Chapitre 30

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Lorsque la nourriture arrive, je suis ravi d'avoir quelque chose à faire plutôt que de supporter ces silences gênants et ces échanges insignifiants.

— C'est bon hein ? dit Gérard une fois son plat bien entamé.

— Oui !

C'est probablement la seule chose sincère que j'ai dite ce soir.

— Tu sais... dit-il, ça n'est pas parce que je ne suis plus avec ta mère que tu n'as pas le droit de passer me voir de temps en temps.

Oh non au secours, voilà la fameuse discussion. Je me noie un moment dans mon verre d'eau, avant de trouver la force de paraître naturel.

— Euh oui, ça peut s'envisager.

— Et puis, je sais que ta mère a des problèmes financiers, alors tu pourrais même carrément venir vivre avec moi.

Connard.

— Et laisser maman seule avec ses problèmes ? je m'exclame un peu fort, oubliant mes faux-semblants.

Gérard boit une gorgée de vin avant de s'essuyer méticuleusement la bouche avec sa serviette.

— C'est une adulte, elle s'en remettra. Il n'y a pas de raison que tu passes à côté d'une opportunité pour une assist... personne qui n'est pas indépendante dans la vie.

J'ai de plus en plus de mal à garder mon garde. Qu'est-ce qu'il allait dire ? Une assistée ? Maman est cent fois plus débrouillarde que lui avec son fric et son air hautain. Du calme Raph, si j'explose maintenant, je ruine tout notre plan avec Lucie... Je dois me contenir, je dois afficher un air indéchiffrable... C'est le seul moyen de lui faire payer.

— Quelle opportunité ? je demande après un titanesque effort mental.

— Ah c'est bien mon fils ça ! Attends je passe aux toilettes et on en parle.

Il se lève, mon coeur fait un bond dans ma poitrine. Je regarde par la fenêtre, Lucie a vu, se tient prête. À la seconde où mon géniteur disparaît derrière la porte indiquant "WC, hommes", je contourne la table pour venir farfouiller dans les poches de sa veste. Pitié, faites qu'elles y sont... faites qu'elles y sont. Je me mords les joues pour ne pas crier de joie lorsque je sens un petit objet métallique frôler mes doigts fouineurs. Victorieux, je sors le trousseau de clés et cours presque rejoindre Lucie au dehors. Le temps est limité, j'espère qu'il a la vessie bien pleine.

— Tu les as ? demande-t-elle en tendant la main.

Je lui glisse le trousseau ainsi qu'un bout de papier avec le numéro de téléphone de l'appartement de Gérard au creux de sa peaume.

— Dernier étage, appartement 55. Sa copine est là, faut que t'appelle et que tu trouves une excuse pour la faire sortir avant, tu te souviens ce qu'on avait dit ?

— Bien sûr compte sur moi. Allez retourne t'asseoir avant qu'il revienne !

Nous nous séparons, je regagne ma chaise à l'intérieur du restaurant tandis que Lucie court vers une cabine téléphonique. Juste à temps car mon géniteur sort des toilettes à ce moment là.

— Donc quand je parlais d'opportunité, dit-il lorsqu'il s'assoit de nouveau face à moi, j'ai les moyens de te payer une école privée après le bac. Tu pourras devenir ingénieur et ton avenir sera garanti !

Ingénieur...? Moi ce que j'aime c'est l'art... C'est ça qu'il appelle une oportunité ? Débourser des milliers de francs pour faire quelque chose qui, certes nous rapportera des sous plus tard, mais pour laquelle nous ne vibrons absolument pas. Pour laquelle nous n'aurons pas de raison de nous réveiller le matin. Quel avenir... Je me demande tout de même pourquoi est-ce qu'il me propose ça soudaindement. Lorsque nous vivions ensemble, ma mère avait un jour proposé qu'il m'inscrive dans un lycée privé. Il n'a jamais voulu, maugréant toujours qu'il ne voulait pas débourser son fric pour un aussi mauvais élève que moi. Ce revirement de situation est tout de même vraiment louche. Pareil pour Camille d'ailleurs, pourquoi est-ce qu'il tient tant que ça à sa garde aussi brusquement ? Il n'a jamais passé de temps avec elle, ni avec moi... Je dois absolument essayer d'en savoir plus, sans avoir l'air de vouloir en savoir plus.

La double vie de Raph'Où les histoires vivent. Découvrez maintenant