2. Faire le premier pas

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A minuit, je pars. C'est décidé !

Bon, où est-il que j'en finisse avec cette soirée ? Je scanne les alentours pour le repérer dans la foule d'invités. Peine perdue: il n'y a que des investisseurs, quelques journalistes et les pique-assiettes habituels. Mon téléphone reste silencieux : aucun message pour me dire qu'il est en retard, je n'espère même plus qu'il prétende être coincé dans les bouchons, cela ne servirait à rien. S'il ne passe pas la porte dans dix secondes, je me débrouillerai seule. Je connais mon dossier par cœur, je suis la meilleure pour présenter notre nouveau projet au président de la GoldMine – l'inflexible et charismatique Louis Duval. Il n'est qu'à quelques mètres de moi à serrer des mains et à faire la conversation, je dois saisir ma chance. Tant pis si mon partenaire m'a abandonnée au dernier moment. Il est temps d'y aller...

Allez, Roxanne, courage ! Bouge-toi ! Fais un pas, même minuscule et avance jusqu'à Duval ! C'est un vieil ami de ton père, il flaire les bonnes affaires à des kilomètres, c'est quasiment dans la poche !

J'ai beau me motiver, mes pieds juchés sur des talons de dix-huit centimètres ne bougent pas. J'adore mes chaussures, je les ai créées moi-même et j'ai tout fait pour qu'elles soient aussi hautes que confortables. Je domine tout le monde de par ma taille et je suis une adulte, je peux le faire ! Oui, je peux... alors pourquoi ai-je l'impression d'avoir de nouveau dix ans et de devoir réciter une poésie devant toute la classe ? Je la connais pourtant par cœur ma poésie, euh.. je veux dire mon dossier.

Inspire, expire ! Je n'ai pas à me sentir illégitime ou à avoir de syndrome de l'imposteur. Inspire, expiiiiiire. Je suis l'héritière en titre de la maison Rosso, je suis à l'origine du design de la plupart de nos modèles et je sais que notre nouvelle collection va se vendre comme des petits pains. Inspiiiiiire, expiiiire. Il ne manque qu'un peu (beaucoup ?) d'argent pour remettre l'entreprise familiale sur les rails depuis que nos locaux ont brûlé il y a cinq ans et nous refaire une belle réputation au niveau mondial. J'ai besoin à tout prix du partenariat avec la GoldMine ! je vais convaincre Louis Duval de nous donner un coup de main. Je le dois pour mon père et pour toute l'équipe qui s'est donnée à fond cette année. Trop de gens comptent sur moi, je dois sécuriser les emplois et rassurer celles et ceux qui travaillent avec nous depuis toutes ces années.

Allez ! Redresse-toi, sois forte et courageuse. Tu dois sauver ta maison. C'est bien, Roxie ! Standing ovation, la foule en délire hurle ton surnom : Roxie, Roxie, ouais ! Bouge tes pieds, souris, avance, tiens-toi droite, aie confiance ! Roxie, Roxie !

Tu te pelotonneras dans ta couette avec un chocolat chaud dans une heure, mais là ce n'est pas le moment. Encore cinq mètres, t'es la meilleure ! Trois mètres, tu déchires tout ! Un mètre, tu l'as dans ton viseur : il est à toi ! Cible verrouillée, prête à tirer.

Soudain, une main se pose sur mon épaule et je sursaute.

- Ah ! je manque de crier et quelques visages étonnés se tournent vers moi.

- Ce n'est que moi, Roxanne.

Silvio me sourit avec bienveillance, il me tend une coupe de champagne.

- Qu'est-ce que tu faisais, je gronde. Cela fait une heure que je t'attends.

Mon compagnon se gratte l'arrière de la nuque, quelques cheveux rebiquent au-dessus de son col de chemise. Je remarque des traces grises sur sa main à la limite du poignet et je soupire :

- Tu dessinais et tu n'as pas vu l'heure, je déduis.

Il penche la tête sur le côté, un peu penaud. Je n'arrive même pas à lui en vouloir. Quand Silvio crée de nouveaux modèles, il oublie tout : le temps, l'espace, la vie et même parfois de manger. C'est un rêveur et un designer de talent. Nous avons de la chance qu'il travaille pour notre marque depuis quelques années et je suis heureuse de l'avoir dans ma vie. Pourtant, ce serait bien qu'il soit un peu moins dans la lune et un peu plus sérieux quand il s'agit de gérer autre chose que des esquisses.

- Ce n'est pas sérieux, je le tance. Tu sais que Louis Duval n'est à Paris que pour quelques jours et que son emploi du temps est serré, nous n'aurons plus une telle occasion avant longtemps !

- As-tu vraiment besoin de moi ? il soupire. Les investisseurs et les patrons, moi, tu sais...

Il plaisante, là ? On en avait déjà parlé : je ne peux pas tout gérer et il devait s'impliquer d'avantage s'il voulait être nommé directeur, il l'a promis à mon père le mois dernier devant son lit d'hôpital. J'espérais avoir un peu de soutien, pas me coltiner tout le boulot.

Je décline le verre qu'il me tend, je n'ai pas soif et pas besoin de distraction.

- Tu peux rester ici, lui dis-je. Tu n'auras qu'à...

- Mademoiselle Rosso ! Quelle bonne surprise de vous croiser ici, nous interrompt un homme.

Je me retourne au ralenti. Louis Duval m'a trouvé tout seul. Quelle aubaine !

- Comment se porte votre père ? J'ai appris qu'il avait eu des soucis de santé.

- Tout va bien, je mens. Je le remplace ce soir, puis-je vous présenter mon collaborateur : Silvio.

Les deux hommes se serrent la main et, passé les salutations d'usage et quelques anecdotes sur l'époque où, enfant, je jouais avec ses fils dans leur propriété de province pendant les vacances d'été, j'attaque immédiatement sur ce qui m'amène. Le PDG de la plus grande entreprise de mannequinat écoute attentivement mes arguments en hochant la tête.

- Effectivement, cela me semble prometteur. Toutefois, il croise les mains dans son dos, je ne suis pas en faveur d'un aussi gros investissement pour débuter la collection, il faut sonder le marché et évaluer les risques. Il serait plus avantageux de commencer avec une petite incursion dans le monde de la mode pour l'automne par exemple.

Nous ne pourrons pas tenir jusque-là, je suis au courant de nos dettes à la banque et si nous mettons trop de temps, nous coulerons. Je ne peux pas laisser faire ça !

- Vous voulez dire, je réfléchis à toute allure pour ne pas qu'il me file entre les doigts, que nous pourrions faire une collection capsule ?

Duval lève la tête vers moi, je l'ai ferré :

- Quelques modèles emblématiques et d'autres plus abordables mais en édition limitée pour créer l'engouement et l'attente de nos fans, je propose. Nous pourrions relancer la marque petit à petit avec des concepts exclusifs.

- Intéressant... il semble convaincu mais n'en laisse rien paraître, il doit être doué au poker. Il se trouve que justement, j'ai une personne qui cherche à se placer sur internet avec un nouveau concept de défilé numérique. Nous pourrions faire un partenariat à l'occasion de la fashion week. J'ai conscience que le délai est serré, mais vous aimez les défis, Mademoiselle Rosso, n'est-ce pas ?

- Evidemment ! je réplique avec assurance (même si je n'ai aucune idée de ce qu'est un défilé numérique ni comment en organiser un).

- Mon experte en médias va revenir vers vous dans les plus brefs délais. Je vous envoie un contrat à finaliser, mon fils s'en chargera il participera au projet. Rassurez-moi, il plisse ses yeux noirs,  vous êtes toujours en bons termes n'est-ce pas ?

- Evidemment, je me réjouis de travailler avec vous. Et si c'est Rob qui m'apporte le contrat, j'en serai ravie.

Rob est comme mon petit frère. Depuis qu'il a passé son baccalauréat, il est stagiaire auprès de la GoldMine. Il est toujours fourré chez nous pour manger des pizzas avec son meilleur ami Jay. C'est même plutôt sympa que ce soit lui qui amène le contrat, on fêtera ça ensemble.

- Rob ? le chef de la GoldMine fronce les sourcils, sans comprendre. Non, je parlais de mon fils aîné.

Tout mon corps se rigidifie comme si je devenais une statue de pierre. Impossible... Il ne peut pas être sérieux. J'arrive à peine à respirer tellement mon plexus se contracte.

Impossible, mais...

Matthias...

Matthias est revenu ?

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La suite est postée 😘

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