[n°17 : T A N A B A T A]

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N°17 – Iwaizumi

[7 juillet – Japon- 1881]

Tu sais, je n'ai pas voulu comprendre.

J'ai refusé, comme l'enfant boudeur que tu savais si bien être.

J'ai refusé parce que c'était impossible, même pour un noble, surtout pour toi.

J'ai refusé bien que ça n'aide pas.

Matsuzaki n'est pas un village très grand : les vagues montent, s'écrasent, avalent puis se calment : les scandales aussi. Les gens ont oublié, du moins quand ça les arrangeait car lorsque ta mère et sa cour sont venu admirer l'origine de tes inspirations soudaines, les souvenirs ont affleuré leur mémoire en même temps que cette inattendue gloire.

Mon peintre : ils ne savaient pas que tu peignais.

Oui, tu peignais, tu peignais sur de la soie.

Les années sont passées, fades, monotones et répétitives.

7 ans, c'est long, c'est suffisant pour commencer à mourir de l'intérieur.

Et, avec l'amour et la douleur est venu la haine.

Je te hais parce que tu m'as fais voir toutes les couleurs insoupçonnées des liaisons dangereuses, parce que nous nous sommes tout donné mais que tu demeures gagnant puisque tu as fini par tout perdre, parce que je t'attends, je t'attends sachant que tu ne reviendras plus.

Surtout je te hais parce que je savais tout ça ; Tooru, tu ne savais pas mentir.

Et tu n'as pas menti en disant que tu reviendrais.

Le matin se lève pour que la nuit meurt, la nuit se couche pour que le matin naisse et je suis là sans savoir pourquoi.

Chaque volute, chaque creux, chaque courant, chaque vague : je connais tout de ta fresque.

Absolument tout et ne crois pas que ça amoindrit mon chagrin.

Nous sommes le 7 juillet, les tanzaku dansent toujours sur leur bambou, chargés de leurs vœux et de leurs souhaits. Il y a encore un an j'écrivais toujours la même rengaine, Kami rendez-moi mon peintre, rendez-moi mon Orihime et Eiko ne comprenait pas quand Mei fronçait les sourcils pour soupirer. Aujourd'hui je ne fais que regarder la foule colorée et lumineuse des rues, qui chante, mange et rit, qui continue de prier et de se souhaiter le meilleur.

Sur la mer les bateaux aussi se sont chargés de teintes variées, ils basculent langoureusement sur les flots en une berceuse que tu as réussi un jour à transformer en lignes et en lueurs.

Moi, cela fait maintenant quelques années que je ne suis plus allé en mer.

La lumière qui traverse les flots pour éclater en rayon sous la surface, les filets lourds d'eau et de poisson, le mouvement incertain de la barque, l'épuisement quand la dernière corde est fixée à la terre, tout me dégoute parce que tout me rappelle que cet océan qui nous a tant charmé, t'a arraché à moi.

Ce sont les chiffres qui défilent sous mes yeux, les chiffres et les kanji noirs, vides et creux, abstraits et totalement détachés du monde. Eux, tu n'aurais pas su les peindre parce que ton génie comme ton corps avait ses limites.

Tu sais, je n'ai pas voulu comprendre.

J'ai mal, chaque jour j'ai mal et chaque jour je crois que cela empire en me disant que la veille était plus belle, moins douloureuse.

C'est faux, pertinemment faux et se raccrocher à des lambeaux de passé n'arrange rien.

Alors, je contemple cette maudite mer de papier.

Et ça me tue un peu plus à chaque fois.

Les érables frissonnent sous la brise nocturne, ma lanterne dessine un rayon de lumière sur les quelques herbes comprises dedans et mes bras se font lourds.

Quand je pose le pot d'anémones, le bruit mat que fait la porcelaine contre la pierre du hora claque dans l'air sombre. Ma main s'avance, touche la stèle et dérive le long des idéogrammes froids, profitant de chaque creux.

Il y a mon nom sur cette stèle. Mon nom en rouge car selon la coutume c'est là la place du nom du conjoint pour ne pas être séparés par la mort. Madame Ta Mère n'était pas insensible, Kawa, elle a respecté ta liste de dernières volontés du début jusqu'à la fin, sans doute parce qu'elle avait vu la plus belle de tes œuvres, celle qui donnait le plus de toi.

Rouge sur gris, gris sur vert, vert dans rouge : lumière de la nuit et douleur d'amour.

Tu sais, je n'ai pas voulu comprendre.

Et je ne comprends toujours pas.

On ment ou on ne ment pas : on tient sa promesse ou on ne la tient pas, tu reviens ou tu ne reviens pas.

Qu'as-tu fait Tooru ?

Qu'avons-nous fait ?

Pendant 7 ans, j'ai regardé la mer de cette colline en attente d'un bateau blanc.

Pendant 7 ans j'ai espéré quelque chose qui ne pouvait pas avoir lieu.

Pendant 7 ans je me suis rassuré en me disant que là-bas tu vivais.

Et aujourd'hui la mer est muette, elle a charrié une urne de métal, conséquence d'un nouvel échec auquel tu m'as interdit d'assister. Pourtant j'attends toujours et avec encore moins de raison car les mots je ne les supportes ni sur mes lèvres ni dans mon esprit.

Qu'avais-tu dit sur les vœux irréalisables ?

On ne les énonce jamais.

Voilà pourquoi je pleure sur ta tombe un soir de Tanabata.







FIN

a/n : voilà, c'est définitivement la fin de cette fanfiction qui est plutôt spéciale. J'espère que ça vous a plu, prenez soin de vous et de vos proches, merci de m'avoir lu.

AnémoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant