[n°9 : D E C E N C E]

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N°9 – Iwaizumi

[Juillet – Japon -1872]

Il y avait eu la seconde où il ne pleuvait pas, puis celle où le ciel se déversait à seaux. Il y avait eu la seconde où ton visage se baignait des ombres diluées des sous-bois puis celle où ton yukata ne formait plus qu'un avec les courbes de ton corps. Il y avait eu la seconde où tu n'étais qu'un enfant boudeur et celle où ton regard faisait de ta personne un être de luxure.

Et cette seconde-là, je la dévore de toute mon âme, si précieuse qu'elle soit.

La pluie glisse sur tes joues de nacre pour aller glisser le long de ta pomme d'Adam, sa course s'achève entre les plus de ton col de yukata, mourant sur la naissance de ta poitrine. Tu as rejeté tes cheveux en arrière, dégageant ton front pâle et kami que tu es beau sous cette pluie d'été.

Oui, tu es beau avec ton regard fuyant qui comprend ce qui est entrain de se passer.

-Il pleut.

Je dis ça pour ne pas dire autre chose : tu le sais et tes joues rougissent.

Peintre, les regards ne t'échappent pas, tu as vu le mien qui répondait à tes prunelles

-Magnifique sens de l'observation, Iwa-chan...

Presque un murmure : aujourd'hui, à peine protégé par les arbres de la pluie, l'implicite te coute.

Mon poignet saisi le tien et le contraste de peau se reforme tout comme celui de température.

Laisse-moi te réchauffer.

L'eau coule, rapide et fluide entre mes doigts et ton bras comme pour nous lier toujours plus vite, toujours plus fort.

-On retourne au château, je ne veux pas que tu attrapes une pneumonie.

Tu ne me regardes pas quand je te parle.

Non, tu ne veux pas me regarder : ça serait trop dangereux.

Le rythme de la pluie s'intensifie comme pour craquer la terre et s'engouffrer dans ses fissures.

Alors nous commençons à courir et les branches craquent et les feuilles meurent et les arbres grincent.

Tes geta glissent presque, nous n'allons pas assez vite pour la tourmente d'eau, de vent et de désir. Je cesse, tu te retiens à moi et ton souffle halète : cela ne fait que deux cents mètres pourtant. A moi d'avoir peur de tes yeux, à moi de craindre cette confrontation particulière qui fait de nos échanges un tout harmonieux, à moi de refuser le dialogue muet.

Ton poignet glisse entre mes doigts trempés, tu te défais de mon étreinte pour immédiatement lier nos deux mains, plus sûrement encore.

-C'est...c'est bon...

Nous reprenons pour retrouver ce chemin pavé de pierre plate qui fait de cet accès au bois un luxe. Le château apparaît, de derrière. Vite, descendons la pente pour atteindre cette porte cachée qui mène aux entrailles de la demeure.

Clac, clac, clac, clac, battent les geta sur la route.

Déchirement céleste et lumineux, on voit en contre-bas les marchands de l'avenue commerciale s'affairer dans leur boutique comme des fourmis paniquée. Les détails du toit de ta résidence se font de plus en plus précis, je vois les tuiles luirent sous le flux éternel.

C'est bon, nous sommes trempés et, par cette porte là nous ne nous feront pas assaillir par une armée de serviteurs paniqués. Enfin, nous avons atteints le porche, je me retourne, tu t'accroches à mon épaule comme je t'ai vu si souvent le faire quand ton souffle se fait anéantir par cette étrange maladie dont tu ne parles jamais.

Les chaussures sont rapidement délaissées sur ces hautes pierres, claque la porte quand on la referme et, quatre à quatre les marches sont montées pour parvenir au centre de commande de cette maison : ta chambre.

Et mes mains encadrent tes joues fraîches et froides.

Et tes yeux me supplient d'attendre quand ton corps est sur le point de rupture.

Et je t'en veux de te vouloir parce que tu me fais perdre la tête.

La distance n'existe plus, nos corps ne forment qu'une même ligne.

Tu ne détournes plus le regard, tu en as eu assez d'attendre. Tes doigts longent ma clavicule, froids : je frissonne, ils passent derrière ma nuque pour s'arrimer et, une dernière goulée d'air prise tu ancres ta bouche à la mienne.

Ton souffle s'est repris petit à petit, ce n'est pas suffisant, ça ne peut pas l'être.

Gourmand, j'enroule ma langue à la tienne ; amnésique de choix, j'ai oublié ton titre, ma condition et toutes les galaxies qui te sépare toi, mon Orihime de moi, ton Hikoboshi. Les tissus se pressent, humides, des gouttes réfractaires délaissent tes cheveux pour courir le long de ton visage et mourir au contact de mes mains.

Tu es beau, si beau, trop beau.

Et moi je t'aime fort, si fort, trop fort.

Respiration, temps de pause et tes yeux me dévorent suavement.

Je gronde presque :

-Recule.

Tu ris de ce rire qui m'agace et me donne le vertige, ce rire qui se moque de tout, absolument de tout et particulièrement des conséquences, ce rire qui me prouve que nous avons définitivement chuté dans la bordure.

Tu recules tombant dans un lit amortissant ta chute car le monde ne peut pas supporter ton effondrement. Tes doigts blancs dénouent la ceinture de yukata pour que ton corps, ton si beau, si fragile, si fin corps s'offre à moi dans tout son désir ; l'ivresse de tes yeux me fait peur car je sais qu'elle ne fait que refléter la mienne.

Alors, l'haori délaisse ma peau pour rejoindre le sol, alors je te surplombe de ma masse que tu caresses du bout des doigts comme pour ne pas offenser la ligne, alors je t'embrasse parce que te regarder ne me suffit plus.

Est-ce des années qui ont passé ?

Non, jusque quelques mois.

Et je suis totalement fou de toi.

Tes yeux retrouvent presque cette lumière du premier jour ; tu souffles quand je parcours ta clavicule de baisers :

-Je t'aime beaucoup trop pour mon propre bien...

Déclaration indirecte, comme d'ordinaire.

Nous n'en sommes plus à ça près, n'est-ce pas.

La décence ?

Annihilée.

Alors je réponds avant de te consumer :

-Et moi donc.

AnémoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant