Lorsque je rentre, Roméo est sur son ordinateur portable, dans la cuisine.
— Salut, dis-je.
— Salut.
On n'a pas vraiment reparlé depuis cette étrange soirée. Je ne sais pas s'il est distant, mais je le trouve plus absorbé que d'habitude.
— J'ai eu une drôle de journée.
— Hmm.
— On a eu une altercation entre Jacqueline et Tonton Daniel digne d'un combat de catch. Thaïs et moi on était relégué au rang de coach, enfin des coachs qui essaient de mettre fin à la bataille. Et j'ai découvert que je n'avais aucune autorité sur mes patients.
Pas de réaction.
— On s'est demandé s'il fallait qu'on se déshabille pour créer une réaction. Tu sais, la nudité comme arme ultime pour faire cesser les conflits.
Roméo est toujours plongé dans son écran.
— Roméo ?
Il lève la tête.
— Excuse-moi. Tant mieux si tu as passé une bonne journée.
Pour un peu je me vexerai.
— Qu'est-ce que tu fais ?
J'ai à présent des doutes quant au fait qu'il bosse.
— Je sors ce soir.
— Ah ?
— Je vais rencontrer quelqu'un grâce à l'appli. On a échangé quelques messages cette semaine et on s'est mis d'accord pour se rencontrer en vrai.
Il se lève et va s'enfermer dans la salle de bain pour se préparer.
Je reste plantée dans la cuisine. Il a laissé son ordinateur allumé et la tentation est trop forte. Je ne devrais pas, mais je me retrouve malgré moi à lire le dernier message, qui convient de leur rendez-vous et se conclut par un clin d'œil de la part du gars. Sur la photo, le gars a du charme, un côté un peu rêveur, et la lumière qui met en avant ses épaules musclées, un petit quelque chose d'avenant dans son sourire qui donne envie d'apprendre à le connaître.
J'imagine leur soirée, leur rencontre, leur flirt, leurs échanges. Ils se frôlent la main, leurs genoux se touchent par inadvertance. L'un invite l'autre à la fin du repas et ce sera à charge de revanche. Ils se baladent dans les rues romantiques de Bordeaux, hésitant à se prendre la main. Voire même n'hésitant pas si jamais l'un raccompagne l'autre jusque chez lui et propose...
Mon cerveau vrille. Je ne peux pas imaginer Roméo, MON Roméo, avec un autre. J'en ai des palpitations et une sorte de panique commence à me monter dans la gorge.
J'écris sans réfléchir :
"Désolé... changement de plans, pas dispo ce soir."
Voilà qui est net et concis, sans justification après tout ils se connaissent pas.
Je compte les secondes avec angoisse.
"Dommage, on prévoit une autre date ?"
Je réfléchis intensément à la question et le genre de réponse à donner. « J'ai décidé de devenir prêtre » ou « je pars faire un tour du monde et je reviendrai pas avant un an ». Trop tard, la porte de la salle de bain s'ouvre. Je me contente d'effacer les deux messages. Pas plus mal de rester sur une question sans réponse, sans l'inciter à relancer la discussion, on ne sait jamais il lui serait peut-être venu de se lancer dans un plaidoyer pour supplier Roméo de ne pas devenir prêtre...
Roméo est tout propre, peigné et porte un jean avec un t-shirt gris moulant. Sobre, comme toujours, et terriblement sexy. Il lui en faut peu. Il sent bon le gel douche à la noix de coco, cette note sucrée qui se marie si bien avec l'eau de Cologne. Il éteint son ordinateur, récupère son téléphone et m'embrasse sur la joue avant de sortir.
J'ai honte. Je n'ai aucun droit de faire ça et Roméo aurait toutes les raisons du monde d'être en colère. Comment rattraper le coup ? Comment trouver une version où j'avoue les faits sans passer pour la pire des égoïstes ?
Je commence à m'activer dans la cuisine, à préparer à manger. Des pâtes à la carbonara avec une énorme salade composée. J'en fais une quantité phénoménale. L'heure tourne, j'ai l'impression d'avoir un tic-tac dans la poitrine, une bombe qui attend d'exploser.
Quand je suis stressée, je m'active avec mes mains. Cuisiner, ranger, faire des canevas, masser... ça a un effet qui m'apaise. Ce soir ce n'est pas le cas du tout. Je cuisine en trop grosse quantité, je ne dose pas les ingrédients comme il faudrait, je découpe les concombres dans des tailles asymétriques.
Lorsque Roméo est de retour, l'air déçu et grognon, j'ose à peine le regarder.
— Déjà rentré ?
— Je me suis fait poser un lapin.
— Oh.
— J'ai pas envie d'en parler.
J'enlève le tablier que je portais. Je soupire. Le moment est vraiment venu de lui dire.
— Roméo, je suis désolée...
— C'est pas grave, ça arrive. Enfin je suppose, c'est la première fois. Faut pas que ça me décourage pour la suite, pas vrai ?
Il m'offre un pauvre sourire qui me fait de la peine.
— Tu veux qu'on mange ensemble ?
— Je n'ai pas vraiment faim. Je pense que je vais aller me coucher.
Je reste seule dans la cuisine comme une imbécile, le moral dans les chaussettes. Dans le fond, je n'ai pas faim non plus.
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Le syndrome Roméo
Literatura Feminina« Si tu vis jusqu'à cent ans, je veux vivre cent ans moins un jour, pour ne jamais avoir à vivre sans toi. Il dit ça comme s'il venait de déclamer un poème. - C'est de toi ? - Winnie l'ourson l'a dit en premier. - Mais c'est trop beau ! - C'est...