Chapitre 18

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— Elle sent pas trop mal ton omelette, admet Lucie à contre coeur lorsque je sers l'assiette qu'elle me tend.

Elle, Camille et moi, sommes tous trois attablés, nos assiettes pleines posées devant nous sur la nappe dorée.

— Je rêve ou c'est un compliment ? je demande en portant une cuilliérée à ma bouche. Attention Camille c'est encore chaud, j'ajoute en voyant la chipie commencer à plonger dans sa part tête la première. Et utilise ta cuillère pour manger !

— Gnagnagna, réplique-t-elle.

— Tu préfères que je dise à maman que tu n'as pas été sage ? Vous n'irez pas jouer au parc si ça continue.

Le petit monstre semble immédiatement en intense conflit. Visiblement partagé entre la tentation de ne pas m'écouter et celle d'être sage pour passer du temps avec maman. Je sais que je suis cruel d'utiliser cette tactique psychologique trop avancée pour son petit cerveau en développement, mais si je veux avoir la paix, c'est le meilleur moyen. Bingo, elle attrape finalement sa cuillère pour commencer à manger correctement, non sans faire sa tête de petit boudin capricieux.

Je m'apperçois que Lucie me regarde avec intérêt. Lorsque nos regards se rencontrent, le mien avec une pointe de curiosité suspicieuse, elle se renfrogne et porte toute son attention sur son omelette.

— Alors c'était comment ? je demande lorsque nos assiettes sont vides et que Camille est retournée dessiner dans sa chambre.

Je débarasse la table, attrapant le liquide vaisselle sur un des comptoirs pour commencer à frotter la céramique avec notre petite brosse dont l'usure se fait de plus en plus sentir au fils des jours. Le robinet de la cuisine ne donne de l'eau chaude qu'une fois sur deux, aujourd'hui, malheureusement, il ne crachote que de l'eau froide, rendant la tâche un peu plus pénible pour la peau de mes mains. Y étant largement habitué, je n'y prête qu'une minîme attention tandis que je rince les couverts.

— Ma mère dit toujours que les hommes ne savent rien faire à la maison, dit Lucie toujours assise sur sa chaise et tripotant la nappe. Et qu'ils pensent que les femmes sont faites pour être des boniches.

— Je suppose qu'il ne faut pas mettre tout le monde dans le même paquet.

— Peut-être... En tout cas je commence à comprendre pourquoi t'es chiant et coincé du cul.

— Super tu m'en vois ravi !

— En fait c'est parce que t'as toutes ces responsabilités... Ma mère m'a dit que Christine a un boulot de dingue. Elle fait quoi ?

— Le ménage chez des bourges du seizième. 

— Ah ouais ça rapporte pas d'oseille ça en plus. Et ton père il fait quoi ?

Je coupe l'eau, un peu crispé dès que le sujet du géniteur arrive sur le tapis. J'attrape un torchon et m'affaire à sécher la vaisselle à présent propre.

— Il bosse dans l'édition. Il a sa propre boîte.

— Il doit être pété de thunes ce bâtard. Ma mère m'a raconté ce qu'il vous a fait. Tu dois vraiment le détester.

— C'est le moins qu'on puisse dire.

Je trouve toujours cette fille aussi casse-pieds, mais bizarrement, je n'ai plus spécialement envie de la jeter dehors. Je suis même un peu plus curieux de sa vie depuis l'école élémentaire.

— T'étais dans un internat dans le sud c'est ça ? je demande en rangeant à présent la vaisselle sèche dans les tiroirs de la cuisine. 

— C'est un interrogatoire de police ? réplique-t-elle de son fameux ton agressif.

— Détends-toi ma pauvre, je me demande juste ce que t'as fait de ta vie quand t'as déménagé d'ici.

Elle semble grogner dans sa barbe avant de se décider à répondre.

— Mon père habite dans le sud et comme ma mère travaille à Paris mais faisait beaucoup de déplacements professionnels à l'époque, elle m'a envoyée vivre chez lui. Il s'est mis à faire beaucoup de déplacements aussi et m'a inscrite dans un internat dès que je suis entrée au collège. 

— Et pourquoi t'es revenue ici alors que l'année a déjà commencé ?

— Ah ça c'est vraiment pas tes oignons !

Je suppose qu'il ne faut pas essayer de trop creuser d'un coup...

Le reste de l'après-midi se déroule bien, nous l'occupons à jouer aux cartes avec Camille. Lucie et elle se liguent naturellement contre moi pour tricher et me faire perdre. Nous faisons également un concours de dessins et toutes deux votent bien évidemment pour que ma très détaillée réalisation représentant un châlet en montagne finisse dernière. 

Je suis en train de protester contre ce jugement hasardeux et tout à fait partial lorsque la porte de l'entrée s'ouvre. Camille se rue pour sauter dans les bras de notre mère qui semble très ravie de sa journée tandis que Lucie part enfiler ses bottines en silence. Fabuela, Nathalie et elle quittent notre petit appartement après des derniers aurevoirs. 

— On va au parc ? On va au parc ? demande Camille, toujours accrochée à maman comme un bébé koala.

— Oui mais attends cinq minutes ma puce, j'ai besoin de souffler et de me changer.

J'attrape ma petite soeur et la décroche pour laisser maman respirer un peu. Tandis que celle-ci se dirige vers sa chambre, je fais voler Camille dans les airs à travers le salon pour l'occuper en attendant.

— Oui plus haut ! crie-t-elle en riant.

Lorsqu'elle est enfin à bout de souffle (et moi aussi), je la dépose sur le canapé, où elle se roule instantanément en boule. Maman nous rejoint, vêtue plus confortablement d'un jogging, ses cheveux noirs noués en une queue de cheval.

— Alors c'était comment ? je lui demande.

— Absolument super ! Tous les membres sont très sympas et nous ont bien accueillies. Nous avons tous à peu près le même parcours et j'avoue que ça fait un bien fou de voir qu'on est pas seule...

Je souris sans répondre, aux anges. Je ne l'avais pas vue si heureuse depuis des lustres, c'est tellement plaisant. Peut-être que je choisis mal mon moment, ou peut-être extrêmement bien au contraire, mais en tout cas, si je ne veux pas être encore collé, il va falloir le faire tôt ou tard.

— Au fait... j'ai un mot à te faire signer...


La double vie de Raph'Où les histoires vivent. Découvrez maintenant