Chapitre 1

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Je m'appelle Raphaël Droux et j'ai dix-huit ans en cette merveilleuse année 1991. Je suis élève de terminale au lycée Darwin dans la splendide capitale de la mode et de tous les désirs, Paris. Je crois que je ne pourrais jamais exprimer avec des mots à quel point j'aime Paris, son dynamisme, sa culture, sa diversité, ses paillettes, ses clubs... Passons, je ne suis pas ici pour vous convaincre de vous installer dans ma ville de cœur, mais plutôt pour vous conter une drôle d'histoire, à vrai dire, l'histoire de ma vie.

Comme je le disais, je suis lycéen, un lycéen moyen dans à peu près tous les domaines. Mes notes ne sont pas trop mauvaises, sans pour autant être excellentes. Je mesure un mètre soixante-dix, ni trop petit, ni trop grand et je suis brun comme des millions d'autres garçons. Mes seuls éléments physiques plus ou moins distinctifs, sont mes yeux noisettes en forme d'amande, un peu comme un félin. Quand je souris, il y a des petites fossettes qui apparaissent juste dans le coin externe, on me dit souvent que j'ai des yeux de biche, chose que je ne peux pas confirmer car je n'ai jamais vu de biche de ma vie. Les biches à Paris, ça ne court pas les rues. La mode, c'est beaucoup plus présent.

Et la mode en ce moment, c'est de porter des vêtements avec des références aux Beatles. Je n'aurais pas pensé que ce groupe soit toujours autant populaire en quatre-vingt-onze, presque autant que lorsque j'étais enfant. Même si je les apprécie et que j'ai une dizaine de t-shirts des Beatles, j'ai une énorme préférence pour Queen et possède toutes leurs chansons dans mon walkman.

C'est d'ailleurs mon casque sur les oreilles que je me prépare en ce lundi matin, dans ma chambre donnant sur une cour commune de la copropriété, tranquille, au rez-de-chaussée.

Buddy, you're a boy, make a big noise !
Playing in the street, gonna be a big man someday !

Je ne sais pas si je chante bien, mais avec ce son d'enfer sur les oreilles, j'ai l'impression d'être une bête de rock star baby !

You got mud on your face, you big disgrace
Kicking your can all over the place, singin'...

J'ai un dressing rien qu'à moi dans cette chambre qui est mon antre privé et interdit d'accès à ma mère et ma fouineuse de petite soeur. Et comment dire que j'aime plus que tout au monde rester planté des minutes délicieusement interminables devant ces étagères en bois occupant les murs blancs immaculés jusqu'au plafond, pour choisir ma tenue de lycéen du jour. En plus, j'ai un grand miroir pour m'admirer sous tous les angles. Je me déshabille en continuant de chanter et dandinant mon corps svelte tandis que mon pyjama se retrouve par terre.

We will, we will rock you ! We will, we will rock you !

— Raph ferme la tu me casses les oreilles ! crie la voix de Camille, ma petite sœur, que j'entends malgré la musique à fond et l'épaisseur des murs.

We will, we will rock you ! We will, we will rock you ! je reprends plus fort juste pour l'agacer davantage.

— Maman ! hurle Camille. Raph veut pas la fermer !

Quelques minutes plus tard, quelqu'un toque fermement à ma porte.

— Raph s'il te plaît, dit la voix de ma mère, arrête de chanter aussi fort et dépêche toi un peu ! Tu n'as pas cours à huit heures ce matin ?

Je soupire bruyamment avant d'éteindre mon walkman et de me concentrer sur mon merveilleux dressing. J'opte pour un jean délavé et une chemise à carreaux. Une fois habillé, je coiffe rapidement mes mèches brunes à l'aide de mes doigts, pour leur donner un peu de volume et mettre en valeur mon visage fin donc la barbe est parfaitement rasée. La tâche effectuée, je me glisse dans mes Nike blanches. Les Nike, c'est incontournable pour survivre de nos jours, tout le monde en a. C'est la vie, c'est Paris.

— Voilà la super star, râle ma sœur quand je les rejoins dans la cuisine pour le petit-déjeuner.

Je l'ignore et m'assois loin d'elle sur la grande table élégante avec sa nape dorée et ses pots de fleurs en céramique. Ma mère adore ça, les fleurs. Il y en a partout dans l'appartement, dans le couloir d'entrée, dans le salon sur le meuble télé, dans la cuisine, dans la salle de bain et dans sa chambre. Elle a voulu en mettre dans les toilettes mais j'ai posé mon véto en disant que ça m'empêchait de pisser correctement. En réalité, je suis juste malade de ces fleurs et de toute cette fausse gaieté que ma mère essaye d'instaurer depuis que papa s'est barré avec une autre femme quelques mois plus tôt.

C'était un choc pour tout le monde et je soutiens à fond ma mère pour surmonter ça, j'aimerais juste qu'elle arrête de faire semblant que tout va bien et qu'elle admette que tout se casse la gueule depuis que ce salaud est parti. Ce n'est pas que je suis pessimiste, juste pragmatique et exploser un bon coup, des fois, ça fait du bien.

Nous vivons tous les trois, ma mère, ma sœur et moi, dans ce minuscule appartement au rez-de-chaussée du dix-huitième arrondissement. C'est un ancien appartement de bonne, rénové, qu'on a dégoté de toute urgence après que mon géniteur nous ait laissé. Ma mère, qui ne travaillait pas, a du trouver rapidement un emploi de femme de ménage chez des particuliers, Monsieur et Madame de Lavalle, dans le seizième arrondissement. Elle fait des horaires de dingues, dimanche compris, tout ça pour subvenir à nos besoins, à Camille et moi. J'ai dix-huit ans, je suis un adulte, autant vous dire que ça me rendait malade de simplement rester sans rien faire alors que ma mère se tue au travail jour après jour. J'ai donc trouvé un emploi, que j'exerce la nuit, mais nous verrons cela plus le moment venu.

Je grignote mes biscottes sans enthousiasme, tandis que Camille, du chocolat barbouillant tout son visage, me tire royalement la langue.

— Raph, tu voudras bien déposer Camille à l'école s'il te plaît ? demande maman en se pressant dans tout l'appart à la recherche de ses clés. Je suis déjà en retard.

— Oui m'man.

Camille lève les yeux au ciel.

— Oh non je veux pas qu'il m'emmène !

— Camille ce n'est pas le moment de faire l'enfant ! Tu vas avec ton frère un point c'est tout.

— Mais maman...

— Raph n'oublie pas de fermer la porte à clé, de sortir les poubelles et de déposer le mot chez Madame Dufour. Je compte sur toi mon chéri. Où j'ai mis ces maudites clés !? ajoute maman en revenant cinquante fois sur ses pas, scrutant chaque dessus de meuble, renversant tout le contenu de son sac à main sur le fauteuil.

— Je peux aller à l'école toute seule maman, insiste Camille en s'agitant sur sa chaise.

— Camille ça suffit maintenant, tu vois bien que c'est pas le moment ! Les de Lavalle sont très attachés à la ponctualité et... où sont ces putains de clés !?

Camille porte ses deux mains à sa bouche, renversant son chocolat chaud sur la nappe dorée.

— Maman a dit un gros mot !

— Camille tu as tout renversé sur ma belle nappe ! S'il te plaît Raph tu veux bien t'occuper de ça, il est sept heures trente et j'ai déjà la migraine...

Elle fourre tout le bric à brac jonchant le fauteuil dans son sac à main, essuie la sueur sur son front d'un revers de main, donne un petit coup de peigne sur sa longue tignasse brune et souffle un bon coup tandis que je me lève pour essuyer les saletés de mon monstre de petite sœur.

— Tu as regardé dans tes poches, maman ? lui dis-je, un chiffon en main, sous l'air boudeur de Camille.

— Quoi ? Bien sûr qu'elle ne sont pas... dans mes... répond-elle en levant les sourcils au plafond tout en plongeant ses mains dans les poches de sa veste.

Son visage se fige de désarroi et de surprise.

— Elles étaient vraiment là... soupire-t-elle. Bon je file, j'ai déjà perdu un temps monstre. Je vous aime mes chéris, à plus tard !

La porte d'entrée se referme bruyamment derrière elle.

La double vie de Raph'Où les histoires vivent. Découvrez maintenant