Chapitre 33

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- Concentre-toi, bon sang !

          Qu'importe qu'elle soit malade, Maître Kaizzar la poussait aussi durement que d'habitude. Peut-être même plus. Il avait été terrible ce matin également, toujours à la reprendre, à frapper une jambe ou un bras du plat de la lame, accompagnant son geste d'une pique acide. Sans savoir si cela était dû à son mal être ou à l'intensité monstrueuse des leçons de son professeur, Romulée avait régurgité le léger petit-déjeuner qu'elle avait réussi à avaler après avoir été jetée à terre. Il lui avait à peine laissé le temps de se reprendre, arguant qu'un adversaire n'attendrait pas qu'elle ait fini ou que ses vertiges soient passés.

- Tu veux maîtriser ce sort, oui ou non ? Applique-toi un peu !

          Autour d'elle flottaient des traits de magie, semblables à des flèches, mais intangibles et surtout, instables. Elle avait dans l'idée de commencer directement avec des animaux, mais Maître Kaizzar n'avait rien voulu entendre et lui avait montré quoi faire. Heureusement, car même des formes aussi simples étaient compliquée à gérer lorsqu'elles devraient les contrôler de façon si précise. De la longueur au diamètre, en les modifiant selon les exigences du Haut-Mage tout en les gardant en suspens à un endroit précis dans une direction donnée. Les flèches s'étaient affolées et avaient disparu plus de fois qu'elle ne pouvait les compter, et si au début elle se débrouillait plutôt bien avec deux ou trois sous contrôle, la tâche lui semblait maintenant impossible. Romulée était censée en avoir six, bien que deux d'entre elles apparaissent et disparaissent constamment. Les autres, si elle semblait pouvoir les garder intactes, tremblaient, flottaient parfois à quelques mètres, rapetissaient sans la moindre raison.

          Sous l'effort, elle avait l'impression que son crâne compressait son cerveau, elle sentait ses veines gonfler chaque fois que son cœur pompait, de la transpiration coulait sur son front et dans son dos, collant cheveux et vêtements à sa peau. Ses genoux tremblaient, la faisant tanguer, et sa vision était embrumée, parfois doublée. Des hauts le cœur la prenaient de temps en temps, mais elle n'avait pas réussi à manger plus qu'une tranche de pain et un fruit ce midi malgré les encouragements de son Maître. Elle n'avait rien à vomir.

- Ça suffit.

          A peine s'était-il exprimé que Romulée relâchait tout. Les flèches disparurent en même temps qu'elle s'écroula dans la poussière, inspirant et expirant comme si elle avait été privée d'air pendant trop longtemps. Elle n'en pouvait plus, n'avait même plus la force de parler, et se laissa faire lorsque Maître Kaizzar prit son menton entre deux doigts pour l'examiner avec des lèvres pincées. Il posa le dos de sa main sur son front brûlant avant d'attirer à lui une serviette qu'il trempa sans un mot pour la passer sur son visage. La fraîcheur, si agréable, réconfortante même, fit soupirer Romulée qui sentait déjà le sommeil venir.

- Tu comprends pourquoi je te pousse aussi fort, n'est-ce pas ? Demanda-t-il doucement. C'est pour ton bien.

          La jeune sortcelière n'en doutait pas, pas avec tous les efforts qu'il faisait pour elle chaque jour, le temps qu'il prenait pour lui enseigner ce qu'il savait, pour lui prodiguer conseil et soutien. Cela ne voulait pas dire qu'elle en était heureuse. Pas à cet instant.

- Debout. Prends appui sur moi.

          Chez lui, elle se doucha en dormant à moitié, le front appuyé contre le mur, yeux fermés pour essayer d'empêcher le monde de tourner. Après cela, il lui proposa bien à manger, mais encore une fois elle se trouva incapable d'avaler quoi que ce soit, alors elle préféra retourner à son dortoir. Comme elle refusait de rester dans sa chambre d'ami, il l'accompagna jusqu'au Château, s'arrêtant devant l'aile Licorne pour lui donner un sachet contenant des barres de céréales.

- Faites maison, dit-il. Essaie d'en manger une ce soir. Nous verrons comment tu seras demain matin.

          La barre de céréale était bonne, se dit-elle en la grignotant. Elle se demanda si son Maître n'y avait pas ajouté quelque chose pour l'aider à s'endormir, car ses maux semblèrent s'apaiser, lui accordant un sommeil agréable et reposant.


          Bien que la fatigue alourdisse toujours son corps, Romulée n'était plus dérangée par les douleurs des derniers jours. Ses entrailles se rappelaient parfois à son bon souvenir et des vertiges la prenaient facilement lorsqu'lele bougeait un peu trop vite la tête, mais elle se sentait bien mieux que la veille. Son Maître et elle, aussi satisfaits l'un que l'autre de son état, se lancèrent avec enthousiasme dans une leçon intensive qui fit bientôt crier les muscles de la brunette et transpirer abondamment les pores de sa peau.

          Plus exigeant que jamais, Maître Kaizzar la poussait dans ses retranchements, la forçant à battre en retraite en contrant ses coups à grand peine. Chaque fois qu'elle tentait une contre attaque, pensant avoir l'occasion ou trouver un ouverture, il la prenait au dépourvu et la repoussait comme un vulgaire moucheron. Il lui semblait impossible de l'atteindre, comme si un énorme gouffre ne cessant de s'élargir les séparait. Tous ses progrès lui paraissaient bien ridicules face à ses compétences.

- Concentre-toi !

          Il la frappa au visage avec le pommeau de son épée, la faisant crier de douleur en y portant une main. Heureusement, elle avait gardé un œil ouvert et leva son arme en le voyant attaquer de nouveau. D'un geste presque nonchalant, il l'écarta en faisant tinter leurs armes, puis fit revenir la sienne. En voulant reculer pour l'éviter, Romulée se sentit trébucher. Ses pieds se prirent l'un dans l'autre, lui faisant perdre son équilibre. Elle eut le temps de voir l'horreur tordre l'expression de son Maître. Sa lame approchait de la jeune fille qui n'eut que le temps de lever une main. Une tentative vaine d'arrêter le mouvement, de se protéger du danger. La lame transperça sa chair comme du beurre.

          Romulée vit le sang et deux de ses doigts voler avant de sentir la douleur. Brûlante, virulente, telle qu'elle n'en avait jamais sentie, elle enflamma sa main et remonta tout le long de son bras, lui arrachant un cri bestial qui résonna dans la pièce.

- Romulée !

          Jetant son épée, le Haut-Mage se précipita pour prendre sa main et l'enrouler dans une serviette qui rougit en quelques secondes. Pleurant en sanglots hachés tandis que son cœur tapait comme un fou dans sa poitrine, Romulée fixait sa main comme s'il s'agissait d'un monstre. Elle avait perdu deux doigts ! Deux doigts coupés ! Elle avait mal, si mal ! Et elle perdait tellement de sang, allait-elle mourir ? Elle ne voyait que du rouge, du rouge, du rouge, elle tremblait de tout son corps en gardant sa main loin d'elle.

- Oh merde, je suis désolé Romulée, je suis désolé ! Shh, shh, ça va aller, ne t'inquiète pas. Je suis désolé...

          Tenant toujours sa main, il l'attrapa par les épaules et incanta. L'instant d'après, ils se trouvaient devant un grand bâtiment dans lequel il l'emmena en appelant de l'aide. La jeune fille ne voyait presque rien autour d'elle, aveuglée autant par ses larmes que par sa douleur. Elle ne réagit pas lorsqu'une dame l'emmena, n'entendant même pas les derniers mots de son Maître.

Romulée Potter : AutreMondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant