Chapitre 22

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Natt avait réalisé une bonne chasse et il n'avait même pas eu besoin de déployer ses ailes, ce dont il se félicita. L'opération lui causait à chaque fois une douleur intense dont il se passait volontiers. Il avait donc attrapé ce qui ressemblait à deux écureuils ainsi qu'un campagnol et avait également aperçu un kitsune qu'il avait finalement renoncé à chasser en le voyant retourner auprès de son compagnon. Il ne se pensait pas aussi sensible.

Le Taïwas revenait donc sur ses pas, pour retourner à l'endroit où Kay et lui s'étaient séparés, lorsqu'il entendit un cri. Il dressa l'oreille. Il resta quelques instants immobiles, tous les sens en alerte, lorsque le son se répéta.

« Natt ! Aria ! entendit-il. J'ai besoin d'aide ! »

L'interpellé n'hésita pas. Il lâcha les proies qu'il tenait en main et se mit à courir, en direction de la provenance du son. Il atteint finalement l'endroit où Kay et lui s'étaient séparés et regarda autour de lui avec précipitation. Il ne vit rien.

« Kay ! hurla-t-il. Où es-tu ?

-Par ici ! répondit une voix essoufflée. Dans le trou ! »

Natt tourna la tête. A sa droite, devant un amas de branches, il vit un trou qui s'était creusé devant un arbre. Le jeune homme jura. Kay avait dû tirer sur une racine qui avait entraîné l'affaissement du sol. Il accourut.

Ce n'était pas un trou qui s'était formé, mais un gouffre. Le Selkam y était, tenant de toutes ses forces la racine à laquelle il était accroché. Natt se pencha. Il ne voyait même pas le fond de la crevasse. Une chute pourrait s'avérer mortelle.

Kay leva la tête vers lui. La peur qu'il lisait dans son regard laissa alors place à une lueur d'espoir.

« Sors-moi de là ! cria-t-il.

-Oui, tiens-bon ! »

Mais, alors que Natt s'apprêtait à saisir la racine, cette dernière glissa de quelques mètres avant de se bloquer de nouveau. Le souffle du Taïwas se coupa. Kay, déstabilisé, manqua de lâcher sa prise.

« Dépêche-toi ! » lança-t-il.

Natt s'empara fermement de la racine et essaya de la tirer mais elle était trop lourde. Elle continuait de glisser.

« Il faut que tu escalades, ordonna-t-il à Kay. Je vais la tenir le plus longtemps possible.

-Je... Je ne peux pas, souffla le Selkam.

-Allez, Kay, l'encouragea-t-il. Tu as déjà fait bien pire. »

Natt savait que, une fois arrivés à un certain niveau, les Selkams escaladaient des parois quasiment lisses. Et il était persuadé que Kay en était capable.

« Je... ne peux... pas » murmura le jeune homme.

Le Taïwas vit le garçon glisser le long de la racine puis, arrivé au bout, tomber dans le vide les bras écartés autour de lui.

Les yeux écarquillés de terreur, Natt hurla :

« KAY ! »

« On va faire un tour ? »

La voix de Lukas resta un moment suspendue dans le vide avant que Natt ne se lève à son tour et ne déploie ses ailes. Il sourit à son compagnon qui lui attrapa la main et ils s'élancèrent dans le vide. Natt apprécia la sensation du vent lui caressant le visage et se glissant entre les plumes de ses ailes. En cet instant précis, le mot liberté prenait tout son sens. Lukas lui lâcha alors la main et s'envola derrière les oiseaux multicolores, faisant signe au jeune homme de le suivre. Ce-dernier s'avança à son tour, emporté par la nuée de volatiles. Il tourbillonna avec eux, se laissant porter par le vent et se délectant de la douce chaleur du soleil qui illuminait son corps. Les yeux fermés, il profitait de cette bouffée de joie lorsque Lukas vint se placer derrière lui et l'enlaça par la taille.

« Tu vois, tu devrais sécher les cours plus souvent, plaisanta-t-il.

-Je pourrais me laisser tenter » approuva Natt en appuyant sa tête contre son épaule afin de le regarder dans les yeux.

Alors que Lukas semblait sur le point d'ajouter quelque chose, un grondement résonna dans le gouffre. Les deux garçons baissèrent la tête et retinrent aussitôt leur souffle. En contrebas, un immense oiseau dont le corps était semblable à celui d'un aigle mais dont les plumes étaient complètement noires volaient vers eux. Ses yeux rouges étaient perçants et une crête de feu se dressait sur sa tête.

« Un aquila de feu » souffla Lukas.

C'était la plus grande espèce d'oiseau présente dans la Vallée, mais également la plus dangereuse. Ils étaient réputés pour être violents et agressifs et détenaient la capacité de cracher du feu. Certains spécialistes pensaient même qu'ils descendaient des dragons.

Natt et Lukas reculèrent doucement, tentant de regagner la falaise sans se faire remarquer. Il ne leur restait plus que quelques mètres à parcourir lorsque un petit oiseau, dans sa course précipitée pour fuir le prédateur, percuta l'aile droite de Natt. Ce-dernier cessa de respirer. D'un mouvement vif, la tête de l'aquila de feu se tourna vers lui. Il posa sur le jeune homme un regard de chasseur et son ventre se gonfla.

« Plonge ! » hurla Lukas.

Les deux Taïwas s'élancèrent aussitôt dans les profondeurs du gouffre tandis que l'oiseau crachait une nuée de flammes à l'endroit où ils se trouvaient quelques secondes plus tôt. Natt sentit la douleur irradier le bas de ses ailes mais il n'y prêta pas attention. Pour le moment, ils devaient fuir. Tandis que le prédateur revenait à l'attaque, Natt se rendit compte qu'il avait de plus en plus de difficulté à battre des ailes. Il jeta un coup d'œil en arrière et se rendit compte qu'elles avaient pris feu et que ses plumes, brûlées, devenaient noires. Lukas devait aussi l'avoir remarqué car il se précipita vers lui pour éteindre le feu. L'aquila de feu arriva juste derrière le jeune homme et, avec l'une de ses serres, arracha l'aile gauche de Lukas.

Le temps s'arrêta.

Les bras écartés autour de lui, Lukas chuta.

Le prédateur, qui avait finalement attrapé un aigle dans sa course, s'envola en donnant un coup d'aile qui précipita sa chute.

Et Natt, les yeux écarquillées de terreur, hurla.

Les yeux écarquillés de terreur, Natt hurla :

« KAY ! »

Non. Pas cette fois. Pas encore.

Ignorant la douleur, Natt déploya ses ailes et plongea dans le vide à une vitesse inimaginable. Il ne sentit pas les branches lui griffer le visage. Il ne sentit pas la terre se loger dans ses yeux. Il ne sentit même le sentiment d'enfermement tandis qu'il plongeait dans les profondeurs de la terre. Non. Il ne sentit rien. Car tout ce qui importait, c'était Kay.

Il lui saisit l'avant-bras à peine deux mètres avant qu'il ne touche le sol et tendit ses ailes afin de stopper la chute. Le choc dû à la vitesse les secoua, mais ils tinrent bon. Les deux garçons restèrent quelques secondes suspendus dans le vide, se regardant sans oser respirer, avant que Natt ne les pose délicatement sur le sol.

Essoufflés, ils s'allongèrent tous les deux sur le sol pour calmer leurs respirations haletantes. Ils restèrent en silence pendant un moment, puis Kay déclara :

« C'est pas vraiment ici que je pensais ramasser du bois, mais apparemment on va devoir faire avec. »

Et ils éclatèrent de rire, savourant la joie d'être en vie.

L'Héritage, tome 1 : SacrificeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant