38. Dispute

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Je termine le dossier pour Matthias avec l'aide de Mounia. Elle a été d'une aide précieuse depuis ces trois derniers jours. Nous avons même bouclé la charte pour le défilé. Chaque tenue est ainsi décrite avec son nom, les tailles disponibles et les matières utilisées. Les échantillons filent chez Matthias, tandis qu'une copie part aux RP afin de préparer un communiqué de presse, une autre est envoyée par email au service communication en charge du site internet. Sous chaque article devra figurer la composition, le prix, le nom et les tailles disponibles, cela n'a l'air de rien mais si une donnée manque, cela peut nous priver d'une vente ou rendre mauvaise l'expérience numérique des clients. Le diable se cache toujours dans les détails donc j'ai l'œil sur tout, heureusement l'équipe de la Maison Rosso est hyper efficace malgré sa petite taille. Certains ont déjà donné leur démission afin de chercher un travail ailleurs. J'ai même rédigé plusieurs lettres de recommandation pour celles et ceux qui me l'ont demandé et je m'attends à des défections rapides dès que Silvio annoncera officiellement son départ.

Je ne me fais aucune illusion à ce sujet : il va nous quitter et donner une nouvelle direction à sa carrière. Ce qu'il adviendra de notre couple est une autre histoire. Jusqu'ici je n'avais jamais scindé le personnel du professionnel car la Maison Rosso fait partie intégrante de moi, il s'agit de mon ADN et de mon héritage. Pour Silvio, c'est juste un poste comme un autre. Sa passion n'est pas moins intense qu'à ses débuts, mais soyons honnête : il aurait pu changer d'employeur avant et s'il n'est resté ici, ce n'est que pour moi. Peut-être que c'est encore moi qui le fais tergiverser. Il hésite à partir à cause de moi.

Je ne veux pas être un frein pour sa carrière et sa création, ce serait la première fois et il en est hors de question. Je ne veux pas non plus qu'il soit un frein à mon épanouissement ou qu'il continue à me prendre de haut et à saper mon moral en disant que tout est perdu d'avance.

Je m'étire en baillant et repousse ma chaise du bureau. Il est bientôt vingt heures et je suis là depuis bien trop longtemps. Une bulle de conversation issue de pomme-d'amour.com apparaît sur l'écran de mon portable : Jay me prévient qu'il est parti faire un tour et rentrera tard, quant à Rob il est à la gare pour récupérer des mannequins qui arrivent de Londres.

Je prends mon sac pour quitter l'atelier, je rêvasse un peu dans le métro. Soirée tranquille en perspective. Peut-être est-ce le bon moment pour savoir où se trouve Silvio et parler à cœur ouvert ? Si je ne le fais pas, cela va peser sur mon moral et je préfèrerais clarifier la situation. Pourtant, ce n'est pas facile. Je me suis déjà rongé tous les ongles à force de penser à lui, à nous, à notre avenir, à cette discussion que je dois mener de front sans quoi il la fuira tout le temps.

C'est avec un poids énorme sur le cœur et le plexus serré que j'arrive chez moi, exténuée par cette semaine durant laquelle à tout le stress de la collection se sont ajoutés mes problèmes de couple. J'enlève mes chaussures en soupirant, dépose mes affaires dans le placard de l'entrée. Si je pouvais, je resterais ce soir sous ma couette avec un bon chocolat chaud et des gâteaux pour regarder une série et débrancher mon cerveau ne serait-ce qu'une petite heure. Une toute petite heure. Néanmoins, c'est un luxe que je n'arrive pas à m'offrir : j'aurais trop mauvaise conscience de ne rien faire. Je sais bien qu'on ne peut pas être productif tout le temps et que je ne peux rien contrôler d'autre que ce qui est en mon pouvoir. Mais ai-je tout fait, ai-je pensé à tout, ai-je tout vérifié, n'y a-t-il pas une meilleure idée, quelque chose de plus à changer, à inventer, à coudre, à dessiner ? Mon esprit ne me laisse jamais en paix.

J'ai si peur.

Tout est si incertain : la collection, le défilé, ma relation de couple, mon amitié renaissante avec Matthias, sa relation ambiguë avec Jay et Rob, le côté toxique de mon contrat avec la Goldmine que j'ai dû renégocier avec Shana. Malgré mes espoirs fous de tout réussir et ma conviction que tout ira bien tant que je fais de mon mieux, rien ne garantit quoique ce soit. Cela me rend folle d'inquiétude. Alors une heure de calme, est-ce trop demander ?

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