— Si je comprends bien, ce gars là, Noam c'est ça ? Il t'a invité en pensant que t'es fille ? Il a pas les yeux en face des orbites celui-là. Comment il a pas pu remarquer...
Nous sommes en route, avec Lucie, vers le club Ciminalli, arpentant les rues du dix-huitième arrondissement vers Pigalle. Il est environ dix-huit heures, et à cette heure là, le traffic commence à se faire dense sur les boulevards. Mon accompagnatrice était encore collée aujourd'hui, mais ça tombait plutôt bien car j'avais mon cours optionnel d'arts plastique, ce qui nous a fait finir en même temps.
— T'exagères, ça se voit pas que je suis un garçon quand je suis déguisé.
— Mouais, passons. Tu peux me dire pourquoi t'as accepté d'y aller quand même ? Enfin, ça se voit qu'il veut clairement te pécho.
Je rougis instantanément, fixant d'une manière intense les bandes blanches du passage piéton que nous sommes en train de traverser. Le feu voiture passe au vert avant que nous soyons arrivés de l'autre côté et les voitures parisiennes, grossières et impatientes, nous klaxonnent de partout. Lucie leur fait un doigt.
— En fait... je balbutie lorsque nous sommes en sécurité sur le trottoir d'en face, je me suis dit que j'allais lui dire que je suis un garçon ce soir.
— Pour pas qu'il soit surpris quand vous serez au lit ?
Mes joues brûlent de nouveau tandis que des images pas très saines m'envahissent l'esprit. Lucie, toujours aussi vive, capte ma gêne.
— Quoi on dirait que tu l'as jamais fait, jacasse-t-elle.
— Parce que toi tu l'as fait peut-être ? je réponds du tac au tac, un peu blessé dans mon orgueil.
— Ouais. Même que c'était nul.
J'éclate de rire devant sa franchise.
— Dommage pour toi. Et pour te répondre, si je veux lui dire que je suis un garçon c'est pour qu'il arrête de se faire de faux espoirs parce que je ne suis clairement pas intéressé.
J'ai parlé très vite, machinalement, sortant cette réplique de mon cerveau que j'essaye de façonner depuis des jours, repoussant la vérité.
— Pourquoi tu mens ? demande Lucie, me surprenant encore de sa capacité à voir le vrai.
— Je... je... Pourquoi je mentirais d'abord ?
— Parce que t'es rouge tomate depuis tout à l'heure. Tu fais tout ce cinéma parce que tu veux pas admettre qu'un mec te plaît ?
— Peut-être... roh et puis zut ! De toute manière quand il va savoir que je suis un garçon il va s'enfuir en courant !
— Et bah tant pis pour lui. Il sait pas ce qu'il rate. Moi j'ai adoré te peloter hier.
Un rire sonore s'échape de mon gosier, évacuant miraculeusement mon anxiété tandis que nous contournons la place Pigalle. Après une intersection, le club apparaît devant nous avec ses écritaux rouges vifs et sa façade aguicheuse. Il n'est pas encore ouvert à cette heure-ci, mais comme je possède les clés, je peux entrer quand bon me semble.
Nous nous dirigeons directement vers les loges, où Lucie, émerveillée par tout le matériel qu'elle découvre, ne cesse d'émettre des sifflements admirateurs.
— C'est la caverne d'Ali Baba ici ma parole ! s'écrie-t-elle en attrapant un boa rouge pétant dans un des nombreux cartons jonchant le sol et l'enroulant autour de son cou.
— Bienvenue dans mon antre.
Je m'assois dans mon coin attitré, devant ma coiffeuse, où j'entreprends de me maquiller. Lucie insiste pour faire mes yeux. Elle les surligne d'un trait de crayon noir, applique quelques paillettes sur mes paupières et élonge mes cils à l'aide d'une bonne quantité de mascara. Pendant qu'elle s'affaire, si près de moi que je sens son souffle sur ma joue, je lui jette des petits regards en coin, me sentant étrangement bien avec cette proximité. Le résultat final me plaît beaucoup, mettant bien en valeur mes yeux noisettes en forme d'amande. Satisfaite, Lucie me regarde sous tous les angles, passant sa langue sur ses piercings avant de lever le pouce en l'air.
— Tu vas mettre quelle perruque ? demande-t-elle en regardant l'innombrable collection de têtes de mannequin coiffées de toutes les manières possibles.
— Les deux tresses je pense, me décidé-je en attrapant la perruque concernée.
Je la fixe sur ma tête, rendant ma transformation totale. Les deux longues tresses noires tombent jusqu'à mes hanches, à la fois élégantes et sensuelles.
— Manque plus que la tenue.
Je farfouille dans mes cartons, optant pour une robe bleue nuit, simple mais classe, arrivant en haut des cuisses.
— Tu veux bien te tourner pendant que je me change ?
— Quelle prude ! ricanne-t-elle en me tournant le dos.
J'enfile mon soutien gorge rembourré, mes collants couleur chair, puis la robe, apréciant la douceur de sa texture sur ma peau nue.
— C'est bon tu peux te retourner.
— Woaw, siffle-t-elle en me faisant de nouveau face.
— Maintenant c'est à ton tour...
— Quoi !?
— Tu ne vas quand même pas y aller avec tes vieux fringues troués et ta veste en cuir ?
— Ils ont quoi mes fringues raton laveur !?
— Allez s'il te plaît, laisse moi m'amuser...
Les négociations sont rudes avec la casse-pieds, mais elle finit par accepter de poser son postérieur devant ma coiffeuse, tandis que mes mains expérimentées commencent à la démaquiller pour repartir de zéro.
— Tu m'as mis le coton dans l'oeil ! se plaint-elle.
— Arrête un peu de jacasser et ferme les yeux si tu veux pas que je les touche par erreur.
J'hydrate sa peau avec ma crème magique, puis applique un fond de teint un tantinet plus bronzé que sa couleur de peau naturelle, pour lui donner l'air radieuse et en pleine forme.
— Au fait, t'es bien calme pour pas étrangler ton daron. Tous vos problèmes de fric, c'est de sa faute.
Bizarrement, quand c'est avec Lucie, ça ne me dérange pas d'en parler.
— Ouais... mais le pire c'est qu'il veut récupérer la garde de Camille une semaine sur deux.
— Oh quelle merde.
— Pile poil quand ça commençait à aller pas trop mal.
J'entame le maquillage des yeux, avec un fard à paupière qui sied parfaitement ses iris noirs.
— Mais j'ai un plan, il faut juste que je le mette à exécution...
Je lui parle alors de mes projets de ruiner son couple, pour espérer qu'il abandonne l'idée de prendre ma petite soeur.
— Ok ça me plaît ça ! s'écrie Lucie avec tant d'excitation que le pinceau maquillant ses paupières manque de riper sur son joli visage. J'en suis. C'est ma spécialité de faire craquer les gens. On commence quand ?
— C'est vrai que t'es sacrément chiante quand tu t'y mets.
— Ouais. Alors, je suis recrutée ?
— Bien évidemment ! On va les faire morfler...
Une poussée de bonheur m'envahit, avec l'aide de Lucie la casse-pieds, ça va être génial. En plus, disons que sa compagnie ne me dérange pas.
Je termine son maquillage et l'observe avec intérêt, trouvant son visage vraiment mignon et plutôt attractif. Je fouille un peu partout dans la loge, à la recherche d'une tenue qui pourrait lui convenir. Je finis par opter pour quelque chose dans son style, une jupe courte en cuir noir et un haut sans manches, pour laisser dévoîler ses tatouages sur les bras. Elle s'habille tandis que je range un peu ma coiffeuse, ordonnant mon maquillage.
La tenue lui va à ravir et avec ses petites boucles cuivrées, elle a l'air absolument adorable. Jusqu'à ce qu'on la connaisse mais ça, c'est une autre histoire.
Il est bientôt vingt heures lorsque nous nous mettons en route vers le lieu de la soirée.
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La double vie de Raph'
RomanceParis, 1991. Raph est à première vue un lycéen comme les autres. Il est assidu en cours, a quelques bons amis et s'entend plutôt bien avec tout le monde. Cependant, ce que les autres ignorent de Raph, c'est qu'à la nuit tombée, il revêt perruque, ma...