Chapitre 13

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Mamans veulent que je rentre, leur dernier message ne laisse aucun doute, rien ne leur fera changer d'avis.

Ma chérie,

Nous comprenons tes doutes, c'est tout à fait normal. Tu traverses une épreuve effroyable, jamais nous n'aurions imaginé que cela puisse t'arriver. Mais voilà, tu es atteinte de métamorphose, mais ne t'en fais pas, nous sommes là pour toi. N'importe qui de plus faible d'esprit serait devenu fou, mais tu es une femme forte et tu as géré cette situation incroyablement bien. Depuis que tu nous l'as annoncé, on a beaucoup discuté avec ta mère, nous sommes inquiètes parce que c'est une situation qui chamboule toute ta vie. C'est pour ça que nous sommes persuadées que rentrer à la maison te fera le plus grand bien. Évidemment que ça n'est pas facile d'arrêter l'université maintenant, mais cela ne veut pas dire que tu ne pourras jamais reprendre tes études. On dira à la directrice que tu as un problème de santé et que tu reviendras l'année prochaine. Je suis sûre qu'elle comprendra.

On s'est renseigné, on est allée dans un centre d'accueil spirituel pour les parents dont les enfants sont atteints par cette maladie. On y a trouvé beaucoup d'informations, c'est plus commun que ce qu'on croit. Et tous les métamorphes ne sont pas que des brutes épaisses. Mais ils disent quand même que c'est un changement important et que si la personne n'apprend pas bien à vivre avec, les conséquences peuvent être très graves. On a tous en tête des accidents tragiques de métamorphes qui se mettent à attaquer tout ce qui bouge ! J'ai pitié de ces pauvres bêtes, ils n'ont pas été bien entourés et ils ont mal viré. Et tu es une louve en plus, alors tu as une responsabilité envers les autres !

Nous avons pris cette décision parce que nous t'aimons, tu comprendras plus tard. Cela va nous permettre de veiller sur toi et nous assurer que tu ailles bien. On va prendre le bateau pour venir te chercher, on s'occupe de tout. En attendant, prends soin de toi et surtout évite de sortir au maximum, il ne faudrait pas éveiller des soupçons.

Gros bisous de MaO & MaJo.

A la lecture de cette lettre, je comprends tout de suite que MaJo a monté le bourrichon à MaO. Ça a toujours été comme ça. Du plus loin que je me souvienne, MaJo a toujours eu le dernier mot et MaO suit aveuglément. Je ne sais pas si c'est par amour ou par faiblesse.

Quand j'étais petite, j'avais trouvé un petit piloupilou abandonné. Il était minuscule et je l'avais soigné, nourrit, je lui avais préparé un petit nid douillet. Il était très faible quand je l'ai trouvé, je m'en suis occupé toute la soirée et une partie de la nuit. J'ai marché une heure jusqu'au supermarché pour trouver des baies rouges, leur nourriture préférée. Mais le lendemain matin, MaJo s'est persuadée que c'était mieux pour lui s'il était remis dehors et que si je ne le faisais pas je m'attacherais trop et que c'était mauvais pour moi. J'ai donc été forcée de laisser le petit piloupilou à son sort. Ce sont des créatures qui s'attachent très rapidement à quelqu'un. Il pouvait à peine marcher et le soir, j'ai retrouvé des touffes de poils marrons partout dans le jardin. MaO a mis des jours à me consoler. MaJo n'a rien voulu savoir, pour elle c'était de la faute du petit piloupilou et qu'une créature aussi faible n'a pas sa place dans la nature. Je lui en ai énormément voulu, à chaque fois que je m'occupais d'une autre créature, c'était dans le plus grand des secrets. Je ne pouvais rien dire à personne, surtout pas à MaJo et encore moins à MaO qui aurait tout rapporté à MaJo.

Tant qu'elles ne vont pas comprendre que la métamorphose n'est pas une maladie, elles ne comprendront rien à rien. Je n'aurais pas dû leur dire, ça aurait été mieux pour tout le monde si elles n'en savaient rien. Maintenant, elles vont débarquer ici pour tout chambouler encore une fois.

Je ferme mon ordinateur d'un coup. Il faut que je trouve une solution, elles ne vont pas m'arracher à mes études, à ma nouvelle vie et à Ryelk... Je sens ma gorge se nouer, ma vision se trouble et une larme coule le long de ma joue. Il faut que je me ressaisisse, je dois trouver un moyen, quelque chose, n'importe quoi, mais je ne rentrerais pas en Pismigérie.

- -

Ryelk a été tout de suite accepté par sa famille, mais la mienne pense que je suis malade. Peut-être que s'il peut parler à mamans, il pourra les faire changer d'avis. C'est le seul qui pourrait le faire de toute façon, s'il n'y arrive pas, je vais devoir trouver une solution plus radicale.

Je n'ai pas cours le jeudi après-midi, je vais pouvoir parler à Ryelk. Je profite de l'heure de cours pour descendre au sous-sol, vers son bureau. Comme tout le monde est soit en cours, soit à la bibliothèque, soit aux résidences, personne ne devrait traîner dans les couloirs. Je descends l'escalier en colimaçon, le pas décidé.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? Demande Ryelk.

Mon professeur est debout, au milieu de la pièce, une pile de paperasses dans les mains.

- Comment tu as su... ? Peu importe, mes mères arrivent pour me chercher.

Ryelk reste un instant silencieux, à me regarder dans le blanc des yeux.

- C'est compréhensible.

- Pardon ? Elles n'ont pas le droit de faire ça ! Elles ne peuvent pas m'enlever.

- Malheureusement, si, dit-il d'une voix impassible.

Je ne comprends pas Ryelk. Ça a l'air de lui faire ni chaud ni froid que je parte. Après tout ce qu'on a partagé, je pensais qu'il aurait eu une autre réaction.

- Je vais écrire à tes mères, dit-il.

La surprise doit se lire sur mon visage. Il avait l'air heureux de se débarrasser de moi, mais la seconde d'après il me propose de l'aide.

- On a leur contact dans nos dossiers, donc je vais leur expliquer toute la situation.

- Peut-être pas toute la situation, si ?

Ryelk se met à rigoler d'un coup, je souris, ne sachant pas trop si je dois rigoler ou me sentir blessée.

- Non, bien sûr que non, je ne pense pas qu'elles réagiraient bien si je leur disais que je couche avec leur fille.

- Ehm, non, vaudrait mieux pas, dis-je perplexe. Je n'ai pas envie de partir.

- Je n'ai pas envie que tu partes non plus.

- Tu n'en avais pas l'air, il y a une minute.

- C'est compréhensible qu'elles s'inquiètent pour toi et malheureusement, elles ont le droit d'arrêter tes études parce qu'elles sont tes mères, ce sont les faits. Cela ne veut pas dire que je veuille que tu partes, dit-il en reprenant son air sérieux.

Ryelk se rassoit à son bureau et me regarde, je voudrais aller l'embrasser maintenant. Toute cette pression m'épuise, j'ai besoin de son contact. Je voudrais le prendre dans mes bras et fourrer mon nez dans son cou.

- Je pense qu'il vaut mieux les appeler, ça sera plus simple. Ma mère Joséphine est celle qu'il faut convaincre et elle préfère le téléphone.

- Je vais l'appeler en fin de journée.

- Merci, est-ce qu'on se voit plus tard ?

- Non, j'ai beaucoup de travail à faire, dit-il en baissant les yeux.

Je hoche la tête, j'ai du mal à saisir ce qu'il veut de moi. Maintenant qu'il a eu ce qu'il voulait l'autre soir, il n'a plus besoin de moi. J'aurais dû m'en douter, un prof d'université ne peut pas vraiment s'intéresser à une étudiante. J'ai été trop naïve, m'attacher à mon professeur est stupide, je ne suis qu'une cruche qui s'est fait des films. On ne m'y prendra plus, j'apprécie son aide pour me permettre de rester ici, mais notre relation s'arrête là. Ce qui compte c'est que je puisse continuer mes études, pas une histoire impossible avec mon professeur. Je suis sûre que Ryelk pense la même chose, sinon il ne serait pas aussi froid avec moi.

- Bon, je vous laisse, je dois travailler aussi, dis-je d'une voix peut-être plus dure que ce que je voulais, mais au moins les choses sont claires.



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