28. Le nom de la Rose

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" Tu es très pâle, ma fille, est-ce que tu vas bien ?

Je change l'eau des fleurs et aere la chambre d'hôpital. Dans son fauteuil, mon père remet ses lunettes et m'observe derrière son journal.

- Je ne dors pas beaucoup.
- Et tu ne manges pas bien non plus, je suppose.
- Ah si, mais disons pas super équilibré, rigole Jay.

Il m'a accompagnée et nous sommes venus en moto. Ça me fait gagner pas mal de temps sur mon trajet et donc sur ma journée. Ensuite, il ira en cours et moi à l'atelier.

- J'imagine, approuve mon père, que vous vous gavez de junkfood. Ta marraine m'a proposé de me ramener le déjeuner mais je vais plutôt lui demander de vous livrer des légumes issus de sa biocoopérative.

- Y a une feuille de salade dans les hamburgers, vous savez. Et même une tranche de tomate, ajoute Jay.

On rit et mes épaules se détendent un peu. J'ai passé la nuit à finir la toile et appelé en urgence une des petites mains de l'atelier pour m'aider sur le pull. Je suis dans l'obligation de déléguer un peu pour respecter les délais. J'ai quand même un début de migraine et des courbatures à force de rester pencher sur mon ouvrage. Je ravale un bâillement comme je peux, avant de me tourner vers mon père.

- Tout est sous contrôle, Monsieur le PDG ! Ma mini collection avance bien et... Silvio pense même avoir trouvé un débouché pour la collection haute couture, avec ma marraine justement.

- Parfait. D'ailleurs où est-il ? Déjà à l'atelier ?

Si seulement je le savais...

- Sûrement, tu le connais ! j'élude comme je peux. D'ailleurs, à ce propos, j'ai reçu un nouveau contrat de sa part et je dois lui en parler.

Mon père pose son journal sur ses genoux. Il a flairé mon énervement sous mon ton neutre.

- C'est encore toi qui t'occupe de tout ? s'étonne-t-il. Je me demande si Silvio a les épaules pour gérer la Maison Rosso. Je pensais qu'après votre mariage, il pourrait...

- Papa : mariage ou pas, c'est moi qui serai l'héritière de la Maison. Silvio n'a jamais voulu plus que le rôle de directeur artistique et il déteste tout ce qui touche à l'administration, le budget, les avocats.

- Mais pourrais-tu te décharger sur lui et...

- Non, je tranche. N'essaie pas de lui donner plus de responsabilités alors qu'il n'en veut pas. D'ailleurs... Jay, tu peux nous laisser dix minutes ?

- Je vais faire un tour, je t'attendrai dehors. Au revoir M. Rosso.

Une fois la porte refermée sur Jay, je m'assieds sur le rebord du lit.

- Papa, est-ce que c'est vrai : tu penses fermer la Maison Rosso ?

Il regarde par la fenêtre, le visage un peu défait.

- C'est une probabilité, malheureusement. Je ne pensais pas que tu t'en tirerais aussi bien avec Louis Duval. Pour moi, c'était une cause perdue. J'avais presque achevé les démarches de saisie de nos ateliers quand tu m'as annoncé la nouvelle.

Il était persuadé que j'allais échouer. Ça me fait mal de l'apprendre, mais j'encaisse. Il m'explique que nous pouvons encore tenir un ou deux mois. Après, la banque et les huissiers saisiront tout.
C'est encore pire que ce que j'imaginais. J'espérai avoir encore six mois à un an. Même si nous licencions encore, il faut payer les charges et le loyer des ateliers. C'est une somme démente si nous n'avons aucune rentrée d'argent.

Si la collection capsule ne fonctionne pas dès son lancement, si personne ne pré-commande, c'est fini.
Bien sûr, je le savais. Toutefois, l'entendre de la bouche de mon père me glace le sang.

Je déglutis. Si la Maison Rosso ferme, je vais aussi perdre Silvio. Il serait capable de partir n'importe où dans le monde pour trouver un poste qui lui plaise. Je ne suis pas sûre de vouloir le suivre. Et puis moi, je ferai quoi sans ma Maison ? Je ne me suis encore jamais posé la question.

Je comprends que Silvio ne veuille pas être associé à l'échec avec ma mini collection : cela ferait tâche sur son CV.

- On devrait peut-être laisser partir Silvio, suggère Papa. Il doit réagir avant que cela ne soit trop tard.

Il sait que cela me trouble mais il ne peut pas s'empêcher de me le dire.

- Il t'emmènera dans ses nouveaux projets, ce n'est que la fin de sa carrière ici, pas de votre couple, ajoute-t-il rapidement.

- On verra... mais moi, je ne le suivrai peut-être pas. Moi aussi j'ai des rêves. Je vais rebâtir la marque et...

- Roxanne, parfois il faut abandonner le navire.

- Je suis le capitaine quand tu n'es pas là ! Un capitaine n'abandonne pas son navire.

- Alors, tu es virée ! Pour ton bien.

Nous nous dévisageons. Je sais qu'il veut me sauver, mais je suis à bout de nerfs. Il n'a pas à prendre de décision à ma place. Ce qui est bien pour moi, c'est à moi de le savoir. Je ne suis plus une enfant.

- C'est moi qui décide, papa. Si tu veux fermer la Maison Rosso, alors vends la moi ! Tu peux liquider nos actifs et me laisser le nom au moins. Ce nom est une marque, mais c'est aussi mon identité.

- Ne dis pas de sottises ! Tu vas écoper des dettes et... tu n'as pas d'argent.

- Je te ramènerai un contrat de vente. Je vais en parler à Shana. L'argent, je peux en trouver.

- Je ne vendrai pas.

- Si la collection capsule fonctionne, vends-moi la marque. Je n'ai pas besoin des ateliers, ni des immeubles, ni de rien. Juste mon nom. Je rebâtirai le reste de mes propres mains.

- Mais...

- Si un autre achète notre nom, je ne te le pardonnerai jamais. Vends-moi la marque Rosso. Le reste je m'en charge !

Dans le monde de la mode, certains ont été dépossédés de leur nom qui était devenu une marque. Bien sûr, ce nom restait leur identité, mais ils n'avaient pas le droit de l'exploiter commercialement. Certains en ont  souffert. Je pense notamment à Christian Lacroix, John Galliano, Thierry Mugler ou Alston.

Je songe à Roméo et Juliette où en apprenant que Roméo porte le nom de la famille ennemie, Juliette se demande s'il pouvait juste renier son nom. Si une rose sentirait moins bon en ayant un autre nom.
Si j'étais une rose, je défendrais jusqu'au bout de mes épines mon identité. Je suis Roxanne Rosso et mon nom n'a pas le droit d'être exploité par d'autre. Ni mon nom, ni mon image, ni mon avenir.

- Tu serais plus heureuse avec Silvio ailleurs qu'ici et loin de toute cette pression, tente mon père.

Il s'imagine que Silvio va me prendre en charge, que je vais devenir son épouse et m'en contenter. JAMAIS ! Moi, je ne veux pas juste d'une vie sans but. Je ne veux dépendre de personne et je veux créer. Même seule s'il le faut.

- C'est moi qui décide de ma vie, papa. Moi seule.

Il baisse les épaules et se replonge dans son journal :

- Je vais y réfléchir...

Oui, il peut réfléchir. De mon côté, je vais agir ! Je ne suis pas une fleur passive, une belle plante qui fait potiche. Je sors mes épines et tout de suite. Pour cela, j'ai besoin de Shana et d'un arsenal juridique.

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RDV vite pour la suite !

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