43. Princesse des cendres

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Où est Matthias ? J'ai la gorge serrée et je regarde partout quitte à me dévisser la tête pour l'apercevoir dans la foule. Ma marraine offre un de ses flyers à une petite brune à queue de cheval, qui hésite à le prendre. Shana n'est plus là.

Je peux peut-être les retrouver à l'intérieur ? J'ai à peine amorcé mon départ que Silvio se plante brusquement devant moi.

« Roxanne, je suis heureux que tu sois venue voir le résultat de mon travail. Est-ce qu'on pourrait parler tous les deux. »

J'ai envie de vomir en le dévisageant, tellement la colère est tapie en moi.

« Je n'ai plus rien à te dire. J'ai bien compris ce que tu as voulu exprimer hier soir, cela m'a suffi. Restons-en là.

- Tu ne peux pas être sérieuse », s'étonne-t-il tout bas.

Mon regard balaye les têtes inconnues près de nous. Qui est journaliste ? Qui peut me reconnaître ? Cela me stresse. Pas de mauvais buzz avant le lancement de la collection ! Pas de vague ! me martèle ma conscience. Pas moyen de lui faire une scène ici ou de lui hurler de dégager.

- Je regrette, dit-il en me prenant la main. Tu ne peux pas me rejeter après toutes ces années ensemble. Je sais que tu as peur de l'avenir sans moi, nous sommes faits pour être ensemble. Oublions cette mauvaise passe.

- Que je quoi ? je réponds en serrant la mâchoire. J'ai peur de la vie sans toi ? Mais pour qui te prends-tu ? Tu n'es pas mon sauveur ni ma béquille, je peux tenir debout sans toi. Je suis assez forte pour...

- J'ai promis à ton père de toujours veiller sur toi depuis l'incendie, je tiendrai cette promesse.

Il serre ma main, je la retire violement.

- Veiller sur moi ? Cela ne viendrait pas à l'idée qu'une promesse ne se fait pas entre hommes pour une tiers personne mais avec cette personne elle-même ? Si notre relation n'est basée que sur le fait de « veiller sur moi », alors sache que je n'en ai pas besoin. Moi, je croyais que tu m'aimais, que tu admirais mon travail autant que j'aimais le tien. Je croyais qu'on avait un lien spécial.

- Oui, répond-il un peu décontenancé. Evidemment c'est le cas...

- Quel genre de lien ? » je le coupe.

Silvio n'a jamais dit qu'il m'aimait. Il me le disait dans ses esquisses, dans ses sourires, dans sa manière de prendre soin de moi. Ou alors, ai-je tout inventé ? M'a-t-il jamais aimée ? Parce que moi, mes sentiments étaient sincères tout du long.

Un groupe nous bouscule et un client manque de renverser sa boisson sur moi. Je m'écarte de Silvio et le dévisage.

« Voyons, Roxie, tu sais bien... Toi et moi avons un lien très fort. »

Il ne le dira pas. Jamais.

Qu'il m'aime. Que je suis la seule dans sa vie. Qu'il m'admire. Que je suis importante à ses yeux.

Rien.

« Pas ici ! je déclare. On en reparlera plus tard, pas en public. J'ai à faire !

- Avec Matthias ? il plisse les yeux.

- Je ne vois pas le rapport, j'avais un rendez-vous pro et...

Non mais, pourquoi suis-je en train de me justifier ?

- Pro ? En soirée... à MA soirée ? grogne-t-il.

- Tu n'es pas le centre du monde Silvio. En tout cas, pas du mien.

- Tu as toujours soutenu et encouragé avec enthousiasme tout ce que je créais et soudain cela ne serait plus le cas ? Qu'est-ce qui a bien pu changer si brusquement, si ce n'est son arrivée ?

L'entendre dire une telle chose me fait une peine immense. Je me rends compte à quel point toute ma vie, mon travail et mon organisation quotidienne était tournée vers lui. Je croyais que nous faisions les choses à deux, mais en fait j'étais seulement une aide, une soubrette tapie derrière une porte de service qui accourait dès qu'il avait besoin de moi pour lui faciliter la vie.

- Moi ! je soupire. C'est moi qui change !

Je me tiens droite en soutenant son regard.

- Roxanne, voyons. Tu as toujours été présente pour moi, pour m'aider, comment peux-tu penser... Tu ne peux pas me remplacer ainsi. Il te faudra donc toujours une nouvelle béquille pour marcher, ma petite Cendrillon ? »

Je mets encore plus de distance entre nous, j'étouffe.

Etais-je l'esclave dans ma propre maison ? La petite main soumise à son bonheur, celle qui époussette la poussière sur les étagères, corrige ses croquis, remet en place son désordre et contrôle les détails qu'il n'a pas envie de terminer. A lui la gloire et les applaudissements, à moi les coulisses et l'ombre. Il a droit au feu réconfortant de la cheminée et moi aux cendres froides. Il a raison : je suis sa Cendrillon... Mais pas la version qui me plaît !

Il se rapproche de moi et pose sa main sur mon épaule :

« Crois-tu vraiment que je vais laisser faire cela et que ton père va accepter ta relation avec l'aîné des Duval. Tu te trompes de chemin, il n'est pas la bonne personne pour toi.

Je lui donne un coup de coude dans le plexus pour qu'il arrête de m'approcher :

- Je n'ai pas à demander la permission à qui que ce soit. Ta jalousie me dégoûte ! Ce qui m'écœure encore plus est que tu ne me crois pas capable de prendre mes décisions par moi-même. Et que tu t'attendes à ce que demande de l'aide à un homme à chaque fois. Ce que tu peux être sexiste ! La bonne personne pour moi, c'est moi-même ! »

La main posée sur son buste, plié en deux, Silvio tousse à cause de mon coup. Je me penche à mon tour pour lui murmurer :

« Et pour ton info : Cendrillon peut repartir de cette fête avec un seule escarpin, l'autre pourrait rester planter avec son talon aiguille dans le fond de ta gorge, si tu oses encore m'adresser la parole ce soir. »

Et sans demander mon reste, je pivote sur mes talons haut-perchés et pénètre dans le bar. Il va voir de quel bois se chauffe la princesse des cendres.

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L'évolution de Roxanne continue ! ❤
Dans cette histoire, je préfère que l'héroïne se batte contre ceux qui l'empêchent d'évoluer (environnement sexiste et couple bancale) plutôt que contre des figures féminines toxiques. Il n'y aura donc pas de belle-mère ni de sœurs  😁😉

Rdv vite pour la suite !

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