[n°1 : R U M E U R ]

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N°1 – Iwaizumi

[Août – Japon – 1874]

Tes doigts ne gagnent pas en chaleur.

Froids ils étaient, froids ils restent et l'encre et la peinture qui les maculent n'aidaient en rien.

Tu t'es amusé à les faire leur faire longer les lignes de mes muscles dessinées par la mer ; la ligne de chaire devient une ligne de pigment et toi, toi tu ris comme un enfant ivre.

Mon corps domine le tien et ce malgré ta taille, pourtant tes yeux ne cessent de me maîtriser. J'ai léché ta peau, mordu tes lèvres et t'ai plaqué sur ton lit et tu continues à rire.

Tes joues si pâles se sont teintées de vermeil. Dis-moi, tu as bien bu avant que je n'arrive n'est-ce pas ?

Je ne te pose pas la question ; tu n'y répondrais pas et même si tu tentais de mentir je le saurais immédiatement : Tooru, tu es incapable de produire un mensonge correctement.

Tes mains courent sur mon torse, remontent le long du cou et prennent mon visage en coupe, le miroir en face de ton lit me renvoie le contraste brut entre nos deux peaux et nos deux corps.

Et cette ignoble réalité qui justifie ta présence ici.

Mon dieu ; Tooru, tu es si fragile.

Tu n'as pas aimé mes mots.

Moi non plus, je ne les ai pas aimés et puisqu'ils m'avaient échappé de la sorte, ils en devenaient d'autant plus vrais.

La soie immonde du lit glisse sous nos mouvements, ses plis couronnent ton corps de plus en plus beau dans sa fragilité car cette dernière sait selon les individus filtrer avec délicatesse. Tu m'obliges à me pencher encore plus sur toi, toi et tes yeux diaboliquement rieurs qui ne devraient pas l'être et tes boucles reflets bois précieux.

Ton yukata avait perdu sa ceinture et, maintenant que tu te trouvais couché, ses pans rendaient justice à ta nudité parfaite.

Un jour, un jour j'aurais aimé voir ton corps dans son temps glorieux car si aujourd'hui il n'avait pas perdu sa beauté, il ne restait de ses muscles que les courbes légères, vestiges d'une époque grande.

Ta langue et son rose de velours humidifient tes lèvres, je cède et fond sur cette bouche qui je le sais, attend.

Maintenant, ton corps et le mien ne sont qu'un même désir, qu'une même ligne qui n'a pas de fondement. Tu gémis quand je longe ces hanches que j'ai presque vu se creuser, tu gémis quand j'introduis ma langue entre tes lèvres, tu gémis encore quand nos deux bassins se pressent : tu n'as pas eu l'habitude de patienter autant.

J'ai peur, tu le sais.

J'ai peur, bien que ça n'aide pas.

J'ai peur et j'ai raison de l'être.

La lumière trouble des lampes à huile joue sur les ombres et les reflets, elle écrase les traits sombres que tu t'échinais à peindre tout à l'heure et l'immense fresque maritime qui s'étale là-bas sur les tatamis. Tu n'aimes pas le bois, tu n'aimes pas les estampes, tu n'aimes pas la reproductibilité alors tu peins et les gens te critiquent.

Le bois aurait réchauffé tes doigts, le bois n'aurait pas permis tes chimères sur ma peau et surtout et selon toi, le bois détruit la lumière. Ton regard parcourt chaque centimètre de ma peau : l'artiste a pris la place de l'enfant songeur pendant que ton corps ne demande qu'une chose, l'avènement du mien.

Le vent rapporte la rumeur de la mer.

La nuit est jeune, le soir vient à peine de tomber.

Oui, la nuit est jeune et quand elle mourra demain, tu partiras avec elle.

Tu savais à quoi je pensais, bien sûr que tu savais : tu y pensais toi-même. Alors, ta voix, douce comme ton corps mais ferme comme ta volonté, s'élève et moi je fléchis, pour toutes les fois où je ne l'ai pas fait.

- Hajime, regarde-moi.

Et je te regardais : ne pouvant faire que cela.





a/n : on peut presque considérer ce chapitre comme une ouverture, un prologue ;)

AnémoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant