[n°11 : A N E M O N E]

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N°11 – Iwaizumi

[Aout – Japon – 1872]

La nuit avait payé les semaines de canicule et maintenant que l'aube se lève, le jour décide de naître dans une fraîcheur nouvelle.

L'horizon s'enflamme et tu n'es plus à mes cotés sur ce lit dont la soie me dégoute toujours autant.

La maison est grande, la maison est vaste, je pourrais me perdre en tentant de t'y retrouver. Seulement je sais que tu es soucieux, la crise de la dernière fois s'attarde dans tes yeux tout comme dans les miens.

Colère, peur, surprise : boisson mortelle que nous avons dû avaler jusqu'à la lie.

Tu ne m'avais rien dit de tout cela, juste subi devant moi à attendre le jour où tu ne pourrais plus reculer.

Et tu as fini par t'effondrer.

De tout ton corps si fin, si fragile, si frêle, si éphémère.

Maintenant, l'angoisse a étendu son empire sur nous, cachée derrière ces après-midis ensoleillées que nous passons terrés dans les entrailles de ton château. Parce que maintenant je sais que je peux te perdre, que je vais te perdre et qu'il y a plus d'une voie lactée entre nous.

Alors j'ai peur et il y a les fois où tu ne supportes pas de l'admettre comme celles où tu te noies dans mes bras pour l'oublier. Et comme si la peur suffisait, viennent les conséquences des actes pour lesquels on a eu la suffisance de croire qu'ils pouvaient être annihilés.

Je ne connais pas ta maison, Kusokawa parce que comme toi elle ne dévoile jamais toutes ses pièces.

Mais, peintre, la lumière est ton vice, tu t'en délectes de la première goutte à la dernière. Or, le soleil vient de se lever dans un manteau de calme : il n'y a qu'une seule salle dans laquelle tu puisses t'en nourrir, ce salon de verdure, de silence et de pâleur.

Il est tôt, doucement derrière les parois les serviteurs s'éveillent.

Mes pieds glissent sur le bois laqué : je pourrai me perdre mais mon courage n'a pas l'intangibilité des mots que je dois te dire.

Escalier, couloir, coin caché, tourne et longe, enfin tu y parviens.

Le panneau de bois glisse silencieusement et ta silhouette auréolée de cette douce lueur se découpe dans le cadre. Tu vois ? N'avais-je pas raison ? Et tes yeux me sourient quand tu te retournes, ils sourient de ce sourire que je hais parce que je ne peux pas m'empêcher de l'aimer.

-Je t'ai réveillé ?

Le silence est une soie que ta voix désire ne pas déchirer : tu n'hausses pas le ton et pourtant tes mots sont sûrs et clairs.

J'hoche de la tête et avance avec ce silence artificiel qui apaise tes craintes comme les miennes et ce bien qu'elles soient de natures quelque peu différentes.

-Le soleil m'aurait tiré du sommeil de toute manière.

Tes épaules s'élèvent et retombent en un mouvement bref et gracieux.

-Non Hajime, menteur, la lumière ne te gêne pas.

Et tes yeux sourient encore plus.

Souris-tu pour ne pas grimacer ?

Tu reprends :

-As-tu quelconques mauvaises nouvelles à m'apporter dont la prononciation t'a été exonérée par notre nuit ?

C'est bon je suis à ton niveau, et comme d'ordinaire ta beauté me vole quelques secondes qui n'auraient pas été mieux usées.

-Arrête de sourire...

AnémoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant