Monsieur (Adult Hanma)

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Je passai le revers de ma main sur mon front luisant pour essuyer la sueur perlante. La transpiration s'étala sur les poils de mon avant-bras. Je repris mon labeur. Je tenais fermement le manche en bois de la pelle, le levais au ciel, avant d'asséner un grand coup dans la terre molle. Et je recommençais. Lever, abattre. Mes muscles endoloris me tiraillaient sous l'effort. A côté de moi, de jolis tournesols bleus attendaient posément d'être plantés. Des tournesols bleus ? Le fleuriste m'avait peut-être mentie.

Le jardin de monsieur faisait au moins un hectare. C'était moi qui supervisait les autres serviteurs pour qu'il frôle toujours une perfection artistique, qu'aucune herbe ne dépasse de l'étendue verte, qu'aucune feuille ne vint gâcher la rondeur d'un buisson. Le jardin était sans conteste l'un des plus beaux du quartier, avec ses arbres constamment fleuris et ses petits animaux qui couraient les allées de pierre.

L'endroit que j'avais élu pour accueillir mes plantes se trouvait sous un chêne centenaire qui appartenait déjà aux propriétaires qui précédaient monsieur Hanma Shuji. De son tronc épais comme une grosse bobine de câble de chantier jaillissaient trois ou quatre gigantesques branches où pendaient de larges feuilles, qui pour certaines caressaient le sol. De la mousse verte rampait le long de l'écorce brune délavée. Un écureuil curieux m'observait du haut de son perchoir.

Tout en accomplissant ma tâche, je chantonnais :

— Lalalalala, je suis un peu jardinière, et je fais la cuisine...

Lever, abattre, abattre, lever. Ce cirque durait depuis bien quinze minutes, il fallait dire que j'avais besoin d'un trou fort profond. De plus, je n'avais pas beaucoup de force dans mes bras frêles, et le temps lourd n'arrangeait pas la chose.

— Quand est-ce qu'on mange ?

Je sursautai. Il m'avait prise par surprise.

— Sauf votre respect monsieur, je ne suis pas votre mère. Vous mangerez quand vous me l'ordonnerez, je vois que cela vous démange.

— Alors, maintenant, j'ai faim.

Monsieur Hanma était aujourd'hui vêtu d'un veston gris rayé sur une chemise blanche. Une cravate noire et dorée comme ses yeux était nouée autour de son cou. Il remonta ses petites lunettes rondes qui lui donnaient un air de libraire et passa une main dans ses cheveux ondulés noirs et blonds pour les coiffer en arrière.

— Je dois finir mon travail. Mais peut-être que j'irais plus vite si j'étais mieux payée. Nous verrons ce qu'il advient.

— Et qu'est-ce que l'on mange aujourd'hui ?

— Le vieil aveugle que vous avez aidé à traverser la rue avant de le découper. Assaisonné des roses que vous cultivez si passionnément, et bien cuit.

— Je croyais qu'il reposait à présent dans le bassin sous les nénuphars. Le pauvre, pas de bol.

— Vous ne trouvez pas cette couleur bleue étrange pour un tournesol ?

Le chien bourru du domaine arriva soudain en haletant, ses longues oreilles rousses traînant derrière lui. Il lécha goulûment les mains de monsieur qui sourit. Je ne ferais pas ça, à sa place.

— Il s'agit d'églantines et elles sont roses, pas bleues. Je suggère un rendez-vous chez l'ophtalmo.

— Que vous êtes drôles ! dis-je ironiquement. Si seulement vous l'étiez autant que beau.

Il se rapprocha.

— Dis-moi, commença-t-il en passant son bras autour de ma taille. Ce soir j'ai une réunion au Bonten, tu m'y conduiras, ma belle ?

— Bien sûr. Mais je vous conseille monsieur de vous éloigner à moi que vous ne désiriez recevoir un coup de pelle, le menaçai-je en soulevant l'arme du crime.

— Pourquoi es-tu si froide, ma rose ?

Encore ses tentatives pour se rapprocher de moi ! Mais je tenais à garder une relation tout à fait professionnelle.

— Car monsieur est un assassin, je suis sa domestique, répondis-je avec un sourire moqueur. Monsieur est un assassin, quand il est morose.

— Je risque la prison, tu sais. Ça ne t'attendrit pas ?

— Je prierai votre honneur humblement de me reprendre, dans ce cas.

Sur ces mots, je fis un pas de côté, poussai le cadavre, et le fis sombrer dans l'immense trou que j'avais creusé. Puis, j'entrepris de le reboucher, coup après coup. Des monceaux de terre voltigeaient gaiement, habités parfois de verres de terre délogés et de cailloux. Une fois le niveau du sol bien remonté, je plaçai délicatement les tournesols bleus ou les églantines roses puis finis de reboucher le trou. Magnifique. Monsieur était parti trop tôt pour admirer mon œuvre.

Je repris ma chanson, j'avais enfin trouvé une rime :

— Et je classe ce dossier, sous les églantines. Je suis un peu jardinière, et je fais la cuisine.

À écoutez après la lecture, faites attention aux paroles :)

THE KIDS AREN'T ALRIGHT | tkr osOù les histoires vivent. Découvrez maintenant