☆| 2. Justicier impuissant

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Billy Joe

Rosanky – avril 1969 (trois ans plus tôt)

Installé à la périphérie d'une foule trop dense pour moi, je porte à ma bouche, la fourchette détenant un morceau de poulet au curry. D'ordinaire, j'en raffole. Or, la nourriture de la cantine est bien trop fade, à tel point que chaque bouchée suscite une grimace de dégoût. Je regrette l'absence de ma mère durant les pauses de midi. Elle savait comment cuisiner, contrairement à cette vieille mégère qui nous toise d'un regard sombre, lorsqu'on s'avance vers elle avec nos plateaux.

Les rayons du soleil qui réchauffent ma peau me procurent une sensation de bien-être que je désire prolonger. Je lève mes yeux au ciel, non sans être ébloui par le soleil, et admire l'immense toile bleue. Il fait bon, si bien que l'envie de sécher les cours s'éveille en moi. Ce désir s'intensifie lorsque je me remémore les matières qui m'attendent après la pause de midi ; mathématiques, géographie. Tout ce qu'il y a de plus ennuyant.

Faire l'école buissonnière est bien tentant. Pourtant, en songeant aux répercussions que cette décision peut engendrer, un voile de réticence couvre mon être. De manière inévitable, mon absence sur les bancs de la salle de classe me vaudra un avertissement qui atterrira chez mon tuteur. Il est sans doute préférable d'éviter des sermons de sa part avec mon idée prise sur un coup de tête.

C'est alors à contrecœur que je ramène mon plateau à la cantine, pénétrant dans cette zone trop oppressante. Le regard rivé devant moi, j'évite l'attention que les autres peuvent me porter. Une bête de foire. C'est ainsi qu'ils me perçoivent, en dépit de mes nombreux efforts pour paraître normal à leurs côtés.

Si je m'évertue à éviter le moindre contact social, c'est de leur faute. Les regards qu'ils m'adressent parlaient à leur place. Je perçois les nombreux jugements qu'ils portent à mon égard. Et malgré mon expression froide, ces préjugés me touchent bien plus que je ne veux l'admettre. Ils parlent sans rien connaître de mon histoire, ils croient ce qu'ils entendent, se faisant ainsi un avis sur ma personne. S'ils savaient...

Tandis que j'accélère le pas pour fuir cette pièce trop peuplée, des ricanements me figent sur place. Mon sang ne fait qu'un tour. J'ai tout de suite saisi que je ne suis pas victime, cette fois-ci. J'aurais dû m'en sentir soulagé. Or, ce n'est pas le cas, bien au contraire.

J'aperçois avec effroi, Arnold collé contre un mur, le visage marqué par la tétanie qui l'enivre avec, face à lui, Simon et Denis. Une colère sourde grimpe en moi. Si je suis capable de prendre sur moi à l'égard des rumeurs qu'on me colle au front, ce n'est pas le cas d'Arnie – comme j'aime l'appeler. Malgré le peu d'échanges que j'ai eu avec lui, j'ai tout de suite saisi qui il était. Un nouveau venu à Rosanky avec sa famille qui cherche à prendre un nouveau départ. Arnie a tenté de faire profil bas pour éviter le harcèlement qu'il a sans doute connu auparavant. Or, en raison de sa couleur de peau, il n'est pas passé inaperçu auprès des radars de Simon et Denis.

▪︎ Prends l'argent... Et tire-toi ! ▪︎ TERMINÉOù les histoires vivent. Découvrez maintenant