— Non je veux pas aller dormir ! proteste Camille.
Nous avons passé une fantastique soirée en compagnie de maman, pour la première fois depuis des lustres. Les pizzas étaient délicieuses, nous les avons dévorées en parlant de tout et de rien sur le canapé, en rigolant et nous racontant des anecdotes sur l'école, le lycée ou le travail. J'ai d'ailleurs appris que Monsieur de Lavalle, chez qui maman fait le ménage, trompe sa femme. Ma mère l'a découvert hier, en nettoyant l'une de leurs nombreuses suites, elle est tombée sur un soutien gorge bien trop grand et osé pour être celui de Madame de Lavalle. En se penchant par le fenêtre, elle a même aperçu une longue chevelure décoiffée, néanmoins brillante, se glisser discrètement dans l'une des voitures de Monsieur, qui a par la suite démarré au quart de tour pour lui faire quitter la demeure au plus vite.
— Les hommes, a soupiré maman, tous les mêmes.
— Moi aussi j'aime pas les garçons de ma classe, a renchéri Camille en hochant la tête d'un air extrêmement sérieux qui ne lui ressemble tellement pas qu'il m'a arraché un sourire.
— Et oh, je suis un homme moi, ai-je protesté. Et jamais de la vie je ne tromperais mon...
Je me suis arrêté net. Mon...? Mon quoi ? Evidemment, à ce moment-là il a fallu que les images de mon rêve reviennent brutalement dans mon esprit, me faisant rougir et secouer la tête pour les chasser.
— ...ma copine, ai-je complété en camouflant mon embarras.
Bien évidemment, Camille s'est mise à lâcher des "ouh, Raph a une amoureuse !". J'ai soupiré en répondant que non et maman a rétorqué que tous les hommes se disent fidèles avant d'être réellement en couple. Je me suis dit à ce moment là que ça va être difficile de la convaincre de rejoindre l'association.
— Il est presque vingt deux heures Camille et tu as école demain, soupire maman.
Les négociations avec le monstre miniature durent une bonne quinzaine de minutes avant qu'il ne se décide enfin à aller au lit.
— D'habitude, elle met bien plus longtemps avant d'accepter de se coucher, je rigole tandis que maman et moi préparons une tisane dans la cuisine.
Nous nous installons côte à côte sur la table devant notre chaud breuvage. L'ampoule murale près du frigo ne nous éclaire que faiblement, plongeant la pièce dans une atmosphère de semi pénombre relaxante.
— Comment ça se passe le lycée mon chéri ?
Je bois une gorgée de ma tisane, me brûlant un morceau de langue au passage, avant de répondre.
— Tout se passe bien. J'aime... j'aime l'art plastique, avoué-je pour la première fois.
Et me maquiller. Mais ça, je ne peux pas le dire.
— Oh, répond-elle simplement. Est-ce que je pourrais voir une de tes créations un de ces quatre ?
— Bien sûr ! je m'enthousiasme.
Le silence s'installe. Nous buvons notre boisson chaude, maman enlève une mèche de cheveux brune de son visage pour la fixer derrière son oreille. Mon regard se perd sur mes mains, dont les doigts se réchauffent sur la tasse encore brûlante. Doigts qui, une nuit plus tôt, étaient vernis d'un rouge flamboyant, dont on voit encore quelques petites traces sur mon index. La nuit est calme, je peux l'apercevoir à travers la fenêtre de la cuisine, d'un bleu foncé si intense, où les formes se mèlent et se confondent, où le sommet des immeubles se font avaler par le ciel sans nuage, où la pâle lueur émise par les réverbères semble presque fantomatique, irréelle. Maman se râcle la gorge, ses traits sont tirés en une expression d'embarras.
— Raph... Il y a quelque chose dont je voudrais te parler.
— Moi aussi...
— Oh. Vas-y à toi l'honneur.
Je crache alors le morceau et lui parle de l'association, choisissant mes mots avec soin pour ne pas la braquer et insistant sur le fait que la mère de Sam va peut-être y aller également, que ça n'engage à rien et que ça ne peut que faire du bien de parler un peu avec des personnes traversant les mêmes épreuves. Contre toute attente, elle ne semble pas du tout contrariée.
— Je crois que j'ai lu quelque chose comme ça dans le journal, dit-elle d'un air pensif. Pourquoi pas après tout, je peux peut-être en parler à Fabuela également...
Tout heureux, je hoche la tête, toutefois peu convaincu que Fabuela accepte. Nous finissons nos tisanes, je récupère les tasses vides pour les nettoyer rapidement. L'eau fraiche me chatouille les mains et me rafraichit agréablement. J'en profite pour m'en mettre un peu sur le visage, sentant la fatigue commencer à m'envahir ainsi que le poids du rythme de folie que j'impose à mon corps depuis presque un mois.
— De quoi tu voulais me parler ? je demande en m'assayant de nouveau.
Elle soupire et prend une grande inspiration.
— J'ai vu ton... ton père hier.
Je me raidis instantanément.
— Nous avons parlé du divorce, poursuit-elle avec un tremblement dans la voix.
Je reste muet comme une tombe, tout l'enthousiasme ressenti quelques minutes plus tôt quittant mon corps à travers tous les pores de ma peau, comme une lente évaporation.
— Il souhaite la garde de Camille une semaine sur deux.
La bombe est lâchée. Elle me donne l'effet d'un violent coup de poing. Non. Non. Ce porc n'aura rien, il est hors de question qu'il nous prenne Camille. Mes doigts serrent tellement fort ma tasse qu'ils blanchissent aux extrémités. Je sens une veine battre violemment contre ma tempe.
— Il... il... je bredouille, les dents serrées. Comment on peut empêcher ça ? On ne va pas se laisser faire !
— Mon chéri... Nous avons rendez-vous au tribunal le mois prochain. Je vais tout faire pour qu'il n'ait pas Camille mais... au vu de notre situation financière actuelle et... ton père a de bons avocats...
— Il ne va pas s'en tirer comme ça parce qu'il a du fric ! je hurle presque. C'est lui qui s'est barré et en plus il réclame quelque chose ! Il a honte de rien ce gros...
— Raph... me coupe maman, ne te mets pas dans un état pareil, ça ne va rien résoudre.
— Comment tu peux être aussi calme ? je m'exclame.
— C'est ça être adulte je suppose.
Un pauvre sourire se dessine sur mes lèvres. Je regarde ma mère, avec ses cernes violacées sous ses beaux yeux d'habitude pleins de vie, avec son index qui tapote nerveusement la nappe dorée et ses joues qui se creusent davantage semaine après semaine. C'est fini maman, tu peux arrêter de tout gérer toute seule, de te tuer au travail, de te stresser sans arrêt, maintenant, c'est moi qui vais prendre les choses en main. Mon géniteur n'aura jamais la garde de Camille. Je te le promets.
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La double vie de Raph'
Storie d'amoreParis, 1991. Raph est à première vue un lycéen comme les autres. Il est assidu en cours, a quelques bons amis et s'entend plutôt bien avec tout le monde. Cependant, ce que les autres ignorent de Raph, c'est qu'à la nuit tombée, il revêt perruque, ma...