Chapitre 18: Un retour inespéré

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A quelques pas de ma maison, de nombreux bruits me sortirent de mon sommeil. Les rayons du soleil devaient surplomber le ciel depuis des heures, mais je n'arrivais pas à trouver la force de quitter mon lit. J'étais vide, stérile de tout sentiment, dépouillé de toute raison d'être depuis que Rachel était partie.

Tout ce dont j'étais capable de faire était d'attendre son retour. Quelque peu dépité par ma léthargie, je fermai les yeux en attendant que le sommeil vienne s'abattre abruptement.

Malgré mes efforts pour me détendre, ce vacarme incessant commençait à sérieusement m'irriter. Les bruits intempestifs d'éléments fracassés sur le sol attisaient ma colère. Adieu détente et léthargie. Bonjour cher ancien Paul, maître d'une colère dévastatrice.

Tout en vociférant, je me levai et tira les rideaux en ayant l'intention de manifester ma chaleureuse présence accompagnée de mots doux. Cependant, alors que ma bouche frémissait de fureur, mes yeux s'écarquillèrent lorsqu'ils se posèrent sur les nombreux cartons et sacs poubelles qui jonchaient le sol de l'allée voisine. Le cœur battant, j'ouvris la fenêtre et me penchai afin de constater que les volets de cette maison étaient ouverts. J'avais l'impression d'être ramené des années en arrière, en deux-mille-quatre.

J'avais vu mes sœurs pour la dernière fois l'été de mes quatorze ans. Un jour de vacances parmi tant d'autres, j'étais allé sonner chez elles afin que nous puissions aller à la plage. C'était une routine agréable dont aucun de nous ne se plaignait. Cependant, ce jour-là, leur père avait ouvert la porte de très mauvaise humeur en m'indiquant que ses filles étaient punies. Le lendemain, lorsque j'étais sortis de chez moi, j'avais remarqué que la voiture de Lysandre n'était pas stationnée sur le bas-côté. Je ne me souvenais même pas l'avoir aperçue la veille. Paniqué qu'elle ait put partir à l'université avant l'heure, et sans me dire au revoir, j'avais laissé mon doigt s'écraser sur la sonnette en regardant tout autour de moi. La porte s'était ouverte sur leur mère, Erana, que j'avais eu l'impression de réveiller en plein après-midi. Elle avait marmonné des paroles incompréhensibles, mais certains mots m'avaient percuté de plein fouet. Lysandre était partie. Martha ne pouvait pas sortir. Un sentiment de solitude m'avait noué l'estomac. Un sentiment qu'elles avaient elles-mêmes éradiqué des années auparavant. Puis, quelques jours plus tard, des bruits extérieurs m'avaient tiré de mon sommeil. Par la fenêtre de ma chambre, j'avais vu mon père s'entretenir avec un officier de police. A quelques pas d'eux, une inconnue plaçait des bagages dans le coffre d'une voiture dans laquelle Martha prenait place. Inquiet, j'avais descendu les escaliers au pas de course, mais lorsque j'étais sortis sur le perron, la voiture était déjà bien loin. Alors que je me précipitai sur la route, mon père m'avait rattrapé et ramené à la maison.

Durant toutes ces années, et malgré mes questionnements, mon père avait toujours tenu le même discours parsemé de mensonges. Il avait beau me répéter que la situation n'était en rien alarmante et que le père de famille avait trouvé du travail ailleurs – ce qui avait provoqué leur déménagement – je n'y croyais pas pour plusieurs raisons. Qui déménagerait si subitement sans prévenir quiconque ? Qui était cette inconnue qui avait enlevée Martha ? Pourquoi un officier de police était-il présent ? Pourquoi mes sœurs ne m'avaient-elles jamais donné de nouvelles ? Rien ne concordait, ni même ces foutues rumeurs qui étaient toutes aussi folles les unes que les autres.

Un nouveau son me sortit de mes souvenirs. Une femme avait jeté par la fenêtre un sac poubelle. Ma colère était réveillée. Mon sentiment d'abandon refit surface. Lysandre et Martha ne pouvaient pas disparaître de ma vie. Je leur étais redevable. Je ne pouvais pas laisser de parfaits inconnus emménager dans cette maison. Elles allaient revenir. Elles devaient revenir.

La froideur du mois de novembre ne parvenait même pas à éteindre la fournaise qui s'emparait de mon corps. Alors que je me dirigeai sur le perron de la maison voisine, un carton rempli de cadres et de photographies retint mon attention. D'instinct, je me penchai afin de saisir un cadre qui contenait une photographie de la famille au complet. Je revoyais le visage souriant de mes deux sœurs. A quoi pouvaient-elles bien ressembler aujourd'hui ? Plus de trois ans s'étaient écoulés depuis.

Le loup et la colombe - Paul LahoteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant