Pacific Wisteria (Kisaki Tetta)

1.8K 125 451
                                    

J'ai toujours aimé Kisaki Tetta. Toujours, ça veut dire depuis la quatrième année de primaire, depuis que ma vie a commencé. J'étais fascinée, captivée par ce don d'intelligence qui était sien. Il ne payait pas de mine, avec sa touffe noire et ses minces lunettes. Moi, j'étais la fille passe-partout. Mais j'ai su voir dès notre première rencontre au fond de son cœur un amour inconditionnel, inexplicable. J'étais certaine que le coup de foudre était passé dans les deux sens.

Cela s'est passé quand nous avons tous les deux levé la main pour signaler au prof que nous avions fini les exercices de mathématiques. En cinq minutes seulement. Quand nos regards se sont croisés, nous étions soudainement seuls au milieu d'un océan de calculs, sans personne à des kilomètres à la ronde. J'ai senti une connexion, quelque chose qui dépassait l'entendement, quelque chose de spirituel, d'inhumation. J'ai senti que nous étions liés par le destin.

C'était un petit être renfermé, seul, peu causant, mais j'arrivais à voir quelque chose de bon en lui. J'en étais persuadée.

Alors, pour attirer son attention, je me suis mise à réfléchir de mieux en mieux et de plus en plus vite. Je faisais des exploits prodigieux pour un enfant de mon âge, je m'entraînais sans relâche à la maison à chaque discipline enseignée en cours. Mes parents ont même songé à me faire passer un test de QI. 

Mais je ne lui arrivais pas à la cheville.

Je m'étais mise en tête que je pourrai lui déclarer mon amour quand je réussirai à le surpasser.

Ce jour fatidique arriva. Nous étions en cinquième année. J'avais une moyenne sensiblement plus élevée que lui en maths. 

— Kisaki, je t'aime.

— Hm. Ah oui.

Ce fut un échec. Mais je m'en relevai plus forte, et décidai de changer de tactique. Peut-être que Kisaki n'était pas un homme seulement attiré par l'intelligence, mais qu'il lui fallait mieux me connaître. Je me mis alors à changer mon chemin de retour de l'école pour rentrer en même temps que lui. Je regardais son dos, toujours son petit dos juvénile. 

— Kisaki, on rentre ensemble ?

— Si tu veux.

Je pense que nous sommes devenus amis. C'est ça, nous avons commencé à nous fréquenter de plus en plus, à manger ensemble le midi. Kisaki n'était plus seul et je ne l'observais plus de loin sans rien dire.

Le temps passait, nous apprenions à nous connaître. Sa couleur préférée était le noir. Il n'aimait rien en particulier. Il n'aimait pas les idiots. En fait, il y avait bien une chose qu'il appréciait, c'était les plantes. Il préférait la Pacific Wisteria.

J'aurais aimé devenir une Wisteria.

— Kisaki, comment fais-tu pour être si intelligent ?

— Ah euh… c'est juste de la chance.

— C'est faux, rien n'est question de chance. Regarde cette citation de d'Holbach.

« Dans un tourbillon de poussière qu'élève un vent impétueux ; quelque confus qu'il paraisse à nos yeux, dans la plus affreuse tempête excitée par des vents opposés qui soulèvent les flots, il n'y a pas une seule molécule de poussière ou d'eau qui soit placée au hasard, qui n'ait sa cause suffisante pour occuper le lieu où elle se trouve, et qui n'agisse rigoureusement de la manière dont elle doit agir. Un géomètre qui connaîtrait exactement les différentes forces qui agissent dans ces deux cas, et les propriétés des molécules qui sont mues, démontrerait que, d'après les causes données, chaque molécule agit précisément comme elle doit agir, et ne peut agir autrement qu'elle ne fait. »

— Mais le nombre exorbitant de possibilités existantes recrée une simulation de hasard.

Je voyais que mon Kisaki avait un syndrome de l'imposteur. Il doutait de lui-même, de ses capacités. Je voulais être pour lui une canne de berger sur laquelle s'appuyer, une étoile le guidant vers le nord. Il ne se doutait pas d'à quel point il était incroyable 

— Kisaki, je t'aime.

Je lui ai redit juste avant de rentrer au collège.

— Ah... Peut-être.

J'ai compris cette fois-ci qu'avec le peu de confiance en soi qu'avait Kisaki, il ne me croyait sûrement pas. Il devait se dire qu'il n'y avait rien à aimer chez lui. Alors que j'y voyais tout. 

Et puis, il a commencé à avoir des vues sur une certaine Hinata. Je l'ai détestée du plus profond de mon être. Je l'ai détestée car elle était parfaite, jolie, gentille, aimée de tous. J'ai réalisé trop tard que je l'ai détestée car c'est en elle qu'il a vu la figure rassurante qu'il lui manquait, et pas en moi.

Bien vite, nous sommes arrivés en première année du collège. Nous avons tous les deux changé. Moi, je suis devenue populaire, pour la simple et bonne raison que j'étais jolie. Mais pas assez pour lui.

Lui, comment dire… c'est devenu un délinquant. Il s'est décoloré les cheveux, a bronzé, et s'est paré d'un sourire encore plus carnassier et manipulateur.

J'ai adoré découvrir ce côté sombre de lui. Il prenait enfin un peu d'assurance, les gens voyaient finalement son potentiel. J'aimais toutes les facettes qu'il eût pu développer. 

Et surtout…

— Qu'est-ce que tu dirais de devenir mon associée ? m'avait-il dit en dévoilant son sourire pointu.

J'ai pu me rapprocher un tant soit peu de mon but.

— Moi, pourquoi ?

— Tu es un peu plus intelligente que la moyenne. J'ai besoin de larbins à muscles, mais aussi d'un qui puisse me conseiller et faire mon boulot de renseignement. 

Nous étions pratiquement mariés.

Prends en de la graine, Hinata, je me disais. 

Il avait demandé ma main, avait reconnu mon intellect. Je jouissais d'un plaisir sans fin. Kisaki Tetta s'intéressait à moi.

Madame Tetta. Madame Kisaki Tetta.

Depuis ce jour, j'étais l'ombre de l'ombre d'Osanai, le boss de Mœbius. Je calculais des probabilités, je me renseignais sur les moindres faiblesses d'une victime, je l'aidais à prendre des décisions. J'étais le bras droit du bras droit, le valet du roi des ténèbres. 

Puis, à la déchéance de ce gang, nous rejoignîmes tout naturellement le Tokyo Manjikai. Son plan était grandiose. Il allait mettre à feu et à sang ce groupuscule, s'en emparer, et régner sur Tokyo, sur le Japon, sur la planète toute entière. 

Nous étions inséparables, comme deux oiseaux compagnons, comme deux bagues sur le même doigt. Les gens de ma classe se demandaient ce qu'une fille populaire et sans problème comme moi faisait avec un délinquant comme lui. Je répondais que j'avais toujours été avec lui.

J'aimais cette dynamique, cette relation fusionnelle et pourtant si différente des deux partis. C'est pour ça qu'un soir, je lui ai dit : 

— Kisaki, je t'aime.

— Je sais.

— Et alors ? Tu ne m'aimes pas ?

— Non.

— Pourquoi donc ?

— Car tu me deviendrais inutile.

— Comment puis-je t'être utile ?

Il rit.

— En te suicidant par exemple, lâcha-t-il sur un ton sarcastique.

Mais, Kisaki était loin de savoir que j'appliquerai son conseil à la lettre.

Que je prendrai mon envol du haut de la fenêtre de mon immeuble.

Que je ne mourrai pas.

Que je finirai paralysée à vie et amnésique.

Et qu'il finira seul, et amer de regrets.

THE KIDS AREN'T ALRIGHT | tkr osOù les histoires vivent. Découvrez maintenant