59. Chandelier

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Matthias me regarde fixement, je retiens ma surprise :

« Un dîner aux chandelles ? je répète devant son air sérieux.

Assise à mon bureau près des ateliers, je me cale contre le dossier de mon fauteuil. J'avais rendez-vous aujourd'hui avec ma marraine, mais c'est Matthias qui est arrivé.

- Tu comptes organiser un dîner aux chandelles au milieu du parc d'un château ? Tu veux mettre le feu aux arbres ? je ricane.

- Je me suis dit que cela pourrait t'inspirer. Je vais transformer l'endroit du défilé pour faire rêver les gens, donc ambiance romantique et bucolique chic. Pyromanes s'abstenir, ajoute-t-il avec un petit sourire en coin.

J'attrape un fusain et une feuille de papier, autant pour éviter son regard sur moi que pour me recentrer.

- Ce serait pour les serveurs ?

- Exactement, je dois les rendre visibles même de nuit et procurer une source de lumière. Mais je ne peux pas leur mettre de lampe frontale façon spéléologues ni leur faire porter des torches alors qu'ils ont des plateaux. Bien sûr, des chandeliers seraient parfaitement dans le thème mais...

- Mais pas sécurisé, j'ai saisi ! je fais rouler le bout de mon crayon sur la pulpe de ma lèvre inférieure en réfléchissant. Des chandeliers...

Pendant quelques instants rien ne brise le silence de ma réflexion, le crayon continue de rouler sur m lèvre inférieure. Le monde disparaît dans un brouillard délicat, je me retrouve les yeux mi-clos dans le parc du château de mon enfance. Des rires d'enfants sont doucement remplacés par un clair de lune, l'herbe fraîche chatouille la plante de mes pieds nus, une brise rafraichissante me caresse les épaules, tandis que des serveurs et serveuses entament une valse avec leurs plateaux entre les invités. Des chandeliers... Des chandeliers...

« Je sais ! J'ai trouvé » je m'exclame en rouvrant les paupières.

Un océan bleu nuit me cueille au passage. Sous ses longs cils, les yeux de Matthias fixent mes lèvres. Il est si proche et si loin en même temps. Je déglutis en baissant la tête, ouvrant mon carnet de croquis pour me donner une contenance. Je crayonne une silhouette, puis avec un feutre jaune je délimite le contour des bras et le buste.

« Nous allons faire des tenues électrifiées pour que dans le noir complet, les serveurs ressemblent à des chandeliers. Tu vois cette ligne jaune : c'est le réseau qui sera intégré à leur tenue et qui s'allumera sur simple activation d'un petit interrupteur glissé dans leur poche au niveau du cœur. Pas de risque de brûlure, je connais le tissu approprié.

- Les démonstratrices de l'application pomme-d'amour auront des robes jaunes pour les distinguer du service de traiteur donc elles seront bien différenciées, approuve Matthias. Le prix ?

- Cela ne coûtera pas trop cher mais il faut s'y mettre rapidement, je connais un sous-traitant pour ce type de commande, il est spécialisé dans l'évènementiel. Par contre, tu dois les contacter tout de suite. Ils sauront comment faire si tu leur envoie mon croquis, il y a moins d'une dizaine de serveurs donc c'est faisable. Le secrétariat te donnera leurs coordonnées et...

Je lui tends mon croquis un peu trop brusquement, ses doigts frôlent les miens en le prenant. Un nœud se forme dans le creux de mon ventre et je refoule cette sensation en me mordant les lèvres.

- Roxie, murmure-t-il en regardant le dessin.

- Hum, j'ose à peine bouger, je ne sais pas ce que j'ai en observant ses longs doigts sur la petite feuille.

- Je ne parlais pas du prix de la confection, mais de celui de ton idée.

Je ris maladroitement :

- Je ne vais te faire payer un crayonné qui m'a pris trois secondes !

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