Chapitre 14: Asphyxie

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Les jours suivants, j'avais vu le visage du vieux Quil vide de toute émotion, les traits de Billy tirés par l'inquiétude, ainsi que les expressions attristées de Sue. Cependant, je voyais également chaque jour le visage heureux de mon père qui ne s'accordait pas à la triste réalité qui nous entourait. Je n'arrivais pas à lui avouer ce qui nous attendait. Comment le pouvais-je ? Sous ses airs d'adulte immature, je savais qu'il était bien trop souvent rongé par une inquiétude qu'il avait bien du mal à dissimuler.

Chaque jour, je retrouvais la meute pour parler stratégies d'attaque. Chaque jour, je retrouvais Rachel quelques minutes avant de rentrer chez moi. Chaque jour se ressemblait. Mais plus les jours passaient, et plus l'appréhension se transformait en peur.

Une semaine avant noël, il avait bien fallu que j'avoue la vérité à mon père qui avait déjà commencé à faire sa valise pour notre escapade à New-York. Lors de mon aveu, son visage s'était tout d'abord décomposé pour ensuite se défigurer. D'une colère noire, il avait envoyé valser sa valise de l'autre côté de sa chambre en vociférant qu'il avait prit la pire décision de sa vie en me ramenant à la Push. 

Après avoir passé un noël silencieux et pesant qui aurait pu se confondre avec un repas d'enterrement, nous attendions toujours l'heure fatidique dans une ambiance oppressante. Tout le monde était épuisé moralement et physiquement. Ce n'était pas le combat qui allait nous tuer, mais les rondes et l'attente interminable.

En ce début de soirée du trente décembre, un hurlement de loup déchira le silence de la nuit. A côté de moi, mon père se figea sur le canapé. Malgré la peur qui paralysait mes pensées, mes jambes se levèrent instinctivement. L'heure était venue. Par la fenêtre, j'aperçus quelques flocons virevolter joyeusement avant de venir s'écraser au sol, puis un autre hurlement m'avait sortit de ma torpeur.

- Fais gaffe à toi gamin, me dit tristement mon père en trouvant la force nécessaire pour se lever.

Lui qui venait de fêter ses quarante ans et qui en paraissait plus jeune en faisait actuellement dix de plus. Depuis quelques jours, son humeur enfantine avait quitté son visage pour laisser place à un mutisme étrange et à une inquiétude permanente.

- T'es un chouette gosse. T'es vraiment un chouette gosse, Paul, répéta-t-il en me serrant dans ses bras.

Les mots me manquaient. Je me contentai de resserrer notre étreinte. Ma naissance avait peut être été accidentelle, mais lui avait toujours été ravi de m'avoir à ses côtés. Je n'étais pas né pour le laisser tomber maintenant. J'étais plutôt né pour m'occuper de cet éternel gamin. Ce n'était pas mon heure. Il ne fallait pas que ce soit mon heure.

- Ce n'est pas un adieu papa, tentai-je de le rassurer.

Tout en brisant notre étreinte, je baissai les yeux afin de ne pas croiser son regard qui ne montrerait sûrement qu'une immense inquiétude.

- A plus tard papa, dis-je en me dirigeant vers la porte d'entrée.

- Ne rentre pas trop tard, tenta-t-il d'articuler malgré une voix peu assurée.

Une fois dans les bois, je me déshabillai en prenant soin de nouer mes vêtements à ma cheville avant de muter. Alors que je courais, la voix de Sam vint briser le brouillard qui m'empêchait de penser.

« C'est pour demain. Rejoins les autres chez moi. Nous patienterons ensemble. Jacob nous préviendra si besoin. »

« Bien. »

Alors que je me précipitai vers la maison en une course effrénée, en compagnie de mes pensées chaotiques entremêlant ma colère, mes craintes et mes peurs, mon instinct prit le dessus. A mon tour, je lâchai un hurlement afin d'exprimer et d'évacuer ce surplus d'émotions en un son glaçant.

Le loup et la colombe - Paul LahoteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant