- Acte I : Vi and Caitlyn -

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Elles se sont rencontrées aux portes de l'Enfer, là où on enferme ceux qui n'ont plus rien à faire à la surface. Leurs regards se sont croisés pour la première fois à travers les barreaux rouillés d'une cellule froide et humide. Un animal en cage, à l'instar de beaucoup, ici. Mais la grille s'est ouverte, et rien ne saurait définir pour qui l'inquiétude était la plus grande. 

Une brise agréable venait caresser les visages, symbole d'une liberté retrouvée, celle de voir s'entredéchirer les deux mondes desquels elles sont issues.

Dans l'un, la douleur est partout, le mal omniprésent et la détresse à chaque coin de rue. Dans l'autre, on vante le progrès et l'évolution, sans se soucier de ceux qui meurent chaque jour sous leurs pieds. Les bas-fonds sont la poubelle de "l'au-dessus", ils ne sont pas fait pour communiquer ni pour agir ensemble. Le manque de confiance et une méfiance mutuelle ont toujours laissé des tensions dans leur sillage.

Et pourtant. Leurs souffles se mélangent, leurs yeux en contact et leurs corps soudain si proches. Il y a des barrières auxquelles certaines choses ne doivent plus résister, des frontières qui sont faites pour être franchies. Vulnérable un court instant, elles ressentent soudain une intense sensation de sécurité. Cette seconde fugace, c'est la promesse de rester en vie. Chacune d'elle sait qu'elle ne pourra rien faire seule, et qu'elles ont besoin l'une de l'autre pour cette mission. C'est une étrange alchimie qui est en train de naître, une attirance mutuelle et inavouée. Dès lors qu'elles ont commencé ensemble, elles demeurent liées jusqu'à la fin. Des embûches sur la route, entre désir de vengeance et comptes à régler. Une ombre qui rôde dans leurs pas et qui intervient au moment propice, ne laissant jamais à la mort la chance de s'immiscer entre elles. Des qualités spécifiques, des armes différentes, mais le même combat. Malgré leurs opposés, elles ne peuvent se résoudre à se tourner le dos. C'est au-dessus de leurs forces malgré le prix à payer.

Allongée dans cette chambre luxueuse sur ce lit de soie, caressant d'une main abîmée par la vie la couverture de velours, la fille des bas-fonds relève la tête quand la porte s'ouvre. Son acolyte la rejoint, elle qui débarque ici au milieu de tous ces gens qui la regardent de haut sous prétexte qu'elle n'est pas d'ici. C'est vrai, elle n'est pas d'ici, ce n'est pas son monde. Le sien est à feu et à sang, il s'enfonce un peu plus chaque jour dans une déchéance qui ne cesse d'augmenter. Ici, tout est calme, on dirait presque que la guerre n'existe pas. Tout est propre et brille de richesse, alors qu'elle a grandi dans la misère et la saleté. Mais c'était chez elle, et les souvenirs refont surface depuis ce qui lui semble être une autre vie. Elle se met à lui raconter son enfance, cet âge où elle avait encore tout. Elle avait des parents, elle avait une sœur, elle avait un toit et un foyer. Aujourd'hui, le seul endroit ou elle se sens bien est auprès de cette personne "d'en haut", de la même race que ceux qui lui ont tout pris. Mais elle n'est pas comme eux, elle le sait. Et elle tient à lui confier ce morceau de passé, cette part d'elle même qui la ronge et la tourmente.

Elle, elle a vécu entourée de sa famille, dans un milieu d'opulence dont les principes et les manières abusives lui donne la nausée. Elle a toujours fâché les siens et fait preuve d'un caractère rebelle envers eux. Elle a toujours eu beaucoup de privilèges, mais pas celui d'être traité à sa juste valeur. De là où elle vient, on se doit de savoir se tenir et de montrer en permanence le masque de la bienséance. Malgré sa volonté de se détacher de cette image, son nom la suit quoiqu'elle y puisse, et jamais on ne l'a considéré en dehors de celui-ci. Jusqu'à maintenant. Cette fille, cette prisonnière à l'air agressif et borné, cette enfant des rues qui a passé sa vie à subir l'oppression de la surface. Elle ne l'a jamais appelé par son nom, peut-être ne connait-elle même pas l'importance et le haut rang de sa famille. Elle ne lui a jamais fait de faveur, ne l'a jamais surprotégé, ne l'a jamais remise à sa place sous prétexte que ce n'était pas la sienne. Depuis ce jour où elle l'a libéré, elle l'a traité comme une semblable. Il était loin le temps où elle passait ses jours à frapper de toute sa rage la même portion de mur en pierre jusqu'à ce qu'elle parte en morceaux. Loin le temps où on entendait ses coups résonner dans le couloir sombre de l'étage moins quarante. Les gens d'en bas sont finalement peut-être bien plus humains que n'importe qui d'autre. Plus que quiconque, ils ont besoin de réconfort et connaissent la valeur de l'affection. Alors, d'une main tendue, sa peau en contact avec la sienne, un frisson qu'elle sent la traverser. Elle fait preuve d'autant de délicatesse au moment de serrer ses doigts entre les siens. Elle ferme les yeux, puisant en elle la force dont elle a besoin pour continuer. Elle la regarde toujours, détaillant les traits de son visage, ses cheveux en bataille, ses yeux d'un bleu innocent et torturé. Ils se posent sur elle, et à nouveau son cœur fait un bond dans sa poitrine. Il se met à battre vite, comme lors de leurs multiples courses poursuites. Toutes ces fois où elles ont échappé à la mort alors qu'elles ne se connaissent que depuis quelques jours. L'impression que l'éternité sépare cet instant du premier où elles se sont adressé la parole. Une sensation monte en elles comme si toutes les réponses se trouvaient finalement là. Deux regards, deux personnes, qui cherchent depuis longtemps où se trouve leur place, et qui viennent de réaliser qu'elle est auprès de l'autre.

Tandis que le choc des cultures perdure à l'extérieur, cette notion disparaît soudain. Il n'y a plus "d'en haut" ni "d'en bas", plus de guerre ou d'affrontement. Les coups de feu qui résonnaient la veille se sont tu, les cris de douleur et le sang qui coule ne sont plus. Des blessures ouvertes qui semblent se refermer sous l'effet de cette anesthésie, les images du conflit qui s'évaporent pour ne laisser place qu'à un visage. La fille des bas-fonds se redresse, et vient chercher les lèvres de sa comparse. Elle ferme les yeux, tandis que celle-ci pose sa paume sur sa joue, répondant à l'initiative. Elle se couche sur le dos et la laisse faire, la laisse lui dévoiler ses sentiments tout en lui rendant les siens. Leurs bouches ne cessent d'entrer en contact, lentement, délicieusement, avec une douceur invraisemblable. Une main trouve sa hanche, l'autre va se perdre dans ses cheveux. Sa peau est chaude, elle sent les muscles de son dos et caresse l'endroit où se prolongent les tatouages de sa nuque.

Elle, elle sent son souffle, respire son parfum, s'enivre de sa présence. Elle la regarde sans comprendre d'où lui vient cette envie de la garder auprès d'elle à jamais.

Comme l'eau et l'huile, le jour et la nuit, elles se mélangent avec pour seule préoccupation de prolonger ce moment pour toujours. 

What could've been...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant