Chapitre 21

66 8 5
                                    

La semaine passe à une vitesse hallucinante, entre mes soirées au club et les cours soporifiques, notamment ceux de français où la professeure ne me louppe pas à chaque séance qui est devenue une pure torture. Elle m'interroge toutes les cinq minutes, me regarde de travers si j'ai le malheur ne serait-ce que de tousser un peu et me fait changer de place à chaque début de cours, soit disant car je perturbe trop mes camarades. Entre elle et Pierre-Alain et Alicia qui ne cessent de me jeter des regards méprisants et de me balancer des "ça va le futur redoublant ?" dès qu'ils me croisent, le lycée commence à être sacrément pénible. En plus, j'ai écoppé d'un neuf sur vingt à mon devoir sur Rimbaud que j'ai fait en colle. En regardant les réponses, j'ai remarqué que Lucie ne m'avait pas menti, le poète est bien né à Charleville. Le professeur d'histoire nous a également rendu nos devoirs sur table de la semaine passée et je m'en sors tout juste avec un dix sur vingt. Mes notes de ce premier trimestre ne volent vraiment pas haut...

Heureusement qu'Assia, Hugo et Sam sont là, toujours à m'encourager et à envoyer des répliques cinglantes envers les deux faillots de service dès qu'ils s'approchent un peu trop près. Ces derniers jours, il m'est arrivé de croiser Lucie deux ou trois fois, avec son attitude toujours aussi hostile, bien qu'elle fasse l'effort de dire bonjour. Je ne l'ai jamais vue en compagnie de quelqu'un et commence à me demander si elle a pu se faire quelques amis depuis qu'elle est arrivée. Si elle est aussi désagréable avec tout le monde, je crains bien que non. Déjà qu'il n'est pas facile de s'intégrer lorsque l'on débarque en cours d'année et que tous les groupes sont établis. Je devrais peut-être traîner avec elle de temps en temps, malgré son caractère de cochon, ce n'est pas comme si je détestais sa compagnie.

Tous comme les autres jours, ce jeudi passe comme une flèche. Quand sonne la fin de ma dernière heure au lycée, je dis rapidement au revoir à mes amis et file vers l'école de Camille pour la récupérer. La sortie des classes est bien entamée dans un brouhaha infernal et plusieurs parents d'élèves ont déjà récupéré leurs enfants et discutent joyeusement de tout et de rien devant les grandes grilles de l'école. Je cherche des yeux une petite tête brune à couettes dans la cohue et finis par l'apercevoir en grande discussion avec... non ! Dites-moi que je rêve ! Sans perdre une seconde, je me précipite, bousculant tout le monde sur mon passage et ignorant les visages outragés se tournant vers moi.

J'attrape Camille par le bras et m'apprête à l'emmener de gré ou de force.

— Allez Camille on y va ! je dis d'une voix forte qui ne laisse aucune place pour la négociation.

Surprise de mon ton inhabituel, ma petite soeur m'écoute sans broncher. C'est une voix grave qui m'arrête.

— Raphaël attends ! s'écrie la voix de mon géniteur.

— Non je n'attends pas, on a rien à te dire ! je réponds en le regardant à peine.

— On peut discuter non ? Entre adultes ?

— Non on ne peut pas, pas après tout ce que t'as fait ! Surtout après que tu oses réclamer sa garde ! j'ajoute en restant évasif pour ne pas que Camille comprenne de quoi il s'agit.

— C'est normal non ? Tu pourrais essayer de me comprendre un peu, j'aimerais rester dans sa vie et qu'elle reste dans la mienne, quel mal y a-t-il à ça ? Toi aussi j'aimerais beaucoup que tu passes me voir. As-tu lu mes lettres ? Je...

— Dans tes rêves ! je m'écrie en attirant l'attention de plusieurs personnes autour de nous.

Je serre fermement la main de Camille et nous entraîne loin de ce salaud le plus vite possible.

— Raph... m'interpelle ma soeur lorsque l'on est suffisamment loin de l'école et que l'on recommence à marcher d'un rythme plus lent en reprenant notre souffle.

— Oui ?

— Est-ce que j'ai fait quelque chose de pas bien ?

Je nous arrête sur le trottoir, m'accroupissant pour être à sa hauteur. Elle a l'air sincèrement inquiète, ce qui me fait d'autant plus détester Gérard.

— Non bien sûr que non tu n'as rien fait de mal Camille ! Ne dis plus des choses pareilles tu promets ?

Elle semble se détendre un peu.

— Oui... Mais c'est interdit de lui parler à papa ?

Je m'en veux. J'ai réagi beaucoup trop violemment sous le coup de la colère, je n'aurais pas du. Je n'ai pas à imposer à Camille de couper tout contact avec lui.

— Non ça n'est pas interdit, ça reste ton père. C'est moi qui suis très en colère contre lui et qui ne voulais pas le voir.

— T'es en colère parce qu'il est parti ?

— Oui. Entre autres...

— Mais si on lui demande, peut-être qu'il peut revenir ?

— Quand c'est des histoires d'adultes c'est toujours beaucoup plus compliqué que ça. De toute façon on peut très bien se débrouiller sans lui.

Et ça, c'est bien vrai.

***

Le soir, une fois au club, j'ai beaucoup de mal à me concentrer. Je fais répéter deux fois les commandes aux clients, je me trompe dans les assiettes et manque de casser un verre. Bref, je n'arrive à rien. La rencontre surprise avec le géniteur m'a beaucoup trop perturbé et je ne cesse de me répéter qu'il n'est venu à l'école de Camille que pour me narguer et me faire comprendre qu'il allait l'emmener avec lui. Suis-je légèrement paranoïaque ? Peut-être bien.

— Lana t'as oublié de servir la table douze, ça fait déjà vingt minutes qu'ils attendent ! me rouspète Claire après une énième erreur de ma part. T'es complètement ailleurs ce soir ma parole.

— Désolé...

— Va plutôt t'occuper du bar, je peux gérer seule le restaurant.

Essayant de me reprendre un peu, je descends un instant dans les loges pour me laver le visage avec de l'eau fraîche et refaire mon maquillage. Allez Raph, ce n'est pas le moment de penser à autre chose qu'à ton travail. Décidé à mettre toute mon attention dans mon boulot et arrêter de ralentir mes collègues avec mes conneries, je remonte vers le bar.

En m'approchant du comptoir, je découvre une Madge agacée qui a l'air de se disputer avec une cliente.

— Je ne sers pas d'alcool aux mineurs, repasse quand tu auras dix-huit ans ! s'énerve la barmaid.

— Puisque je vous dis que je suis majeure ! répond une voix grossièrement familière. J'ai juste oublié ma carte d'identité !

La jeune fille tape presque du poing sur le bar en acier luisant, visiblement prête à tout pour de l'alcool. Je reconnais ces boucles cuivrées et ces tatouages un poil trop tard pour réagir en conséquence avant que Madge ne m'interpelle.

— Lana, veux-tu bien escorter cette petite demoiselle dehors s'il te plaît ? Elle pense vraiment que je suis née de la dernière pluie et ne veut rien commander qui ne soit pas alcolisé.

— Mais bon sang pas besoin de me foutre dehors ! Je suis pas une petite demoi...

Elle s'arrête net en tournant la tête vers moi, me regardant droit dans les yeux. Un hoquet de surprise s'échappe de sa bouche qui s'ouvre presque jusqu'à toucher le sol.

— Raton laveur ?

La double vie de Raph'Où les histoires vivent. Découvrez maintenant