Chapitre 19

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          Elle n'avait même pas attendu Kenya, retournant dans sa chambre plus par automatisme que par réelle intention. Elle voulait juste la solitude. Le silence. Car la tempête rugissant en elle était déjà bien assez bruyante.

          Prostrée sur son lit, rideaux fermés et parchemin froissé au sol, elle avait ignoré la cloche annonçant le déjeuner et l'appel hésitant de son amie. Kenya, Ruby et même Attaris avaient bien tenté de la faire participer au cours d'escrime de l'après-midi, mais son manque de réaction les avait découragées et elles étaient finalement parties sans elle. Elles ignoraient que, auraient-elles insisté un tout petit plus, Romulée aurait perdu son calme et se serait déchainée. Yeux écarquillés, mains sur ses oreilles et dents dans ses lèvres, la brunette s'était répétée qu'aucune des trois ne méritait sa colère bouillonnante, menaçant d'exploser d'un instant à l'autre.

          Comme elle avait envie de hurler et de frapper. De pleurer et de se lamenter. Parfois, un pathétique couinement s'échappait d'entre ses lèvres.

          Quand le dîner fut annoncé, la colère avait fini de prendre le dessus, la faisant presque trembler. Elle voulait répondre à son frère, lui faire comprendre à quel point il la blessait, mais chaque fois qu'elle commençait une lettre, le peu de lucidité qu'il lui restait la lui faisait déchirer en un millier de confettis qui prenaient feu et retombaient au sol en formant de petits tas de cendre, détruisant des mots qui pourraient faire tout autant de dégâts et éloigner son frère pour toujours. Romulée ne voulait pas ça. Même si elle lui en voulait.

          Elle se recroquevilla un peu plus sur elle-même, serrant contre sa poitrine ses mains enflammées en se retenant de la laisser jaillir et s'exprimer à sa place.

          Le sommeil ne luit vint pas facilement cette nuit-là.


          Le lendemain, Romulée n'attendit pas ses compagnes de chambrée, quittant le dortoir bien avant la cloche du petit-déjeuner. Ce n'est pas pour autant que le palais était calme, il vibrait déjà d'activités.

          Quand l'heure vint, la jeune fille n'accepta de se rendre au réfectoire que sur insistance du Château qui mouvait et fermait les couloirs à sa guide tandis que le griffon sur ses murs gonflait ses plumes d'agacement. C'est donc le pas traînant qu'elle se dirigea vers les lieux.

           C'était la première fois depuis son arrivée sur AutreMonde que rien de ce qui l'entourait ne la distrayait. Son frère occupait toutes ses pensées, des pensées sans queue ni tête, incompréhensibles même pour elle, seulement des sensations et des émotions tournant en boucle, moins agitées que la veille mais bien présentes.

          Une fois au réfectoire, Romulée resta tête baissée sur son bol où elle poussait ses céréales du bout de sa cuillère. Quand elle la portait à sa bouche, ce n'était que pour mâchouiller sans conviction une quantité ridicule du mélange qu'elle avait pris sans y faire attention. Et, lorsqu'elle se leva, son plateau avait à peine été touché.

          Pendant le cours, Romulée n'écouta qu'à moitié les professeurs. Marmonnant les formules dans sa barbe, elle soulevait et modelait la terre sans même chercher à lui donner une forme particulière ou à essayer de la modifier. Elle se mouvait lentement à quelques centimètres du sol, s'effritait misérablement au point de ressembler à un amas de petits cailloux.

- Que se passe-t-il, Miss Potter ? Lui demanda Maître Laetitia d'une voix douce, vous me semblez très tourmentée.

- C'est rien.

- Hum... Je suis là pour vous écouter si vous en ressentez le besoin. En attendant, allez vous assoir. Vous forcer à travailler ainsi ne vous aidera en rien.

Romulée Potter : AutreMondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant