- Acte VI (part.2) -

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Vi : 

Du côté de la Haute-Ville, il y a des quais luxueux qui accueillent des navires de commerces et de plaisance en tout genre. Le port de la Cité Haute est à lui tout seul une preuve de sa richesse, offrant de nombreux emplacements et même des promenades le long de son bord. Leur eau y est propre, claire, et tiède, là où la nôtre est verte et glaciale. De ce côté là, on parle des docks comme d'un endroit peu fréquentable où il vaut mieux ne pas traîner la nuit. Des détritus s'entassent sur la vase, se confondant depuis longtemps avec les galets noirâtres et couverts de mousse. Les poteaux rongés par l'érosion sortent avec peine à la surface, semblables à des ruines d'un autre temps. Depuis le chemin sale qui remonte vers la frontière, on peut apercevoir plus d'une caisse de contrebande détruite et abandonnée, ayant parfois déversé son contenu en mille morceaux sur la berge. Des éclats de verre, des lambeaux de tissus, des carcasses d'objets impossibles à identifier.. La misère et le crime souille le moindre recoin de la Basse-Ville, la rendant chaque jour un peu plus repoussante. Elle qui pouvait s'enorgueillir de son auto-suffisance et de l'ordre qui y régnait jadis, elle se trouve aujourd'hui réduite à l'état de pestilence. Les Voies ne sont plus ce qu'elles étaient, et il y a peu d'espoir qu'elles redeviennent comme avant, un jour.

Et au-dessus de tout ça, il y a ce pont immense marquant la séparation entre notre monde et celui d'en-haut. Je lève les yeux vers la plate-forme maintenue par d'énormes pilônes en béton. Ils sont à l'image des Bas-Fonds, imposants et couverts de crasse. Je me rends compte que ça fait un moment que je n'ai pas parlé, trop plongée dans mes pensées pour ça. Je sens la présence de Caitlyn dans mon dos tandis qu'elle marche derrière moi. Je laisse couler mon regard sur l'étendue de débris qui s'étale à ma gauche, portée jusqu'ici par le courant et les marrées. Même si je sais qu'il vaudrait mieux ne pas traîner ici, quelque chose dans cet endroit me demande de m'y attarder un peu et je ralentis instinctivement. Alors que mes yeux parcourent toujours le fossé en contre-bas du chemin, je perçois tout à coup un infime et fugace éclat de lumière. Il n'a duré qu'une seconde, mais c'est suffisant pour attirer mon attention. Ignorant la voix de Caitlyn qui m'appelle, je descends en trombe sur la pente glissante qui mène à la plage de galets. Je la dévale presque en courant, manquant de glisser sur les cailloux à plusieurs reprises. Pour une raison inexplicable, mon cœur se met à battre plus fort dans ma poitrine, cognant jusque dans mes tempes. J'arrive à l'endroit où j'ai vu la chose, ce point brillant semblable à ceux qui nous éblouissent quand un rayon de soleil vient frapper un objet métallique. L'ombre de la fin d'après-midi projette ses hachures à l'abri de la grande structure au-dessus de moi. Mais la lumière arrivent quand même à passer par endroits et c'est alors que je le vois de nouveau, le même éclat, à peine perceptible si on n'y prête pas attention. Je m'avance et m'accroupi à l'endroit d'où il provient. Déblayant la zone à mains nues, ce que je trouve me laisse bouche bée, et sans voix.

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Caitlyn : 

Nous marchions depuis une bonne demi-heure sans dire un mot. La frontière entre la Haute et la Basse-Ville n'était pas difficile à trouver, le pont central est visible de partout. Seulement, il parait plus proche qu'il ne l'est réellement et il nous fallait encore couvrir une certaine distance avant de l'atteindre. C'est là-bas qu'on est censé retrouver les Feux Volants. D'ici, je peux déjà apercevoir le début de la structure qu'il nous faudra escalader, à une dizaine de mètres du sol. Non pas que j'ai le vertige, mais j'ai déjà donné concernant les hauteurs, dans les Voies. D'après nos alliés, l'espace entre les énormes poutres métalliques est suffisant pour abriter des hommes sans être vus par ceux qui traversent le pont. L'endroit parfait pour une embuscade. 

On venait d'emprunter toute une série de ruelles sombres et étroites qui nous avaient menées jusqu'aux docks, sales, et peu accueillant. Chacune de nous s'était mue dans un silence de circonstance. Je reste aux aguets, tous mes sens en alerte, et je ne doute pas que Vi en fait autant. Marchant derrière elle à quelques pas de distance, je jette régulièrement des coups d'œil nerveux autour de moi, ne pouvant m'empêcher de frotter mon bras  d'un geste mécanique à intervalle régulier. Il n'y a pas que la fraîcheur environnante qui donne des frissons ici, mais également une sorte de malaise, un sentiment étrange de profonde insécurité. Je peux sans peine ressentir la misère et la déchéance qui habillent cet endroit, ainsi que sa dangerosité implicite. L'odeur des crimes et de la délinquance flotte dans l'air comme une brise fétide. Pas étonnant que les habitants des Bas-Fonds soient vus comme de vulgaires brigands et assassins. Ils n'ont pour eux que les restes d'une société déjà souillée et corrompue de l'intérieur. On ne peut pas vraiment leur demander de faire mieux, si ceux qui se trouvent au-dessus d'eux ne valent finalement pas plus que ça..

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