ALICIA : — Je suis amoureuse de mon meilleur ami gay.
LA PSY : — Hmm.
ALICIA : — Je sais, ça craint. Rien que de m'entendre le dire à voix haute, c'est comme si j'entendais l'univers me juger et me dire combien je suis une personne horrible. Même si je m'en veux. Celui qui a dit qu'il faut être prêt à tout en amour, ben il mériterait des baffes. Peut-être que l'idée d'avoir une conscience devrait arranger les choses mais dans mon cas, c'est juste impossible. Je n'aurais jamais pensé aimer et culpabiliser aussi fort en même temps.
LA PSY : — Alicia, je vous interromps maintenant car il me manque quelques éléments de contexte pour pouvoir comprendre.
ALICIA : — Oui, bien sûr. C'est vraiment nécessaire que je reprenne depuis le début ? Ça va être long...
LA PSY : — J'ai tout mon temps.
ALICIA : — ... et vous allez penser que je suis détestable, vous aussi.
LA PSY : — Je ne suis pas là pour vous juger, mais pour vous aider.
ALICIA : — ...
LA PSY : — Comment vous êtes-vous rencontrés ?
ALICIA : — Ah ce fameux jour... Cupidon et Lucifer ont décidé de faire des siennes au même moment. C'était au bar. Un de mes premiers soirs en ville, et ma copine Carole voulait m'emmener dans ce bar branché qu'elle fréquente avec ses amis. Lorsqu'il est arrivé, j'ai quelques neurones qui ont grillé. Physiquement, il était canon. Le genre qui ne sait pas qu'il l'est. Je ne me suis même pas posé la question de son orientation. Je comptais lui demander son numéro, et ensuite son prénom... sauf que pas de chance, il ne pouvait pas rester. Deux jours plus tard, le destin a cogné encore plus fort : je cherchais un appart, et Carole m'a écrit à la va-vite un SMS avec une adresse et « cherche coloc. Vas-y vite ! ». Et là, lorsque la porte s'ouvre, c'est lui. On fait connaissance, pour de vrai cette fois, il a quelque chose dans le timbre de sa voix, à la fois doux et sympathique qui me faisait un sacré effet. Je le regardais davantage lui que l'appart. Moi qui suis bavarde, je n'ai pas décroché un mot. Il a conclu la visite par « Tu as des questions ? » et tout ce que je voulais dire c'était « à partir de combien de temps il est acceptable de demander à son coloc de sortir avec lui ? ».
LA PSY : — Je commence à cerner la situation. Vous avez sauté à pieds joint dans une réalité alternative en prenant vos fantasmes pour la réalité. A partir de quand avez-vous compris que vous vous trompiez sur son compte ?
ALICIA : — Une semaine après l'emménagement. Je sais, je suis lente à la détente. Je regardais dans sa bibliothèque où les couvertures représentaient deux hommes torse nus et je me disais « tiens, ça a l'air intéressant » ; la salle de bain était remplie de quoi rendre jaloux Sephora. Il me souriait et me faisait des clins d'œil, il se baladait torse nu. J'imaginais qu'il flirtait avec moi ! Mais il était à l'aise comme avec une bonne copine. Il n'y avait aucune ambigüité pour lui. Lorsqu'au détour d'une conversation il a mentionné son « ex petit copain », j'ai compris.
LA PSY : — Est-ce que le fait qu'il soit inaccessible a changé quelque chose pour vous ?
ALICIA : — Bien sûr ! Je savais qu'il ne se passerait jamais rien. Mais je continuais de le voir comme le mec parfait. Même son prénom : il a le prénom le plus romantique de tous les temps. Roméo. Rien qu'à prononcer ces trois syllabes, je fonds.
LA PSY : — Est-ce que c'est cette vision-là du romantisme que vous cherchez ? Sachant que Roméo et Juliette était une tragédie.
ALICIA : — Je ne cherchais pas, ça m'est tombé dessus, un peu comme une chute lente et qui s'accélère de manière progressive... je suis devenue accro à lui. Comme si je découvrais le chocolat pour la première fois et qu'en y goûtant je savais que je ne pourrais plus jamais m'en passer pour le restant de ma vie. Ce qui, soyons honnête, ressemble davantage à une malédiction qu'autre chose. Vous avez raison, on oublie parfois trop vite que Roméo et Juliette est une tragédie.
VOUS LISEZ
Le syndrome Roméo
ChickLit« Si tu vis jusqu'à cent ans, je veux vivre cent ans moins un jour, pour ne jamais avoir à vivre sans toi. Il dit ça comme s'il venait de déclamer un poème. - C'est de toi ? - Winnie l'ourson l'a dit en premier. - Mais c'est trop beau ! - C'est...