- Acte II : Caitlyn -

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Je n'aurai jamais pensé que les rôles s'inverseraient ainsi. Il s'est passé beaucoup de choses ces derniers jours, tellement que j'en ai perdu le compte et la notion du temps. Se retrouver ici, loin des cris et des coups de feu, loin de la basse-ville et de ses quartiers sombres, loin de Silco et de ses hommes. Nous avions enfin un peu de répit, après tout ça. Un peu de temps pour nous, car même si j'avais l'impression de la connaître, je ne savais rien d'elle en vérité. 

Encore une fois, je promène ma main sur sa peau. Je ne me lasse pas de caresser sa joue, puis sa nuque, son dos. Elle est toute en force, et pourtant il y a une telle tendresse dans sa manière de me regarder. Elle dégage passivement une passion que je peux ressentir, comme un flot d'énergie qu'elle n'est pas sûre de savoir maîtriser. L'idée de l'initiative me plaît et je vais chercher ses lèvres à nouveau. Une fois, puis deux... Je finis par la repousser et m'allonger sur elle tout en continuant de la dévorer. J'ai soudain envie de lui en donner plus. Retirant enfin mes vêtements de Pacifieuse, plusieurs pensées me traversent l'esprit. Je me dis que rien de tout ça n'en vaut la peine, qu'il ne s'agit que d'une énième guerre qui recommencera aussitôt la paix admise. Je me dis que nous ne sommes que des êtres insignifiants au milieu de cette vaste machination dont les protagonistes sont identiques depuis la nuit des temps. Depuis toujours, il y a les gens "d'en haut" et les gens "d'en bas", les gens comme moi, et les gens comme Vi. Notre monde va mal et nous sommes là, nageant au milieu des turbulences. Elle, elle garde comme elle peut la tête hors de l'eau, prise en permanence entre deux feux, à la merci de chacun de ces camps qui s'ébattent en vain l'un contre l'autre. Aller dans les bas-fonds m'a fait réaliser à quel point nous étions dans l'erreur, tous autant que nous sommes. Le conflit ne cessera jamais, et tout ce que nous pouvons faire, c'est survivre à une ère de plus tout en essayant de ne pas nous entretuer. 

Puis je songe à mes parents, à leur réaction s'ils entraient et me voyaient à ce moment-là. Se mêler ainsi à l'ennemi, à la vermine de la basse-ville, celle qui n'est pas digne de recevoir plus qu'un regard de haut, sans plus de considération pour sa personne ? Navrée de te décevoir, mère, mais ces gens-là méritent bien plus d'attention que n'importe quel conseiller issu d'une riche famille. Contrairement à eux, ils sont vrais et s'inquiètent sincèrement des leurs. Ils font vraiment tout ce qui est en leur pouvoir pour essayer de changer les choses, même si cela a un prix souvent élevé. J'ai connu quelques personnes comme ça, ici. Marcus, qui s'est sacrifié pour une cause qu'il croyait juste, laissant derrière lui le vide du défunt. De là d'où je viens, ils diront que c'est de leur fautes, à ces monstres de l'en-dessous. Ils chercheront à leur faire porter toute la misère qu'ils reçoivent, de la même manière que les Pacifieurs sont à l'origine de bien des maux, là-bas. Je regarde Vi, et le mot "monstre" me paraît des plus stupides et absurdes. Je crois qu'il est grand temps de reconnaître leur valeur. L'idée de braver l'interdit me procure une sensation délicieuse. Je la veux, d'un désir violent et inédit. 

Je pose une main à l'intérieur de sa cuisse, saisis son poignet de l'autre et l'embrasse avec plus d'ardeur encore tout en entamant une série d'allers-retours hasardeux sur sa jambe. Je la sens frissonner, sa respiration qui se fait légèrement plus rapide. Je frissonne moi aussi quand sa paume un peu râpeuse vient chercher ma hanche. Je la guide là où je veux qu'elle se rende, fière de nous, fière d'être avec elle. À ce moment précis, je ne l'échangerais pour rien au monde, encore troublée de cette alchimie particulière qui se créée. Je ne peux plus arrêter de la goûter, j'ai découvert cette drogue irrésistible qui offre tant de possibilité. Je la laisse palper mon corps de la même manière qu'elle me laisse prendre à ma guise un peu plus de plaisir sur ses lèvres à chaque fois. Quand je me redresse, je croise ses yeux bleus remplis d'un tas de choses eux aussi. Ils semblent raconter bien plus que ce qu'elle a déjà pu me dire, et je devine alors combien il doit en rester. Un passé sûrement lourd à porter, des actions qu'elle aimerait effacer. Moi aussi, je remonterais dans le temps, si je le pouvais.  Modifier certains choix, sans forcément emprunter une voie très différente.. Avec des si, beaucoup de personnes seraient encore en vie à l'heure qu'il est et je me dis qu'elle doit penser la même chose. Il arrive qu'un poids nous accable, la culpabilité peut-être, le regret, qui nous suivra pour toujours et avec lequel il faudra apprendre à vivre. 

Une larme roule sur sa joue, vestige d'un passé qui est loin d'avoir disparu. Je sais à quel point il peut-être envahissant et difficile à accepter, aussi je ne me formalise pas de ce soudain changement d'humeur. Je pose doucement ma main sur sa joue pour essuyer le coin de son œil avec mon pouce. Elle déglutit, et je vois bien l'effort qu'elle fait pour garder la face. Quelle tristesse de se renfermer sur soi, de devoir construire une telle muraille autour de soi pour survivre.  Aucun cœur humain ne mérite de subir autant de tourments. Chacun a ses failles, et je veux être là pour l'aider à les combler. Moi-même, je ne sais pas grand-chose de moi, n'ayant peut-être jamais eu l'occasion d'y réfléchir. Je me découvre moi aussi, tout comme elle. Je comprends qu'elle n'avait encore jamais relâché son attention jusqu'à aujourd'hui, et la confiance qu'elle décide de m'accorder me touche beaucoup. 

Comme en réponse à mes pensées, elle franchit le pas et retire sa veste, acceptant à son tour de m'en dévoiler un peu plus. Qui aurait cru que Vi, guerrière intrépide et furie des bas-fonds se montre si réservée, et fasse preuve d'autant de pudeur ? 

Quoiqu'il en soit, je décide de l'accompagner doucement, accentuant graduellement un contact physique, faisant glisser ma main sur ses biceps, ses épaules, son torse. Elle frissonne et semble m'intimer silencieusement de continuer, alors je me penche à nouveau, l'embrasse dans le cou, de plus en plus ardemment. Son souffle accélère, je commence machinalement un mouvement du bassin d'avant en arrière, lentement, régulier. Je m'applique à lui transmettre tout ce que je ressens, et un sourire finit par apparaître sur son visage. Je suis heureuse de le voir. Plaçant instinctivement mes mains l'une sur l'autre sur sa poitrine, je m'amuse à découvrir ce dont je suis capable, tout en la remerciant d'être ici. C'est une reconnaissance mutuelle qui s'échange dans nos yeux, et je compte bien la lui rendre au centuple. 

La nuit s'annonce passionnelle, moi la Pacifieuse qui découvre le monde, elle la fille des bas-fonds qui découvre l'humain. Tout nous oppose, et c'est pourtant ça qui nous rassemble à cet instant, ici, dans la Cité du Progrès. 

What could've been...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant