Chapitre 13 - Tomas

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Mon cerveau est prêt à exploser, trop d'émotions à gérer en même temps.

La tristesse. Javi n'a pas eu besoin de me le dire de vive voix, son regard a été assez explicite. Lorsque nos yeux se sont croisés, la détresse dans les siens n'a pas laissé de place au doute. Bertrand n'a pas survécu.

La colère. Nous sommes encore sur cette fichue route à des centaines de kilomètres de Lille. Nous ne pouvons rien faire de plus pour le moment. Ça me fout en rogne de ne pas pouvoir être auprès de Manu et Carla. De leur offrir mon soutien.

La peur. Je vois que Javi est sur le point de craquer. J'entends sa respiration, trop saccadée. Je sens sa panique et involontairement il me la transmet. J'angoisse de ne pas savoir comment réagir, d'empirer la situation.

Je ne peux pas flancher, pas maintenant ! Reprends toi Tomas.

Je secoue la tête instinctivement pour m'aider à remettre mes idées en place. Il faut que je me ressaisisse.

Priorité numéro une : aider Javi qui suffoque. J'appuie sur le bouton permettant de baisser sa vitre. Je ne sais pas si ça servira à quelque chose mais c'est un début. J'essaie de lui parler mais mes mots ne l'atteignent pas alors je fais ce qui me paraît le plus adapté sur l'instant. J'attrape sa main et la serre de toutes mes forces dans la mienne, espérant que la pression le ramène dans le présent et qu'il s'ancre sur notre contact. Sa réponse est immédiate, il bloque fermement nos doigts. Il me fait mal, toutefois je prends sur moi pour maintenir ce lien qui nous accroche. Je continue de lui parler pour capter son attention et lui demande d'écouter le son de ma voix, de se concentrer dessus. Toujours pas de réponse. Sa respiration redevient de plus en plus critique. La panique, face à mon échec, essaie de prendre le contrôle de mon esprit, mais j'arrive à la tenir à distance. il ne me reste qu'une seule solution: s'arrêter.

Heureusement, la prochaine issue est une sortie d'autoroute. Je m'y engage avec pour objectif de trouver un coin isolé, idéal pour ce que j'ai en tête. Je conduis comme un pied, mes gestes contraints par nos mains liées. Je n'ose toutefois pas les séparer...

Par chance, nous arrivons directement sur des routes de campagne après le péage. Je tourne au premier chemin de terre que nous croisons et gare la voiture quelques mètres plus loin. Javi lâche spontanément ma main et sort du véhicule. Je fais de même et me place près de lui, posant une de mes mains dans son dos pour le soutenir. Son souffle est erratique.

- Javi, regarde-moi ! ordonné-je.

Comme dans la voiture, mes paroles semblent être inefficaces. Plan B. Je ferme les yeux et je me mets à hurler de toutes mes forces. Un cri de rage, de peur vient du plus profond de mon être et me libère. Je m'imagine expulser toutes les mauvaises ondes présentes en moi, elles s'évaporent vers le ciel dans le souffle de mon éclat de voix.

Lorsque je rouvre les yeux, je vois Javi complètement immobile, saisi par mon hurlement. Son regard ébahi me confirme sa surprise. Il est maintenant concentré sur moi.

- A toi maintenant, lui intimé-je en avançant vers lui. A ton tour de hurler dans le vide. Lorsque tu le feras, il est crucial que tu penses à tout ce qui te ronge en ce moment et qui doit être évacué de ton corps. Je vais compter jusqu'à trois et tu crieras de toutes tes forces. Ok ?

Il me répond par un signe de la tête à peine perceptible et je commence le compte à rebours en m'éloignant de lui progressivement. Arrivé à trois, Javi s'exécute. Il crie, les yeux vers le ciel, exactement comme je le lui ai demandé. Après chaque nouvelle inspiration, il crie de nouveau. Je recule sans m'en rendre compte, impressionné par la perte de contrôle dont je suis témoin. Ai-je créé un monstre ? Je ne suis plus certain d'avoir fait le bon choix.

Faux départOù les histoires vivent. Découvrez maintenant