La fracture du gros orteil

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De nouveau, les pleurs de Pierre me perforent les tympans à peine le chemin du retour entamé, sans parvenir pour autant à effacer de mes pensées mon échange avec l'homme aux doigts parfaits. Pourquoi s'est-il tant amusé à me mettre dans l'embarras ? Et quelle était cette phrase, presque menaçante, concernant le côté sombre de certains héros ? Pourquoi semblait-il si attendri face à Pierre ? N'aurait-il pas provoqué ma chute ? Et si tel est le cas, dans quel but ? Et surtout, pourquoi je me pose autant de questions alors que je ne le reverrai jamais ? Que j'ignore tout de lui ? Qu'il a croisé ma route totalement par hasard, même si mon esprit semble vouloir penser le contraire ?

Certes, il a été un peu taquin, voire même très insistant, jamais je ne me serais permise de telles remarques avec un inconnu, mais ce n'est pas une raison pour me torturer le cerveau avec lui ! Je n'ai pas assez de choses en tête visiblement, il a besoin d'un divertissement supplémentaire.

Comme pour me ramener sur terre, Pierre pousse un cri beaucoup plus strident que les précédents, sûrement pour me rappeler qu'il devrait être mon unique préoccupation. Je ne peux même plus réfléchir tranquillement, si vous voulez mon avis, il est beaucoup trop dépendant des autres. Et inutile de me rappeler que mes factures seront payées grâce à cette dépendance tout à fait normale à son âge.

– Tu sais Pierre, tu n'es pas obligé de hurler chaque fois que quelque chose ne te convient pas.

C'est vrai, vous imaginez si je me mettais à pousser des cris d'animaux à chaque fois que l'on ne me renouvelle pas un contrat ? Ou lorsque chacune de mes tentatives pour attirer le blaireau se solde par un échec. Remarquez, je pourrais essayer, peut-être daignerait-il faire attention à moi.

En guise de réponse, il se tortille dans sa poussette comme s'il cherchait à se défaire du harnais de sécurité. Honnêtement, il ne lui manque plus que la camisole, et nul doute qu'il serait retenu pour jouer le fils de Hannibal Lecter, si tenté soit qu'il en est un, ce dont je doute fortement.

Un mal de tête commence à se propager, et c'est avec grande difficulté que j'arrive devant la porte de l'immeuble. Fatiguée, je tente de reprendre mon souffle mais suis vite interrompue dans le processus lorsqu'un habitant sort, faisant preuve de politesse en maintenant la porte ouverte afin de me laisser entrer.

– Merci. dis-je en me dépêchant de le dépasser pour le laisser partir.

La porte claque derrière moi et je pousse un soupir en m'adossant à l'ascenseur, juste après l'avoir appelé.

Par chance, Pierre a décidé de laisser un peu de répit à ses cordes vocales, et ces quelques instants de silence sont trop vite brisés par le bruit fracassant des portes coulissantes.

– Il me reste encore de bons réflexes. je marmonne pour moi-même en me redressant juste à temps pour éviter de basculer en arrière.

Encore une fois, le miroir face à moi réfléchit mes mimiques ridicules pour me faire constater, avec effroi, que la tache disgracieuse n'est plus du tout cachée par mes cheveux.

– Dans quel état je vais rentrer ce soir ?

Je n'ai pas le loisir d'y réfléchir et sors de l'ascenseur qui s'ouvre, à peine la fin de ma phrase prononcée.

– Allez Pierre, c'est l'heure de la sieste et je compte sur toi pour dormir sans pousser de cris flippants toutes les cinq minutes.

Tout en disant cela, j'ouvre mon sac pour en extraire les clés qui ne se trouvent pas dans la petite poche habituelle. Machinalement, je glisse ma main dans la plus grande, puis fouille la principale, mais ne trouve que celles de mon appartement. Pour en avoir le cœur net, j'extrais le trousseau et commence à faire l'inventaire de chacune des clés. Aucun doute, celles de mes employeurs n'y sont pas accrochées.

Le papa de l'écoleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant