⏯️EP 10

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ÉPISODE 10

Il n'allait pas en faire une habitude ! se dit Law en accédant à l'open space. Il n'était pas censé travailler le mardi matin à la radio, mais comme la semaine dernière, il était à nouveau mandé pour une réunion d'urgence. Cette fois, toute l'équipe l'accueillit.

Romane, dont le style ethno-chic et la coupe afro rendaient aux années 70 leurs lettres de noblesse, prendrait l'antenne dans quelques heures. Law salua à la volée, comme Paola lui tirait une chaise. Enfin, elle la lui poussa du pied, elle-même assise sur la grande table de leur salle de staff.

— Hey, comment va Ludo ?

— Beaucoup mieux.

Il fut ravi de l'entendre. Le notaire leur était d'une grande aide sur certaines questions juridiques. Sur d'autres, l'expertise du juge Layton était parfois sollicitée par son fils Styles, qui profitait éhontément du carnet d'adresses paternel. Law espérait que la situation qui les rassemblait ne nécessitait pas l'intervention d'un acteur de loi.

— C'est quoi le motif de cette réunion ? s'enquit-il.

Ce n'était pas raisonnable, mais il se laissa tenter par un muffin de la panière trônant sur la table. Signé Marissa, à coup sûr ; elle ne manquait jamais de les gaver. Comment résister avec une telle odeur divine ? Law s'apprêtait à remercier Barton de les avoir apportées, quand celui-ci s'enflamma :

— Il fallait s'attendre à ce que ça arrive ! À n'en faire qu'à ta tête, tout le monde en pâtit !

Law l'étudia. Ce type pourrait se targuer du charme auguste autrichien s'il n'affichait pas constamment cet air pincé. Comme s'il avait mordu dans un citron, disait Rihanne. Pourtant, une fois à l'antenne, on lui attribuerait presque un tempérament solaire. OK, quel crime ai-je encore commis ? Avec Barton, mieux valait avoir des réserves avant de se flageller.

— Je ne vois pas en quoi « tout le monde en pâtit », quand c'est l'équipe du Hit Rock qui est invitée en VIP à la Rock-Feast, souligna Romane.

Law sursauta.

— De quoi tu parles ?

Puis, il tiqua. La Rock-Feast tombait à la Saint Valentin et le 14 février arrivait dans deux semaines. Le moteur de son cœur accéléra. Sa vie avait pris un drôle de tournant, dernièrement, au point de lui occulter cette date fatidique. Les soucis de son nouvel appartement, Mr Soul et ses lubies lui avaient évité d'enclencher le cycle de son apitoiement. À moins que la douleur se soit atténuée en même temps que ses souvenirs.

Ellias avait eu son cœur entre les mains et choisi de shooter dedans comme dans un ballon de football-américain au lieu de le garder. Une invitation à la Saint Valentin et à un festival dont il avait raté à regret les saisons précédentes, à cause dudit Ellias, touchait forcément une corde sensible chez le romantique qui hibernait en Law. Cette part de lui qui n'avait jamais cessé d'espérer ; l'adolescent rêveur qui ne voulait pas céder au pragmatisme.

Ce Law candide l'avait poussé à expérimenter, à tenter des choses, à s'engager dans des relations au risque d'y perdre des morceaux de lui. Sa dernière liaison avait presque fini de le désabuser. Ellias avait manqué tuer son idéalisme, en crucifiant leur histoire de trois ans le jour de la fête de l'amour. Parce que ce serpent s'était montré cruel et cliché, le 14 février portait désormais une marque indélébile.

D'habitude, Law se blindait en prévision de cette date, s'interdisant de sortir le romantique d'hibernation. Cette année n'y dérogerait pas ; c'était encore trop tôt. Ça rouvrirait des blessures que le froid n'avait pas guéries. Au fond, il n'avait pas fait hiberner son cœur d'artichaut mais l'avait cryogénisé. Or la cryogénisation figeait les choses en l'état. Et la décongélation réchaufferait des souvenirs dont il subirait l'amertume et la toxicité.

RIDDLE GAME Vol. 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant