Luz avait compris qu'on ne pouvait échapper à trois choses : la guerre, le devoir, et une mauvaise digestion.
On n'échappait pas aux réclamations de son pays ni aux ordres.
On n'échappait pas à l'escalade de la violence, à l'horreur devenue norme.
On n'échappait pas non plus à sa condition physique.
Il pensait que ses exactions se traduisaient par cette punition humiliante, d'affreux maux de ventre qui le prenaient au matin et l'empêchaient d'aller rejoindre les autres.
Un nouveau village, une fois de plus, et le voilà allongé sur la paille. On avait installé l'hôpital de campagne dans une grange. Ludwig eut droit au mieux, le lit d'un vieux paysan. Il trouvait que ça sentait mauvais, haïssait l'homme sans le connaître.
Le jeune homme craignait les puces et les poux.
Il se souvenait de cette gamine en Pologne ; il n'avait jamais vu une chose pareille. Les poux lui couraient dans la nuque, points noirs grouillant sur l'oreiller et dans ses cheveux tondus. Le crâne lui démangeait, elle pleurait et « ennuyait tout le monde. »
Pourquoi avait-on voulu soigner l'une de ces bêtes ? La bête, c'était l'enfant.
L'Einsatzgruppe C était arrivé plus tard. Les hommes avaient installé leurs blessés, résultat sanguinolent d'une poche bolchevique qui s'était défendue. Pas assez de place, pas assez de lits, plus de brancards ; tout était occupé, jusqu'aux couvertures de l'armée des hommes étendus sur le sol.
Il fallut faire de la place, il était question « d'espace vital. »
Derrière la cabane, les poux s'en allèrent courir dans la neige.
« Il faut tout brûler » assura Franz.
On dormait partout, dans un tank, l'odeur de l'essence, dans une tranchée, la terre, les pierres, la boue, les vers.
Dans un champ, agréable au printemps.
Au moins, ça ne sentait pas mauvais.
On dormait peu, on dormait mal, on était aux aguets. La proximité du front, la victoire finale ? Certains n'y croyaient plus.
Quelques doutes. Qui en avait parlé ?
On ne savait pas, mais on l'avait entendu. Ne pas citer de noms, c'était sauver ses camarades.
Dormir avec les autres : la honte, les besoins, la fatigue. Les yeux brûlants, à bout de nerfs, on était à cran, Luz était à cran, nerveux et colérique. Mais il fallait continuer, remplir la mission, honorer l'Allemagne : les nouveaux chevaliers teutoniques.
On partait en croisade, menait une guerre sainte. Les gens finiraient par comprendre, mais pour ça, il fallait garantir la victoire.
Qu'adviendrait-il sinon ? Qu'adviendrait-il de nous ?
Les gens seraient reconnaissants. Après tout, on les débarrassait de la peste, on balayait devant leur porte, à l'intérieur de leurs maisons. On était persuadé d'être juste, faussement convaincu lorsque naissait l'hésitation.
Le sacrifice humain était nécessaire, sacrifice pour le bien du peuple allemand et de ses satellites. On accomplissait de grandes choses, une « Gross-Aktion ». Un mal nécessaire pour le bien commun, pour l'humanité et pour la culture ? On opérait la restauration de la grandeur, l'ordre juste des choses.
On ne l'avait quand même pas inventé ! C'est qu'on nous l'avait dit et redit.
Le monde comprendrait, n'est-ce pas ?
VOUS LISEZ
Ce que les Murs ont vu
Historical FictionAVANT LE MONSTRE, IL Y AVAIT L'ENFANT. Dès 1926, des milliers d'enfants allemands intégrèrent les Jeunesses Hitlériennes et leurs prestigieuses écoles. Mais les vertus d'excellence, d'intégrité et de fierté révèlent bientôt de dangereuses pratiques...