Mettre les pieds dans le plat

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Même si Pierre réclame son biberon de plus en plus fort, je profite du silence des plus grands qui dégustent leurs desserts pour vérifier l'heure à laquelle nous devons retourner à l'école, et sans grande surprise, constate qu'il faut partir dans cinq minutes si nous voulons éviter la course de ce matin. À ce moment précis, je remercie les nouvelles technologies, et plus particulièrement le chauffe-biberon qui me permet de gagner de précieuses secondes.

- Agathe, Jules, mettez vos chaussures, faut partir.

Ma voix se fait un peu plus autoritaire, même si je ne me trouve toujours pas crédible dans ce rôle d'adulte.

- Allez les enfants, vous avez entendu ?

Je tente de lever le ton, mais ça ne semble pas les interpeller vu la manière avec laquelle ils continuent de manger sans un seul regard dans ma direction.

Pendant ce temps, j'installe Pierre dans sa poussette dont les gémissements deviennent des lamentations et s'arrête aussi vite lorsque je lui tends son biberon. Une chance qu'il sache le tenir seul.

- Agathe, Jules s'il vous plaît ! Il faut y aller.

- Mais j'ai pas fini ma glace ! rouspète Jules.

- Vous mangerez sur la route, on a plus le temps, allez on s'en va.

Sans plus d'explications, j'ouvre la porte et leur somme une dernière fois de me suivre. Agathe s'exécute la première, un bout de pain au chocolat dans la bouche, Jules, lui, se fait désirer en prenant le temps de terminer sa glace, et se décide à nous suivre en mordant dans son beignet.

Nous arrivons tant bien que mal à l'école, le souffle court, surtout pour ma part. À croire que nous ne venons pas de parcourir le même chemin au pas de course, les enfants et moi.

- À tout à l'heure Agathe.

- Tu seras là quand je sortirai ? me demande-t-elle juste avant de passer le portail. Je veux pas être la seule à attendre comme ce matin.

- Bien entendu !

Je lui lance un sourire et un petit signe de la main qui semble la convaincre, me dépêche de déposer Jules, dont la bouche est barbouillée de chocolat sans parler de ses vêtements, dans sa classe et cette fois, je parviens à quitter l'établissement pile au moment où retentit la sonnerie. Mes lèvres s'étirent spontanément, la fatigue s'évanouit quelques secondes et laisse place à une satisfaction jusque-là inconnue, me donnant le sentiment d'être devenue aussi efficace que Judy Hopps dans "Zootopie" et je lâche avec entrain :

- On y est arrivé !

Pierre me regarde étrangement, l'air de se demander de quoi je parle et pour toute réponse, jette son biberon vide par terre. Il roule sur le trottoir durant quelques mètres pour finir sa course contre un poteau. Honnêtement, je n'ai eu ni la force ni le réflexe de le rattraper avant. Cette action me ramène aussi vite dans ma réalité, et je soupire en allant le récupérer d'un air las :

- Tu n'étais pas obligé de le jeter si tu n'en voulais plus, tu sais.

Je n'ai pas le temps de finir de me redresser, qu'un choc derrière moi me fait basculer en avant, m'obligeant à me retenir de mes deux mains pour éviter de m'étaler, et donc, de lâcher le biberon qui roule de nouveau sur le sol.

Une dizaine de scénarios se bousculent dans ma tête pour expliquer ce qu'il vient de se produire, dont la majorité se conclut par une potentielle agression, soit pour me voler l'argent que je ne possède pas, soit pour kidnapper Pierre, voire nous kidnapper tous les deux. En tout cas, à aucun moment je n'ai envisagé ce qu'il en était réellement, car lorsque je parviens à me remettre sur pied, tout en époussetant ma robe, même si elle finira brûlée ce soir, le biberon de Pierre se retrouve sous mon nez, tenu par une main masculine. Une main répondant à tous les critères pour me faire tomber sous le charme. Si vous avez bonne mémoire, vous savez qu'une paire de mains parfaite, à mes yeux, peut me faire perdre la tête.

Le papa de l'écoleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant