incroyablement vivant, puis croisa le regard du chauffeur.
— Je.., hésita-t-elle, parle un petit peu le français. Comprendre, mais pas bien parler.
— Et c'est maintenant qu'vous l'dites ?
Il eut un rire à la fois sourd et sonore. Son gros cou brun dodelina doucement en passant un dos d'âne.
— Ce sont..., souvenirs, lettres, souvenirs. Je veux voir les choses, les...
— Les lieux ?
— Oui, répondit-elle en hochant la tête, c'est ça, les lieux. Je veux voir les lieux, dans.., dans ces lettres.
Mezut opina, penché sur le volant comme l'on entrait dans le village.
— Je ne serai pas à l'hôtel ce soir, expliqua-t-il. Je visite mon oncle à Caen.
La vieille dame acquiesça. Devant elle défilaient ces lieux où la guerre était
passée, ces lieux qu'elle tenait à voir avant de mourir.Elle avait attendu des années avant de prendre sa décision, des décennies. Ses enfants ne savaient rien de son petit voyage.
Peur de l'avion, jamais montée dans un avion.
Le train, pas question ; trop de souvenirs.
Le taxi, elle avait opté pour le taxi. Le premier en Allemagne, puis le Danemark, la Hollande, la Belgique, enfin la France.
Alors qu'elle était sur le point de terminer ce chemin de croix, elle ignorait ce qu'elle était venue chercher.
Elle se sentait libre et triste, nostalgique et coupable.
Avant de quitter la voiture, elle termina la lecture de cette lettre :
Je me suis arrêté devant la boucherie mise à sac. Des montagnes de débris forment des tranchées tout au long de la rue.
Des garçonnets et des vieillards s'empressent d'élaborer des murets, le visage sanguin comme des cochons.
Un soldat est perché sur un tank. Dans une autre ville, j'avais un camarade qui grimpait sur les chars pour jouer du violon la nuit.
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Ce que les Murs ont vu
Historical FictionAVANT LE MONSTRE, IL Y AVAIT L'ENFANT. Dès 1926, des milliers d'enfants allemands intégrèrent les Jeunesses Hitlériennes et leurs prestigieuses écoles. Mais les vertus d'excellence, d'intégrité et de fierté révèlent bientôt de dangereuses pratiques...