N°2 – Oikawa
[Aout – Japon – 1874]
Tu le sais : la chambre aurait dû être vide.
Les chambres doivent toujours être vides le jour d'un départ, encore plus lorsque le départ est celui d'un voyage pour un pays lointain.
Seulement moi je ne suis rien sans mes peintures et mes peintures ne sont rien sans toi.
Alors ma chambre n'est pas vide, elle garde mes plus précieux trésors : mes encres, la mer et toi.
J'entendais les chevaux piaffer dans la cour. Les serviteurs avaient dû charger les bagages sur la voiture pour qu'elle descende au port afin de remplir les cales d'un bateau sans voiles bientôt léché par des mers qui n'effleureront jamais le bois de ta barque.
Tu ne regardais pas cet affairement, il ne te concernait pas, il ne devait pas te concerner.
Les pans de ton haori claquait au vent. Tu t'étais déjà rhabillé et, de la terrasse tu m'observais de ton air impudent, cet air qui hier dans tes yeux avait cédé sa place pour une inquiétude au goût aigre-doux.
De te tenir ainsi debout, les bras croisés, fait bomber tes muscles, tu le sais, tu ne te serais pas tenu ainsi autrement. Tu ne t'étais pas lavé ; les lignes noires glissaient encore le long de tes hanches de temps en temps dévoilées par le vent pour s'enrouler autour de tes biceps.
Le soleil levant avait cette lumière d'or qui s'adopte certain matin, il coupait ton corps en une diagonale presque parfaite car déformée par le toit et toi, toi qui étais plus habitué à ses flammes, tu te languissais sous sa caresse avec dans tes yeux l'agacement de celui qui ne comprend pas.
Parce que non, tu ne comprends pas que je parte ainsi, vers un pays qui n'est ni tien ni mien alors que tu savais mon corps incapable de supporter le voyage tout cela pour un pari dont l'échec se solderait par ma mort.
Tu ne comprends pas ce que c'est d'être le benjamin, de subir les lois de la cour et de la famille.
Tu prenais la défaite médicinale que j'avais subit ici comme personnelle : le lieu n'avait pas su me guérir, ce lieu qui t'avais fait grandir et ça, ça t'enrageait.
Pécheur, tu n'es pas parieur : j'ai eu plus de deux ans pour le comprendre.
-Tu ne crois pas en mon retour.
Les mots m'ont échappé. Ils sont comme une vengeance aux tiens d'hier et, réalité contre réalité, je cache ma douleur.
Tu fais non de la tête et, ton corps délaissant l'appui qu'il avait prit sur la paroi, tu réponds :
-N'affirme pas des choses pareilles, Oikawa.
Le registre de parole demeure familier, pourtant tu es repassé au nom.
Ta voix prend presque l'accent rocailleux des gens qui se retiennent de pleurer :
-S'il -te-plaît Tooru, pas en cette heure.
L'ombre envahit la chambre, il faut que je parte, le bateau attend.
-Reste...
Les mots m'appartiennent, injustement : ils auraient dû être tiens.
Le monde est silencieux, on n'entend seulement la mer et les chevaux. Tu t'approches pourtant pour t'assoir sur le lit et plonger toujours plus profondément tes yeux atypiquement verts dans les miens. Il y a presque du regret dans leurs eaux troubles : tu savais ce que m'aimer induirait, la honte d'abord puis les secrets, les mensonges, les rumeurs et enfin la séparation.
Ta main repousse le tissu du yukata, chaude contre mon torse froid. Tu as baissé la tête dans le contrejour ; une main, ce n'est pas assez de contact pour ce à quoi tu nous as habitués alors, parce que nous en avons besoin, je passe mes jambes autour de ta taille comme mes bras autour de ton cou.
Ma peau boit la chaleur de ton haori : je ne frissonne pas quand tu m'enserres sous le yukata de tes larges paumes mais te presse toujours plus parce que nous n'en aurions pas eut assez.
Je m'agrippe à toi comme au premier jour, pourtant tu ne peux rien contre la mer qui aujourd'hui m'emporte et tes bras ne seront pas assez forts pour m'empêcher de m'y noyer.
Tu réponds, ne pouvant faire que cela.
Tant pis, tant pis, noyons-nous ensembles. C'était bien la promesse non ?
Le jeu n'aurait pas dû valoir la chandelle.
Tu as fait en sorte qu'il le vaille.
Alors, tu as tourné le dos à ta femme, à tes amis, aux racontars qui se chuchotaient dans ton dos et aujourd'hui, aujourd'hui que je pars, tu perds ta seule consolation : celle pour laquelle tu as sacrifié le reste.
Il ne te reste plus que ton bateau.
Ton bateau, nos souvenirs et mes anémones de juillet.

VOUS LISEZ
Anémone
Fanfic"-Je sais que nous allons devoir faire semblant encore un peu pour que cela devienne décent. Ai-je le droit de regretter l'avortement de ton geste ? Oui, sûrement, non, pas encore. " ° ° ° Japon, XIXe siècle. Iwaizumi Hajime, pêcheur de père en fils...