Chapitre 15

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          Après leur "visite", Alice s'était contentée de larguer Romulée au réfectoire où se rassemblaient déjà la population du Château. Tout en se servant à manger, elle chercha ses camarades mais, cette fois, ne les repéra pas dans la foule. Soit ils l'avaient oubliée, soit ils ne la trouvaient pas non plus car elle ne les voyait nul part en train d'essayer d'attirer son attention.

          Alors, timidement, elle demanda à s'asseoir à la première table sur laquelle elle trouva une place libre. A celle-ci n'étaient attablés que des adultes dont la plupart ne lui portèrent pas la moindre attention. L'un d'eux lui fit signe de s'installer, puis se détourna d'elle pour reprendre sa conversation avec ses compagnons.

          Le claquement pourtant faible d'un plateau posé sur la table fit sursauter la brunette qui se recroquevilla en voyant la personne s'installant à la dernière place vide face à elle. Lorsqu'elle croisa son regard ocre assombri par quelques mèches de cheveux bruns, elle déglutit difficilement. Le rictus étirant un coin de ses lèvres lui fit finalement baisser les yeux.

          Son malaise était revenu au galop. Non, c'était pire que ça, Romulée était incapable de mettre un mot dessus. Le grand homme, par sa simple présence, avait abattu sur la tablée entière cette tension qui interrompait tout, poussait à la discrétion. Même ceux qui discutaient avec grand enthousiasme un instant plus tôt s'était tus et évitaient soigneusement de reconnaître la présence du nouveau venu.

          Quand la jeune fille osa lui jeter un coup d'œil, elle le trouva... étrange. Comme s'il était pas à sa place. Malgré ses yeux, il ressemblait à n'importe qui. Il était propre mais vêtu d'une tenue ordinaire. Peut-être un peu plus élégante que d'autres. Cependant, ce sont ses manières qui lui firent hausser les sourcils. Il se tenait parfaitement droit et maniait ses couverts sans faire le moindre bruit. Tante Pétunia aimait prétendre être aussi chic que les dames de la haute société et se donnait toujours un air à table, sans manquer une occasion de la reprendre sur ses manières "déplorables". A côté de cet homme, sa tante aurait autant de tenue qu'une truie. Alors que dire d'elle ? Elle baissa les yeux en rougissant. Inconsciemment, elle se redressa.

- Excusez-moi.

          Un autre homme à la table se leva si brusquement que sa chaise en vacilla et qu'il se prit les pieds dedans, faillit tomber avec son plateau et partit au pas de course.

- Mon service commence bientôt, balbutia une femme en l'imitant.

          En quelques secondes, la table avait été désertée, ne laissant que Romulée et l'inconnu que la scène n'avait pas perturbé le moins du monde. En fait, son rictus s'était agrandi.

          La jeune fille avait envie de les imiter. Elle aussi aimerait être loin. Elle était censée étudier, non ? Elle devait bien se rendre quelque part, à une école, un collège, quelque chose ? Pourtant, elle n'en fit rien, plus effrayée encore de fuir cet homme que de rester en sa présence.

          Ce n'était pas un petit-déjeuner particulièrement copieux, mais elle eut l'impression de manger pendant des heures, le temps passait si lentement que c'en était angoissant. Chaque fois que sa cuiller tapait contre son bol ou qu'elle reposait son verre un peu trop bruyamment, elle ne pouvait s'empêcher de grimacer et s'efforçait de mieux faire. Au moins, elle restait propre. Mais quelle vision elle devait donner. Enfin, encore faudrait-il qu'il la regarde et elle en doutait franchement. Il lui donnait l'impression que personne n'était digne de son attention, que les gens n'étaient que des insectes.

          Finir son plateau fut comme une libération. Mais elle avait mal au ventre, presque envie de vomir. Rassemblant vaisselle et déchet, elle se leva ensuite, adressa un signe de tête poli à l'homme et s'éloigna rapidement.

Romulée Potter : AutreMondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant