Kay marchait en silence, vêtu de l'armure et des deux épées que son maître d'armes lui avait donné avant de le jeter hors du village. Bien sûr, Kay ne s'attendait pas à être traité avec bonté – il n'était pas idiot – mais il aurait au moins espéré un peu de reconnaissance envers le sacrifice qu'il s'apprêtait à faire. Pas de cérémonie de départ, pas d'au revoir, le garçon aurait tout aussi bien pu n'avoir jamais existé.
Le territoire des Selkams était désertique et paraissait complètement mort. Ce genre de terrain était pratique pour les entraînements mais lorsqu'on les traversait seul en se dirigeant vers la mort, on ne pouvait espérer plus déprimant. C'était autre chose que se déplacer en volant ou en se balançant d'arbre en arbre.
Le jeune homme arriva devant une paroi qui devait être le bord du cratère de l'immense volcan dans lequel le camp de son peuple était installé. Il saisit la corde attachée à sa taille pour la passer en diagonale des deux côtés de son torse et la nouer solidement avant de débuter l'ascension. En temps normal, jamais le maître d'armes ne lui aurait accordé un tel dispositif de protection. Toutefois, sa cheffe avait eu le bon sens de décréter que s'il mourait avant d'atteindre le noyau, son sacrifice serait inutile.
Une fois arrivé à trois mètres du sol, il noua la corde autour d'une tige de métal placée là pour apprendre aux bambins à escalader. Il vérifia avec attention si elle était solidement attachée car dans le cas contraire, une chute s'avérerait mortelle. Il reprit ensuite son ascension en répétant la même opération tous les trois mètres, les muscles bandés. Son armure constituait un véritable poids avec lequel il s'était rarement entraîné à escalader et il ne put s'empêcher de se demander si son maître d'arme avait fait exprès de lui en fournir une.
Kay atteignit finalement le haut du mur et jeta la corde dans le vide en adressant un dernier regard à son village. Si une chose était sûre, c'est que ça ne lui manquerait pas. Ni les gens, ni l'endroit. Non, rien là-bas ne lui manquerait.
Il tourna le dos et marcha dans un territoire désertique pendant encore quelques minutes avant d'atteindre la forêt. La fraîcheur de l'air et les craquements des feuilles le ravivèrent aussitôt. Si ça devait être le dernier paysage qu'il voyait avant de mourir, son sort n'était peut-être pas si funeste.
Il marcha pendant un très long moment avant d'atteindre le point de rendez-vous. Il s'agissait d'un temple, situé au milieu de la Vallée, dans lequel se trouvait le noyau. C'était un lieu très sacré et personne n'avait osé y poser les pieds depuis au moins une dizaine de siècles. Devant l'entrée étaient disposées deux statues, l'une représentant la Déesse Aethyr et l'autre le Dieu Aether. Kay se doutait qu'il fallait sûrement s'incliner devant elles en signe de respect, mais il n'avait jamais vraiment été croyant. Il s'appuya sur celle représentant Aether en attendant les autres sélectionnés.
Le premier à arriver fut l'élu du Clan des Taïwas. Kay avait prédit son arrivée car elle fût précédée par l'envol de tous les oiseaux se trouvant dans les arbres environnants. Il se posa devant le temple et regarda dans plusieurs directions en rétractant ses ailes avant que son regard tombe sur Kay. Ce-dernier lui adressa un salut militaire nonchalant et se rapprocha de lui.
« Je m'attendais à être le premier ou bien à arriver juste après la Mikéas, déclara le nouveau venu. Mais certainement pas à être précédé d'un Selkam.
-Il faut croire que ma cérémonie de départ ne s'est pas éternisée, répliqua-t-il. Tu es Natt, c'est ça ? Je suis Kay. »
Natt acquiesça puis se tourna vers la forêt, comme s'il avait entendu quelque chose. Kay l'avait perçu aussi. Une jeune femme aux longs cheveux bleus vêtue d'une magnifique robe de la même couleur sortit des bois ; il ne leur en fallut pas plus pour reconnaître la Mikéas. En les voyant tous les deux, elle eut un mouvement de recul et considéra Kay avec un regard indéchiffrable. Finalement, elle s'avança d'un pas déterminé vers eux et annonça :
« Je suis Aria du peuple des Mikéas »
Kay eut un sourire sarcastique.
« On l'aurait pas deviné » ironisa-t-il.
Aria lui jeta un regard noir et se tourna vers Natt qui les présenta, même si elle avait de toute évidence très bien retenu leurs noms depuis la cérémonie de la veille. Il attendirent ensuite en silence que la sélectionnée du clan des Pygmées se manifeste, ce qui, indéniablement, n'arrivait pas. Au bout de plusieurs longues minutes, Kay soupira et retourna s'appuyer contre la statue. Les yeux d'Aria s'écarquillèrent.
« Ce temple et tout ce qui l'entoure sont sacrés ! s'exclama-t-elle. Y compris ces deux statues ! Tu ne peux pas simplement t'appuyer dessus comme ça.
-La preuve que si, rétorqua Kay en illustrant son affirmation d'un geste de main.
-Tu n'as donc aucune foi ? s'énerva-t-elle. Éloigne-toi tout de suite ! »
Kay n'eut pas le temps de répliquer avant qu'une voix se fasse entendre derrière eux.
« Bonjouuuur ! »
Les trois élus se retournèrent comme un seul homme. La sélectionnée des Pygmées, une jeune fille aux oreilles de renard avec des fleurs plein les cheveux, arriva près d'eux.
« Je suis si heureuse de vous voir ! J'ai imaginé notre rencontre au moins dix fois sur le trajet. Je me demandais comment vous seriez, si vous auriez apporté des choses pour le voyage... Et je me suis rendue compte que je n'avais rien pris ! Je suppose que ça n'a pas énormément d'importance puisque je suis capable de faire pousser des fruits avec mes mains mais je m'en excuse tout de même. Oh ! Et j'ai ramassé des fleurs en chemin pour en faire des colliers ! En voici un pour Natt du peuple des Taïwas. »
Elle lui passa autour du cou un collier de fleurs blanches.
« Ton peuple avait déjà anticipé, c'est super ! constata-t-elle. Un autre pour Aria du peuple des Mikéas, ajouta-t-elle en passant un collier de fleurs bleu autour du cou de la jeune femme. Celui-ci est pour Kay du peuple des Selkams, déclara-t-elle en faisant de même avec un collier de fleurs rouges destiné à Kay. Et un dernier pour Kalia du peuple des Pygmées ! conclut-elle en enfilant le collier de fleurs vertes autour de son cou. C'est moi » précisa-t-elle avec un grand sourire.
Tandis que les autres se regardaient, éberlués, le regard de Kalia se posa sur les deux statues.
« Je n'étais pas au courant pour vous, mes amis ! s'exclama-t-elle. Il faut vite arranger ça ! »
Elle ouvrit les paumes de ses mains et de chaque côté un fleur violette, puis une deuxième et une troisième apparurent, jusqu'à former deux colliers. Elle s'élança vers les statues pour leur passer un collier chacun autour du cou.
« Pourquoi tu t'es arrêtée pour cueillir des fleurs si tu peux en créer ? fit remarquer Kay.
-C'est tellement plus poétique de prendre la fleur dans son milieu afin de lui offrir une nouvelle vie ! expliqua la jeune fille comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle du monde.
-C'est vrai que arracher la fleur à la vie, la tuer donc, c'est tellement poétique ! » releva Kay d'une voix sarcastique.
Kalia lui jeta un regard de travers.
-Les fleurs ne meurent pas quand on les coupent, elles atteignent leur apogée et commencent une nouvelle vie hors de la terre. »
Kay opina avec un grand sourire sarcastique sur les lèvres.
« Absolument, c'est ce que je voulais dire »
La jeune fille ne releva pas l'ironie et retourna son attention vers la statue d'Aethyr. Elle l'inspecta pendant quelques secondes puis constata :
« La tête n'est pas droite, je devrais la remettre en place.
-Tu ne peux pas toucher une statue sacrée, Kalia » intervint Aria.
Sans prendre la peine de l'écouter, Kalia saisit à deux mains la tête de la statue et la pencha vers la droite. Un bruit sourd retentit et le sol commença à trembler. La devanture du temple s'ouvrit en deux pour laisser place à une grande ouverture irrégulière dessinée dans une roche sombre.
Une grotte.
Le noyau se trouvait dans une grotte.
Et Kay qui espérait finir tout ça rapidement !
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L'Héritage, tome 1 : Sacrifice
FantasíaAria sentit une vague d'énergie lui parcourir le corps, imprégnant sa chair et enveloppant son coeur. Il était là. Tout près. Elle pouvait le sentir. Comme s'il était en elle. Non. Pas comme s'il était en elle. Il n'était pas en elle. Elle était l'É...