Chapitre 42

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          A part en public, Maître Kaizzar n'essayait même plus de jouer son rôle de gentil guide, de tuteur encourageant et avenant. Et ils se trouvaient rarement en public ensemble. Si Romulée pensait que ses enseignements étaient durs auparavant, ce n'était rien à présent et il exigeait d'elle bien plus que ce qu'elle ne pouvait donner. Et elle était obligée de lui obéir, de faire ce qu'il voulait, autrement, il lui en donnait l'ordre et elle détestait plus que tout cette sensation de piqures dans sa tête alors que ses directives s'y ancraient profondément. Il y a encore quelques semaines, peut-être même quelques jours, elle aurait probablement craqué. Mais son désespoir, bien que toujours présent, avait laissé place à quelque chose de plus brûlant. Sa haine, sa rage contre lui qui dévorait tout sur son passage. Lorsqu'elle le regardait, elle ne voyait que son corps inerte et sans vie, lorsqu'il parlait, elle s'imaginait lui arracher la langue, lorsqu'il la blessait par quelques piques bien placées, elle rêvait de le voir ramper au sol dans les restes fumants de sa fierté et de sa dignité.

          C'était ce qui la faisait tenir et avancer. Le matin, lors de leurs cours d'escrime, la jeune fille s'acharnait contre lui en espérant provoquer un "accident" qui ferait voler sa tête. L'après-midi, elle laissait sa magie s'abreuver de ses émotions, la noyait avec pour toujours plus de puissance. Cet idiot arrogant, certain de son emprise sur elle, continuait de lui apprendre à invoquer et contrôler des armes de magie pure.

- Tu vas en avoir besoin dans le futur, ricanait-il.

          Elle ne savait toujours pas quel destin il lui réservait, mais elle espérait pouvoir s'en sortir avant. Elle le devait, d'une façon ou d'une autre, et si cela voulait dire l'abattre avant qu'il n'arrive à ses fins, ainsi soit-il. Alors elle se concentrait et se voyait le transpercer de part en part de ses projectiles magiques qu'elle commençait seulement à maintenir tangibles plus de quelques minutes.


          Parfois, la nuit, elle se recroquevillait sur elle-même en pleurant, regrettant toutes ces pensées monstrueuses et se demandant ce que son frère penserait d'elle s'il savait. Ce que leurs parents diraient. Auraient-ils vraiment honte ? Probablement. Qui aimerait avoir un enfant meurtrier, pire, un enfant qui souhaite, rêve tuer quelqu'un ? Mais si elle ne le faisait pas, c'était elle qui allait mourir, elle en avait la certitude. Kaizzar l'avait dit lui-même, elle n'était qu'un sujet, un test, une expérimentation. Il n'avait jamais prévu qu'elle aille jusqu'au bout de son projet. Or, elle n'avait pas l'intention d'abandonner son frère dans ce monde. Et si elle ne mourait pas, elle craignait de ne jamais pouvoir lui échapper. Pas complètement.

          Et puis elle pleurait plus fort, se demandant si elle parviendrait un jour à s'échapper. Kaizzar était aussi un mage, plus expérimenté qu'elle. Comment pourrait-elle lui faire face ?

          Ses camarades, dans les autres lits, étaient sourdes à ses souffrances. Elles ne s'étaient pas reparlées depuis l'hôpital. Romulée ne les avait même pas vraiment revues, partant le matin avant qu'elles se réveillent, arrivant le soir après qu'elles se soient endormies. Elle avait souvent eu l'envie de les réveiller, mais pour leur dire quoi ? Elle ne pourrait même pas s'expliquer et, dans le pire des cas, elle s'enfoncerait encore plus et se les mettrait complètement à dos. Elle ne voulait pas ça.

- Je peux faire trembler la terre, faire claquer la foudre, faire se déchaîner les océans, murmurait-elle alors d'une voix tremblante, j'ai le pouvoir de façonner le monde à ma guise, de confronter les éléments et les règles régissant l'existence simplement par ma volonté. Je peux adopter la forme que je désire et décider de plonger au plus profond de la mer ou de m'élancer haut, haut dans le ciel. Tellement haut qu'il ne pourra pas m'y rattraper...

Romulée Potter : AutreMondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant