CHAPITRE VINGT-HUIT

19 3 26
                                    




THANE

Mes mains agrippent fermement le tissu blanc. Je dévoile le tableau. La foule est surprise, certains applaudissent. Mes yeux se posent sur la peinture et je manque de tomber à la renverse. Mon regard balaye la masse de loyalistes agglutinés.

Une tête surplombée de cheveux foncés fend la foule pour sortir de la pièce à toute allure. Mes douleurs me sautent dessus, s'emparent de moi en quelques secondes.

- Asal... murmuré-je.

Aucun autre son ne parvient à sortir de ma bouche. Une nuée d'hommes d'affaires étrangers, de conseillers, de riches gouverneurs se jettent sur moi pour féliciter notre nouvelle conquête. Ils me serrent la main sans que je ne puisse le contrôler, ils me tapent les épaules, le dos dans des accolades chaleureuses. Mes muscles frémissent à chaque étreinte.

Je ne quitte pas la porte de sortie des yeux. Un riche loyaliste se poste devant moi et capte difficilement mon regard. Ses yeux sont d'un vert puissant, tels deux émeraudes précieuses. Ses cheveux roux sont rassemblés en un chignon visiblement trop serré. Son nez en trompette se retrousse lorsqu'il me sonde de la tête aux pieds.

- Et bien, commence-t-il, je me devais de vous féliciter pour cette nouvelle conquête. Nous avons remarqués avec mes confrères votre ascension fulgurante ! Nous serions très honorés de vous recevoir sur Pyrq pour un dîner disons... « politique ». Vous et votre père seront les bienvenus...

Les lumières de la demeure s'éteignent brutalement. Les bougies déversent leur faible lueur, nous permettant de nous repérer dans la pièce. Quelques invités hoquettent de surprise mais mon interlocuteur semble attendre une réponse.

- Je n'ai pas le temps de discuter, répondé-je en le bousculant.

L'homme s'offusque puis tente de me retenir. Sa main glisse sur mon costume.

- Nous pourrons nous arranger plus tard, dit-il.

Je ne prends pas la peine de lui répondre, ni de me retourner quand ses doigts tentent de s'accrocher à ma veste. Cette dernière lui reste dans les mains.

**

En sortant de la pièce mes douleurs se font plus vives. Ma marche est rapide. Je dois retrouver Asal, je dois lui assurer que je n'ai rien à voir avec cette histoire, que je voulais simplement l'aider, lui laisser le choix ce soir.

Je ne prends pas la peine de frapper avant de franchir la porte de sa chambre. La pièce est ravagée. Tous ces vêtements sont affalés sur le sol, son armoire est renversée, son miroir s'est brisé dans sa chute contre le parquet. Les voiles de son lit à baldaquins ont été arrachés. Mes jambes se mettent à trembler.

- Harry ! crié-je en sortant dans le couloir.

L'androïde me rejoint en quelques secondes et nous regagnions ma chambre ensemble pour ne pas éveiller les soupçons.

- Elle est partie ! râlé-je.

Harry s'empresse de refermer la porte derrière nous avant de me répondre.

- Deux androïdes ont trouvé le détecteur de visage. Elle l'a fait grillé grâce à son flux, les portes se sont ouvertes... comment a-t-elle fait pour appeler son énergie ? Son mouchard est toujours en service !

Je viens alors m'asseoir sur mon lit, les lattes grincent, les draps se froissent. Mes mains viennent soutenir ma tête.

- Elle a pris la télécommande pendant que nous étions tout les deux...

- Elle a volé le boîtier ? s'étonne l'androïde.

- Je savais qu'elle le prenait...

- Et tu n'as rien fait ? Comment est-ce que tu as pu la laisser prendre ce qui l'empêche de te tuer ?

- Je... je ne sais pas, dis-je dans un mensonge.

- Thane. Je te demande d'être honnête, si tu savais très bien ce qu'elle était en train de faire, pourquoi ne pas l'avoir arrêtée ?

Je relève les yeux vers lui. Je ne me comprends même pas moi-même. Comment lui expliquer ?

- Je ne décode pas pourquoi j'ai été impuissant face à ces actions... c'est certainement son flux qui a pu m'influencer. Après tout, le krievsk m'a dit que mon nouvel implant pouvait réussir à stocker l'énergie... peut-être que ça me rend plus sensible ? tenté-je pour essayer de convaincre Harry mais surtout mon propre esprit.

L'androïde m'observe un moment avant de lâcher un long soupir.

- Je ne crois pas que ce soit le fond du problème, annonce-t-il. Je suis peut-être un robot mais je n'en suis pas moins intelligent, au contraire...

Mon corps se fige, mes douleurs grignotent plus ardemment mes muscles. Je râle avant de poursuivre.

- Je ne sais pas si c'est cette foutue prophétie qui me fait tourner la tête. J'ai l'impression qu'elle s'est emparée de mon esprit... Je n'y arrive pas.

- Tu n'arrives pas à quoi ?

- Je n'arrive pas à savoir ce qu'il se passe en moi, je n'arrive pas à discerner le vrai du faux. Je n'arrive pas à réfléchir clairement.

Le corps du robot se met à vibrer et une petite alarme se met à sonner.

- Son mouchard vient de m'envoyer sa positon, déclare-t-il, balayant la conversation que nous avions. Elle se déplace en direction du désert. Vu sa vitesse, elle doit être à cheval.

- Si elle voyage à cheval, je n'ai aucune chance de la rattraper, soufflé-je.

- Va chercher une oreillette et reste en contact avec moi. Je te donnerai sa position en temps réel. Tu devrais la retrouver... Pour sa propre survie mais surtout pour la tienne... dit Harry amèrement.

Je me lève alors de mon lit et je troque mon costume pour une combinaison. Harry m'aide à fermer ma tenue, lacer mes bottes en cuir et m'équipe d'une oreillette. Je sais que si je ne la retrouve pas je me ferai tuer. Je l'ai laissé filer, je lui ai laissé l'opportunité de s'enfuir. Mon père m'en fera payer les conséquences.

Mes douleurs raidissent mes muscles. Ma mâchoire serre. Je me mets à trembler au moment où Harry m'accompagne jusqu'à la sortie.

- Je m'occupe des invités, charge-toi d'elle.

- Merci Harry, dis-je.

Avant que je ne me lance à la poursuite d'Asal, je me retourne vers l'androïde encore devant l'imposante porte en fer.

- Tu crois que nous sommes vraiment liés pour toujours ? Tu crois que nous sommes destinés à être ensemble ? demandé-je.

Harry se met à sourire.

- Suis la prophétie Thane. Le reste viendra seul.

- Es-tu certain que cette histoire n'influence pas ce qu'il se passe en moi ?

- J'en suis persuadé.

La porte se referme dans un grincement assourdissant et je me sens soudain très seul. Ma peau est fouettée par une pluie battante. L'eau est glaciale. Je me mets en marche.

THUNDER FATESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant