- Acte I : Vi -

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Je me suis tout de suite méfié de cette Pacifieuse en uniforme. Ses questions, son air important, sa manière de me prendre de haut. Je n'ai jamais aimé les gens comme elle, ils sont souvent à l'origine de tous nos problèmes. Enfin, presque. J'avais une seule certitude, cet endroit n'était pas pour elle. Elle faisait tâche dans ce décor, et je m'en serai voulu qu'elle finisse dans un sale état. Non mais sans blague. Elle a vite tourné les talons.. Puis ma cellule s'est ouverte, et je l'ai suivi, elle et son regard qui disait : "De rien." avec un sarcasme évident. Qu'aurais-je pu faire d'autre ? J'en avais assez de croupir ici.

Les questions tournaient dans ma tête, je revoyais la surface après des mois, des années coupée d'elle. Elle avait bien changé. J'avais changé, moi aussi. Et je dois dire que, même si ça me tuais de l'admettre, la présence d'une personne à mes côtés me faisait du bien, après autant de temps passé seule dans ma cellule. Pour être honnête.. Je ne pensais pas m'attacher si rapidement à quelqu'un. Ce genre de relation, c'était pas de ma trempe. Et pourtant, quelque chose chez elle me faisait sourire, peut-être son faux air de sainte-nitouche, ou son manque évident de débrouillardise dans les bas-fonds. Elle qui venait d'en haut, elle allait apprendre à connaître la vie qu'on mène ici. Je ne me suis pas privée de la lui montrer.

Être de retour chez moi, c'était une sensation merveilleuse.. Mais était-ce encore chez moi ? Avec tous ces traîtres dans la rue, ces enflures qui s'appropriaient le résultat d'une vie de travail. On était sûrement loin de ses propres tracas à elle, et parfois le fait de me rappeler qu'elle avait grandis loin de tout ça, "là-haut", me mettait en colère. Pas contre elle, mais contre ce système qui nous faisais naître à ces deux extrêmes.

J'avais des comptes à régler en revenant ici. Des gens devaient payer pour ce qu'ils avaient fait. Je n'avais pas imaginé un seul instant qu'ils puissent être à ce point enrôlés dans le fantasme de cette force étrange qui leur conférait une force incroyable. J'étais impuissante face à ça, et mes espoirs s'étaient un instant envolé quand j'avais vu ma vie défiler devant mes yeux pendant qu'une main assassine me maintenait face à elle. La fin était proche. Jusqu'à ce qu'un éclat de lumière fasse soudain reculer l'ennemi. Un autre coup de feu l'a éloigné de moi et mis en fuite. J'ai alors vu cette "princesse" armée d'un fusil, qui ne se démontait pas. Elle avait plus de caractère que ce que je pensais, et ça m'a fait sourire. Moi qui avais joué de ça pour la pousser dans ses retranchements, c'était à présent elle qui était en position de supériorité. Elle m'a aidé, soigné. Je lui dois la vie sûrement plus d'une fois. Jamais je n'oublierais la chaleur de ses mains sur mon visage quand elle s'est approché de moi, son regard bienveillant plongé dans le mien, sa douceur presque maternelle. Sa vue m'a sorti d'un long cauchemar. J'ai voulu la remercier, mais les mots n'ont pas pu franchir mes lèvres à ce moment là. Plus tard, alors que je m'apprêtais à traverser ce pont pour me diriger vers la destinée qui m'attendait, j'ai eu un remord. Une seule chose m'empêchait de continuer, la peur de perdre quelqu'un à nouveau. Au moment des adieux, j'ai senti qu'elle aussi aurait voulu en dire plus. Je connais cette gorge qui se noue, ces paroles qui y restent bloquées. Un geste vaut de toute façon bien plus qu'une longue phrase, et l'avoir contre moi me satisfaisait amplement. Je savais aussi qu'en tournant les talons, je prenais un risque immense. Alors, quand j'ai entendu les coups de feu, je n'ai pas hésité une seule seconde. Ce choix, ce regard.. La culpabilité difficile à assumer. Mais pour l'heure, survivre était l'unique priorité.

J'ai suivi ses indications jusqu'à cette immense maison, ce manoir luxueux dans lequel nous sommes entrées presque par effraction. Je l'ai soutenu de la même manière qu'elle l'a fait pour moi. Sa blessure à elle mettrait cependant moins de temps à cicatriser.. La porte s'est brusquement ouverte, et j'ai pu faire la connaissance de ces gens pompeux de "l'au-dessus", qui nous prennent de haut depuis toujours. Mais leur seule gloire est d'être né ici, ils ne savent rien de nous. De toute façon, après tout ça, je n'avais pas le courage de m'emporter. Alors, je l'ai attendu sagement, en comptant les ornements sur les murs et en me demandant comment des tissus si doux pouvaient exister.

Elle pousse enfin la porte et je relève la tête. La voir ainsi dans son élément naturel la changeait, elle dégageait une sorte de.. prestance, qui lui allait bien. Finalement, c'est moi qui fait tâche à présent. Le silence s'installe entre nous. J'ai l'impression de l'entendre pour la première fois. Ce n'est pas le même qu'en prison, lui n'est pas oppressant et ne provoque pas l'angoisse, au contraire. Ce calme, je ne l'ai jamais connu. Ou alors je dois remonter loin, très loin dans mes souvenirs. Je me rappelle à quel point ma vie était simple avant. J'ai soudain envie de le lui confier, de lui parler de tout ça. Elle m'écoute sans rien dire. Je sais que je suis condamnable pour ce que j'ai fais, mais j'avais besoin de l'exprimer à voix haute. Je me sens si seule tout à coup, seule face à mes actes et à mes regrets, j'ai envie de disparaître.

Sa main s'approche doucement et passe sur ma peau avec délicatesse. Je la saisi et la serre dans la mienne, comme pour me convaincre qu'elle est bien là. Elle est le seul point d'attache auquel je me raccroche désormais, mon unique repère dans ce monde qui part en vrille. Je frissonne à l'idée que tout ça aurait pu ne pas exister. Je déglutis en me disant qu'il y a seulement quelques jours, je croupissais dans un trou à rats comme une criminelle des bas-fonds. Voilà ce que nous sommes vraiment, au final. Des brigands, des voleurs sans avenir. Si seulement je n'avais pas organisé ce travail, il y a des années. Rien de tout ça ne se serait produit, et j'aurais encore une famille. Mylo, Claggor, Vander.. Powder. Tout ce qu'il me reste à présent, c'est elle. Loyale, elle ne m'a jamais trahie malgré les circonstances. Elle a été là depuis le début, et je veux qu'elle reste jusqu'à la fin. J'ai soudain une envie irrépressible, un mélange de tristesse et d'affection qui pose un voile sur mes pensées. Je me penche vers elle et embrasse ses lèvres parfumées. Elle avait déjà commencé le même mouvement, mais je suis trop perdue en elle pour m'en rendre compte tout de suite. Je me livre entièrement à elle, je veux me fondre en elle et ne plus jamais la quitter. Sa main sur ma joue me rappelle ce premier contact entre nous. Je la prends et la repose sur le lit pour enlacer mes doigts dans les siens. Ils sont doux et fins, contrairement aux miens. Je frissonne de plaisir quand elle remonte le long de ma colonne. J'ouvre les yeux un instant, croise son regard, et réalise une fois de plus à quel point elle est belle. 

What could've been...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant